Claudia Goldin, une spécialiste d’histoire économique et de l’économie du travail
Qui est Claudia Goldin ?
Le prix de la Banque de Suède en sciences économiques en mémoire d’Alfred Nobel a été décerné, en 2023, à Claudia Goldin « pour avoir fait progresser notre compréhension de la situation des femmes sur le marché du travail ». Elle succède ainsi à Ben Bernanke, Douglas Diamond et Philip Dybvig, trois spécialistes de l’économie bancaire et de l’étude des crises financières, récompensés en 2022.
Le « prix Nobel d’économie » désigne, en réalité, le prix de la Banque de Suède en sciences économiques en mémoire d’Alfred Nobel .
Claudia Goldin, née en 1946, est une économiste américaine et professeure à l’université d’Harvard. Spécialiste d’histoire économique et de l’économie du travail, elle a notamment publié de nombreux articles sur les différences de participation au marché du travail et de revenus entre les hommes et les femmes. Fait rare – cela ne s’est produit qu’à 6 reprises depuis 2000 –, Claudia Goldin a été récompensée seule.
Claudia Goldin est la 3e femme à recevoir le prix Nobel d’économie, après Elinor Ostrom (2009), spécialiste de la théorie de l’action collective et de la gestion des biens communs, et Esther Duflo (2019), économiste du développement.
L’apport de l’histoire économique
Afin d’étudier les principaux facteurs expliquant les inégalités hommes-femmes sur le marché du travail, Claudia Goldin a adopté une démarche historique : seule une approche fondée sur la longue période permet, selon elle, de comprendre véritablement ces différences et de rendre compte des changements sociaux à l’œuvre. Prenons, par exemple, le progrès technologique, l’amélioration du niveau d’éducation, l’évolution des mœurs ou encore la diminution de la fécondité : ces mutations sont lentes et ne se traduisent pas de façon immédiate sur le marché du travail.
L’évolution de la participation des femmes au marché du travail
Dans ce contexte, l’une des premières contributions de Claudia Goldin a été de documenter historiquement, à l’aide de données nouvelles, l’évolution des différences de participation au marché du travail et de revenus entre les hommes et les femmes. Elle montre ainsi que, contrairement à une idée reçue, la participation des femmes au marché du travail n’est pas strictement corrélée au niveau de développement. Dans le cas américain, le taux de participation des femmes mariées au marché du travail prend la forme d’une « courbe en U » : il diminue dans un premier temps entre la fin du XVIIIe siècle et la Première Guerre mondiale, puis augmente progressivement jusqu’à aujourd’hui.
La révolution industrielle au XIXe siècle, marquée par le passage d’une économie essentiellement agraire à une société industrielle, est donc allée de pair avec une moindre participation des femmes au marché du travail. Selon Claudia Goldin, cela peut s’expliquer par les normes sociales alors dominantes : les femmes mariées travaillant à l’extérieur du foyer étaient stigmatisées par la société. Travailler et assurer la responsabilité du foyer étaient considérés comme incompatibles. Or, la révolution industrielle s’est accompagnée d’une expansion des villes et d’une séparation entre le foyer et le lieu de travail – phénomène que l’on ne retrouve pas dans une économie agraire. Il était alors fréquent que les femmes cessent de travailler après leur mariage.
L’importance de ces normes sociales était parfois si grande que certains employeurs, tant aux États-Unis qu’au Royaume-Uni, avaient pour règles de ne pas embaucher de femmes mariées et/ou de licencier toute femme après son mariage. Ce fut le cas, par exemple, de la BBC, le célèbre radiodiffuseur britannique, entre 1932 et 1944. Cette pratique, appelée « marriage bar », née à la fin du XIXe siècle a pu, dans de rares cas, persister jusque dans les années 1970.
Plusieurs facteurs expliquent l’augmentation du taux de participation des femmes au marché du travail à partir des années 1910 : la mobilisation des hommes lors de la Première Guerre mondiale, le progrès technique permettant de faciliter le travail domestique et l’émergence d’une forte demande de personnel de bureau. Selon Claudia Goldin, tous ces facteurs ont contribué à une plus grande acceptabilité sociale du travail des femmes. Ce mouvement s’accompagne, à partir des années 1970, d’une « révolution silencieuse » : à mesure que les anticipations des femmes quant à leur vie professionnelle future se modifiaient, elles se sont davantage engagées dans des études supérieures et professionnalisantes. Couplé à l’évolution des mentalités, cet investissement en capital humain a permis aux femmes d’être plus actives sur le marché du travail.
L’évolution des inégalités de salaires entre les femmes et les hommes
Un autre pan des recherches de Claudia Goldin s’intéresse à l’évolution du gender gap, à savoir des inégalités de revenus entre les femmes et les hommes. Adoptant une nouvelle fois une démarche historique, la lauréate du prix Nobel d’économie montre que l’écart de rémunération entre femmes et hommes s’est progressivement réduit aux États-Unis depuis 1820. Trois phases peuvent être distinguées ici :
- la révolution industrielle dans la première moitié du XIXe siècle, pendant laquelle les femmes – non mariées, pour la plupart – ont connu une augmentation de revenus avec le passage à une société industrielle, les rémunérations versées dans le secteur agricole étant très faibles ;
- le début du XXe siècle où l’écart de rémunération s’est légèrement réduit avec l’accroissement de la demande de personnel de bureau ;
- enfin, et surtout, la « révolution silencieuse », qui a permis de réduire nettement l’écart des rémunérations entre femmes et hommes à partir des années 1980. C’est, d’après les travaux de Claudia Goldin, cette révolution silencieuse qui explique la baisse sensible du gender gap.
D’après les travaux de Claudia Goldin, l’écart de revenus entre les femmes et les hommes est resté relativement stable entre 1890 et 1980.
La réduction de l’écart de revenus est notamment liée au plus grand investissement en capital humain opéré par les femmes à partir des années 1970. Deux facteurs y ont contribué selon Claudia Goldin. Le premier est lié aux anticipations des femmes quant à leur vie professionnelle future. S’attendant à davantage travailler à l’avenir, elles ont modifié leurs décisions relatives à l’investissement dans l’éducation. Par exemple, utilisant les données d’enquêtes du Bureau of Labor Statistics, Claudia Goldin estime que la part des femmes âgées de 20 et 21 ans s’attendant à travailler à l’âge de 35 ans est passé de 35 % en 1967 à 80 % en 1979. Le deuxième facteur favorisant cet investissement en capital humain est l’introduction de moyens de contraception et notamment de la pilule. Selon la modélisation de Claudia Goldin, l’introduction de la pilule a réduit le coût lié au fait de différer le mariage (par exemple, l’abstinence) et a incité les femmes à investir dans leurs carrières, tout en reculant l’âge du premier enfant et de leur mariage.
La parentalité, facteur explicatif de l’écart de rémunération actuel entre les femmes et les hommes
Selon Claudia Goldin, l’un des principaux facteurs expliquant l’écart actuel de rémunération entre les femmes et les hommes réside dans la parentalité. Dans un article de 2010 co-écrit avec Marianne Bertrand et Lawrence Katz, elle étudie l’évolution des carrières et des rémunérations de personnes disposant d’un master of business administration (MBA).
S’il n’existe, ici, peu ou pas d’écart de rémunération entre les femmes et les hommes en début de carrière, celui-ci apparaît après l’arrivée du premier enfant. Cet évènement est, en effet, généralement synonyme d’interruptions temporaires de carrières et d’une réduction des heures de travail pour les mères, ces deux facteurs agissant sur leur rémunération.