À quoi servent les taux directeurs ?
La banque centrale fixe les taux directeurs, qui sont les taux auxquels elle prête et emprunte aux banques commerciales. Indirectement, ces taux déterminent les taux d’intérêt sur tous les marchés : taux des dettes souveraines, taux des prêts immobiliers, taux des prêts aux entreprises… Ils sont donc les instruments privilégiés de la politique monétaire.
Les taux directeurs sont au nombre de trois :
- taux principal de refinancement,
- taux de prêt marginal, et
- taux de rémunération des dépôts.
Taux principal de refinancement
Le taux principal de refinancement est le taux auquel la banque centrale s’engage dans les actions de prises en pension auprès des banques commerciales, pour une durée d’une semaine. Tous les mardis, les banques commerciales font leurs demandes de prêts à la BCE, qui seront satisfaites le lendemain, pour un remboursement au mercredi suivant. Ces prêts sont effectués en échange d’un collatéral : les banques fournissent à la banque centrale des titres financiers servant de garantie, un peu comme une hypothèque.
Taux de prêt marginal
Le taux de prêt marginal est assez semblable au premier, mais pour une durée plus courte d’une journée, et est plus élevé que le taux principal de refinancement. Il sert à prêter “en urgence” aux banques commerciales qui ont des besoins imprévus de monnaie. Pour éviter que trop de banques improvisent au jour le jour, la valeur du taux de prêt marginal est élevée, afin d’être désincitative.
Taux de rémunération des dépôts
Enfin, le taux de rémunération des dépôts est le taux auquel la banque centrale rémunère les dépôts des banques commerciales. De la même manière que le livret A rapporte 3 % par an, les dépôts auprès de la banque centrale rapportent maintenant 3,50 % par an.
Les taux d’intérêts directeurs font apparaitre un corridor
La Banque Centrale Européenne, en s’engageant sur ce marché, agit comme un lubrificateur du marché monétaire. Elle fixe les limites haute et basse du prix de la monnaie, et se porte prêteuse ou emprunteuse en cas de déséquilibre. Elle est donc un acteur incontournable de la stabilité financière.
Ces taux font apparaitre un plancher et un plafond sur le marché monétaire. Chaque banque a le choix d’emprunter et de prêter, soit à la banque centrale, soit à une autre banque. Il existe donc, en parallèle des taux directeurs, les taux du marché monétaire, qu’on peut considérer comme “privés”, puisque n’impliquant pas la banque centrale. Les plus connus de ces taux interbancaires sont l’€STR (prononcez “èstère”) et l’Euribor.
Cependant, les taux d’intérêt directeurs font apparaitre des arbitrages : en effet, quelle banque accepterait de prêter à un taux inférieur au taux de rémunération des dépôts, dont elle est certaine de pouvoir bénéficier ? De même, quelle banque accepterait d’emprunter à un taux supérieur au taux de prêt marginal ? La BCE pose ainsi des limites à la valeur des taux monétaires. Ces limites forment ce que l’on appelle le corridor des taux d’intérêt.
Ce corridor est théorique. Il est courant, depuis une dizaine d’années, que les taux monétaires soient légèrement plus bas que le taux de dépôt marginal. Cela est dû à l’existence d’agents non bancaires, n’ayant pas le droit de déposer leurs liquidités auprès de la BCE, et qui acceptent donc de prêter à des taux moins élevés.
Qu’est-ce que la BCE a annoncé le 12/09/2024 ?
La BCE a annoncé une baisse de ses taux d’intérêt directeurs. Ainsi, le taux principal de refinancement est abaissé de 4,25 % à 3,65 %, le taux de prêt marginal de 4,50 % à 3,90 %, et le taux de rémunération des dépôts de 3,75 % à 3,50 %.
Une baisse des taux pour soutenir l’économie
Cette baisse des taux est censée soutenir l’économie de la zone euro, en proie à une sévère atonie depuis la fin de la crise sanitaire. L’économie allemande, en particulier, engluée dans la stagnation, amène certains commentateurs à remettre en question les fondements de son modèle de croissance économique.
Des taux d’intérêt plus bas découragent l’épargne, et encouragent l’investissement et la consommation, relançant ainsi la croissance et l’inflation.
Cette baisse des taux était attendue par le monde économique et financier. Une partie attend d’ailleurs de futures baisses, qui ne sont cependant pas encore à l’ordre du jour, la BCE préférant attendre les futures données macroéconomiques.
Une réduction de la largeur du corridor
Cette baisse des taux est intensément commentée. Ce qui l’est beaucoup moins, en revanche, est la différence entre les baisses. Le taux de rémunération des dépôts ne baisse que de 0,25 %, tandis que les deux autres baissent de 0,60 %. La banque centrale met ainsi en œuvre les “modifications du cadre opérationnel” annoncées le 13 mars dernier. Cette déclaration du conseil des gouverneurs a montré la volonté de la BCE de réduire la largeur du corridor des taux. Mais pourquoi ? Bien qu’il existe des débats techniques très profonds sur la pertinence du corridor (la Réserve Fédérale l’ayant par exemple abandonné en 2008), plusieurs justifications peuvent être invoquées simplement.
Tout d’abord, réduire la taille du corridor amène en théorie plus de stabilité des taux monétaires. Si l’on admet que l’€STR et l’Euribor sont libres de fluctuer au sein de ce corridor, alors la réduction de largeur les contraint. Cette stabilisation est bénéfique pour les perspectives des banques, et des marchés en général.
Indirectement, cela permet à la banque centrale d’avoir une politique monétaire plus efficace. En contraignant les taux monétaires, elle gagne en contrôle des marchés, et s’assure ainsi être au plus proche de sa cible.
Enfin, la BCE espère qu’un taux de refinancement plus proche du taux de rémunération des dépôts encouragera les banques à passer par le marché monétaire. Réduire la taille du corridor réduit en fait les arbitrages potentiels des banques, rendant le recours aux facilités de la banque centrale moins crucial. Cette attente rentre dans la perspective plus générale de la BCE de se retirer, autant que possible, du marché monétaire lors des périodes de stabilité. Cela encouragerait une certaine autonomie des banques, et un marché plus efficient.
En résumé, ce resserrement du corridor devrait mener à plus de stabilité et d’efficacité. Il peut cependant sembler un peu contradictoire dans ses objectifs : plus de contrôle du marché monétaire par la BCE, mais plus d’autonomie du système bancaire.
Ce resserrement du corridor n’est en fait pas le premier. La BCE procède en fait à des ajustements petit à petit, qui suivent une tendance baissière. Il est d’ailleurs possible qu’à terme, le corridor soit tellement resserré qu’il disparaisse.
Politique monétaire : un changement structurel pour le long-terme
Pour l’instant, les banques commerciales ont énormément de réserves, suite aux Politiques Monétaires Non-Conventionelles. La conséquence est que les taux monétaires sont très faibles, au niveau du taux de rémunération des dépôts.
Cependant, la BCE mène actuellement une politique de resserrement quantitatif (QT, pour Quantitative Tightening). La BCE, qui dispose à son actif de beaucoup de dettes d’États, attend petit à petit leur remboursement. Ces remboursements induisent également une baisse des réserves des banques, par le jeu des relations comptables. Pour l’instant, le resserrement du corridor n’aura donc que peu d’impact. Mais dans quelques années, si le QT continue d’être mené, alors il amènera à beaucoup d’évolutions sur le marché monétaire, marché tout aussi crucial pour l’économie que difficile à appréhender.