Des rachats de banques allemandes qui se multiplient
Rachat de la Commerzbank par UniCredit
Depuis deux semaines, le secteur bancaire allemand est en pleine effervescence après qu’UniCredit, la plus importante banque italienne, a acquis près de 21 % des parts de la Commerzbank. UniCredit deviendrait ainsi son actionnaire principal, devant le gouvernement allemand, qui détient 12 % des actions.
Une brève remise en perspective est nécessaire pour comprendre cette opération. UniCredit est une banque milanaise trouvant ses racines à la fin du XIXème siècle, et plus imposante que la Commerzbank, tant en capitalisation boursière, qu’en revenus ou qu’en nombre d’employés. La banque italienne possède déjà des attaches en Allemagne, avec sa filiale HypoVereinsBank, active principalement en Bavière. Selon le Financial Times, UniCredit avait déjà fait plusieurs propositions à la Commerzbank depuis 2017. Néanmoins, le rachat en cours fut une surprise par son ampleur et sa rapidité. UniCredit a réussi, dans la plus grande discrétion, à arracher 4,5 % du capital lors d’une vente d’actions opérée par le gouvernement.
La chancellerie a d’ores et déjà annoncé son hostilité à ce rachat. Deux raisons économiques peuvent être invoquées. Tout d’abord, La Commerzbank est l’un des prêteurs les plus importants aux PME allemandes, et un rachat par une banque étrangère pourrait entraîner une baisse d’activité domestique. De plus, si un rachat complet devait avoir lieu, de nombreuses fonctions décisionnelles pourraient être déplacées de Francfort à Milan. Plus généralement, la chancellerie perçoit ce rachat comme une perte de souveraineté.
UniCredit ne semble pas vouloir ralentir sa prise de contrôle, ayant demandé aux autorités de supervision l’autorisation de détenir 29,9 % du capital. Le bras de fer financier se transforme jour après jour en bras de fer politique, jusqu’à impliquer le ministre des Affaires étrangères italien.
Revente de la filiale d’HSBC à BNP Paribas
Cette opération n’est pas la seule qui touche le secteur bancaire allemand. La vente de la filiale « banque privée » allemande d’HSBC à BNP Paribas a été actée le 23 septembre. Le total d’actifs sous gestion de BNP Paribas atteint donc maintenant plus de 40 milliards d’euros en Allemagne. BNP Paribas souhaite continuer de développer son activité de banque privée en Allemagne, un marché porteur selon elle. De fait, le grand nombre d’entreprises familiales en Allemagne fait monter la demande pour ce type de service bancaire.
La banque d’investissement néerlandaise ABN Amro Bank NV a, de son côté, acquis la banque privée Hauck & Aufhäuser Lampe Privatbank AG en mai de cette année, pour la somme de 672 millions d’euros.
Le secteur bancaire allemand en souffrance
Une vision d’ensemble du système bancaire allemand est cruciale pour comprendre ce dynamisme des rachats. Le système bancaire allemand est caractérisé par une très forte concentration bancaire, mesurée par la part des actifs possédés par les cinq plus grandes banques d’un territoire. Celle-ci atteint plus de 90 %, contre 78 % en France, 73 % en Italie, ou 60 % au Royaume-Uni. Une telle concentration permet à toute banque étrangère rachetant des parts d’une banque allemande de toucher rapidement un immense marché à grande échelle.
De plus, la quantité de crédits accordés par les banques est en berne, en particulier pour les entreprises et les ménages. Une atonie de la demande règne sur le marché du crédit, rendant le système bancaire vulnérable dans son ensemble.
Enfin, malgré un faible nombre d’agences bancaires sur le territoire (trois fois moins qu’en France), les banques allemandes sont peu rentables. Le rendement du capital (Return On Equity, ROE) et le rendement des actifs (Return On Assets, ROA), utilisés pour mesurer la rentabilité, se sont dégradés pour les principales banques allemandes à partir de 2020, plongeant parfois dans les territoires négatifs. Toutefois, une amélioration notable se produit depuis 2022. Cette perspective semble indiquer qu’avec une restructuration et une rationalisation des coûts, les banques allemandes peuvent atteindre de bons résultats financiers.
Le modèle économique allemand à bout de souffle
Les difficultés que rencontrent les banques allemandes sont en partie liées à la situation économique du pays depuis la crise sanitaire.
La croissance n’est en fait jamais véritablement repartie. La guerre en Ukraine a participé à perturber l’économie outre-Rhin, du fait de la grande fragilité de l’Allemagne face aux variations du prix de l’énergie.
En 2023, l’Allemagne a même connu un recul du PIB. Pour 2024, la Commission européenne prévoit une croissance de tout juste 0,1 %. Ce ralentissement global de l’économie s’accompagne aussi d’une baisse des exportations, mettant en lumière les difficultés que rencontre l’industrie allemande. Sur ce dernier point, on apprend aussi que les faillites d’entreprise sont en forte hausse : +30 % sur les six derniers mois, comparé à l’année dernière. S’ajoute à ces difficultés l’effondrement des prix de l’immobilier résidentiel et commercial, réduisant encore les perspectives de prêts. La locomotive européenne semble ainsi essoufflée et en fin de cycle. Certains analystes annoncent la fin d’un modèle s’appuyant sur une énergie bon marché, de bonnes perspectives d’exportations, et la monnaie unique.
Dans une économie en difficulté, les banques allemandes attirent davantage le regard des grandes banques européennes, qui y voient une occasion de s’implanter sur le territoire allemand. Bien que la conjoncture actuelle soit maussade, les capacités économiques et industrielles allemandes restent très fortes. Les prochaines années nous dirons si les paris d’UniCredit et de la BNP se sont révélés payants.