Prévisions de croissance de l’Insee au 9 septembre 2024
Le point de conjoncture du 9 septembre dernier est riche d’enseignements. Selon l’Insee, la croissance du PIB reste assez atone (+0,2 % au T2 2024), mais sa composition est intéressante. En effet, celle-ci est tirée par les exportations et les dépenses publiques. L’investissement des entreprises et des ménages, tout au contraire, la tire vers le bas.
L’Insee prédit 1,4 % de croissance au troisième trimestre, et –0,1 % au quatrième trimestre. À l’international, les États-Unis se portent bien, de même que l’Espagne, au contraire de l’Allemagne, dont le modèle économique ne semble toujours pas reprendre de couleurs.
L’inflation reflue, autrement dit les prix augmentent de moins en moins vite (c’est ce que l’on appelle la désinflation). Le climat des affaires et le marché de l’emploi suivent une tendance baissière, de plus en plus à cause de facteurs de demande. L’incertitude politique joue également un rôle important. Enfin, le marché de l’immobilier semble être en phase de redressement, après bientôt deux ans de dégradation.
Le PIB trimestriel est la statistique clef pour décrire l’état de l’économie, il est au cœur de tous les points de conjoncture de l’Insee. Cependant, il n’est calculé que trimestriellement, et n’est disponible que plusieurs semaines après la fin du trimestre. Il est par ailleurs soumis à des révisions régulières. Les institutions ont donc développé des méthodes pour estimer le PIB bien avant de pouvoir récolter les données nécessaires à son calcul officiel.
Comment prédire le PIB présent et futur ?
Ce que réalisent l’Insee et les autres institutions pour leurs prédictions de croissance porte un nom en économie : le nowcasting (“prévision immédiate” en français). Les chercheurs Marta Banbura, Domenico Giannone et et Lucrezia Reichlin définissent le nowcasting comme « la prédiction du présent, du futur très proche et du passé très proche ». L’objectif est assez simple : prédire la valeur d’une donnée économique importante mais non observable, comme le PIB, à l’aide d’autres données qui lui sont liées. Pour cela, les institutions et les chercheurs s’appuient sur des données disponibles très vite et à des échelles de temps rapprochées (comme le mois ou la semaine) pour construire une estimation du PIB, qui prendrait sinon beaucoup de temps à calculer. On peut citer, comme données souvent utilisées, la production industrielle ou les sondages d’intention des acteurs économiques. On dit que l’on prédit la “variable de basse fréquence” (le PIB) à l’aide de “variables de haute fréquence”.
Pour résumer, on estime une valeur approchée du PIB à l’aide de données qui sont à notre disposition à l’instant t.
Comment fonctionne le nowcasting ?
Comprendre un modèle MIDAS
L’une des méthodes les plus simples est le modèle MIDAS (Mixed Data Sampling, “à échantillonnage de données mixtes” en français). Il est par exemple utilisé par la Banque de France et la Banque Centrale Européenne, et peut être comparé à une recette de cuisine.
Recette de la prévision du PIB
Nous ne pouvons pas le calculer directement, alors essayons de l’obtenir d’une autre manière. Pour notre recette, nous utilisons un certain nombre d’ingrédients, que nous savons pertinents grâce à l’expérience ou à la théorie économique : ces sont les fameuses variables de haute fréquence. L’un des éléments cruciaux à considérer est le dosage : il nous faut un moyen de déterminer la quantité de chaque ingrédient à incorporer dans la recette. C’est là qu’interviennent les modèles mathématiques, qui utilisent l’historique de long-terme du PIB et de chacune des variables pour y associer des poids. Certains modèles peuvent même indiquer quels ingrédients intégrer ou exclure parmi une liste de centaines de lignes !
Une fois tous les ingrédients assemblés, nous pouvons lancer la cuisson de notre plat. Au début, nous avons une première estimation encore imprécise. Petit à petit, tout va se transformer : les valeurs des variables de haute fréquence vont s’actualiser, et notre estimation le prend en compte. Certaines variables prennent plus d’importance au fur et à mesure. Nous pouvons goûter notre plat tout au long du processus pour nous faire une idée de son goût final. En effet, les modèles MIDAS permettent d’obtenir des estimations intermédiaires avant que les valeurs officielles du PIB soient publiées, et s’en rapprochent semaine par semaine.
Ce n’est qu’une fois la cuisson terminée (plusieurs semaines pour la prévision du PIB) que nous pouvons le comparer avec ce que nous étions censés trouver, à savoir le chiffre officiel du PIB. Mais ce qui compte pour nous, c’est d’avoir obtenu une estimation bien avant ce délai.
L’utilisation des données de haute fréquence explique pourquoi les estimations du PIB sont souvent révisées, les nouvelles informations changeant le résultat des modèles. Par exemple, dans sa note de conjoncture du 9 juillet 2024, l’Insee prévoyait la croissance au troisième trimestre de 0,5 %. Dans son point du 9 septembre, il prévoit finalement une croissance de 0,4 %.
Les révisions peuvent même s’effectuer longtemps après la période considérée, parce que des données de meilleure qualité sont disponibles par exemple.
Comprendre les modèles à facteurs
D’autres méthodes de nowcasting existent. Beaucoup d’entre elles s’appuient sur ce que l’on appelle des modèles à facteurs. Leur objectif est de faire apparaitre le mouvement commun entre les nombreuses variables de haute-fréquence. Bien que chacune d’entre elles connaisse des variations individuelles, elles partagent une ou plusieurs dynamiques communes que l’on appelle des facteurs communs. Or, on peut supposer que le PIB incorpore également ces dynamiques communes. Il est ainsi construit comme une moyenne pondérée des facteurs.
Le “climat des affaires”, calculé par l’Insee, est un exemple de facteur commun. L’institut lance, à chaque fin de mois, des enquêtes dans plusieurs secteurs (industrie, services, commerce de détail…) et récolte un certain nombre d’opinions des entreprises sur l’évolution de la production, les perspectives, les stocks et carnets de commande… L’Insee transforme ces opinions en nombres, puis extrait la dynamique commune au cours du temps, qu’elle appelle “climat des affaires”. Cet indice synthétique est ensuite utilisé pour estimer le PIB.
La myriade de modèles de nowcasting explique pourquoi les différentes institutions ont des estimations divergentes, avec parfois des écarts significatifs. Chacune d’entre elles incorpore ses petites subtilités, et utilise ses jeux de données, afin être à la fois précise et constante dans ses annonces.