Les inquiétudes des agences de notation ont pour origine les lourds déficits de l’État et du commerce extérieur de l’archipel ayant cours depuis des années.
Maldives : un paradis en pleine croissance
Pour la plupart des Français, les Maldives sont avant tout synonymes de vacances, de lagons turquoises, et de bungalows sur pilotis. Ce petit archipel de 1200 ilots et 520 000 habitants vit effectivement en grande partie grâce au tourisme, avec près de deux millions de visiteurs en 2023, majoritairement en provenance d’Europe, mais aussi de Chine et d’Inde. Le pays vit également du commerce de produits animaux (surtout de la pêche) qui représente 93% de ses exportations.
De l’extérieur, ce petit paradis semble en bonne forme. Son Produit Intérieur Brut (PIB), de 5,88 milliards d’euros en 2023, à doublé en une quinzaine d’années, une fois l’inflation prise en compte. Selon le Fonds Monétaire International (FMI), la croissance réelle du pays est estimée à environ 5% par an d’ici 2030.
Les Maldives en proie à des déficits insoutenables
Déficit public au Maldives
Pourtant, malgré sa très bonne dynamique économique, synonyme de recettes fiscales, l’État maldivien est au bord de la faillite. L’augmentation très forte des dépenses en est la principale source. En considérant un taux de change constant, elles passent d’environ 760 millions d’euros en 2012 à 2,16 milliards en 2024, soit presque un triplement. Certaines dépenses pèsent particulièrement sur le budget : l’investissement dans le développement (660 millions d’euros) a quadruplé en douze ans, et les cotisations sociales et retraites (320 millions d’euros) ont triplé. En face, les revenus fiscaux suivent certes une dynamique haussière (en particulier grâce à la TVA et aux taxes sur le tourisme), mais moins explosive. Résultat : les dépenses de l’État maldivien représentent plus du tiers du PIB, et le déficit public atteindrait 9,8 % en 2024 selon le gouvernement (le FMI anticipe plutôt 12,2 %). De quoi faire paniquer les marchés et agences de notation.
À titre de comparaison, le déficit public français en 2024 risque d’atteindre 6 % du PIB. Le budget prévisionnel de l’État pour cette année serait de 296 milliards d’euros, soit environ 10 % du PIB. La situation des Maldives est donc bien plus sérieuse, en particulier pour un pays si petit.
Les agences de notations s’alarment tout particulièrement de l’augmentation du service de la dette extérieure pour les prochaines années. Les Maldives devront par exemple trouver plus de 900 millions d’euros pour rembourser leurs créanciers étrangers en 2026. En fait, environ un tiers de la dette publique maldivienne est détenue par des acteurs étrangers, au premier rang desquels la Banque Import-Export de Chine et Banque Export-Import d’Inde, toutes deux publiques, ainsi que divers fonds souverains des pays du Golfe. Les gouvernements des partenaires commerciaux de l’archipel seraient donc directement concernés par un non-remboursement de la dette. Une banque publique indienne a ainsi annoncé une aide au refinancement du déficit maldivien.
L’Islam est la religion d’État aux Maldives. Afin de respecter le droit financier musulman, l’archipel se finance en partie avec des soukouks. Il s’agit en fait d’une quote-part d’un actif duquel l’investisseur tirera une partie des bénéfices.
Déficit extérieur des Maldives
La balance courante de l’archipel est également très déficitaire : 19,4 % du PIB en 2024 selon le FMI. La valeur des importations a sévèrement augmenté ces dernières années. Les importations de produits pétroliers, indispensables le pour le développement des infrastructures et le tourisme, représentent 11% du PIB du pays !
Le pays est en régime de change fixe. La valeur de sa monnaie locale, la rufiyaa, se veut maintenir un taux de change stable avec le dollar.
Les autorités monétaires des Maldives doivent ainsi détenir des réserves en dollar, qui sont utilisées lors des interventions sur le marché des changes. Lorsque la rufiyaa se déprécie, la banque centrale des Maldives intervient en vendant du dollar contre des rufiyaas, faisant augmenter le prix de ces dernières. Or, les réserves de change des Maldives ont chuté à 437 millions de dollars en août, à peine de quoi couvrir un mois et demi d’importations. Les agences de notation craignent donc que les Maldives ne puissent pas maintenir cet équilibre bien longtemps.
Si une crise de change survenait en même temps qu’une crise de la dette, elles se renforceraient l’une l’autre, et plongeraient le pays dans une catastrophe économique sans précédent.
Crise aux Maldives : un futur très incertain
Cette concordance entre déficit public et déficit courant porte un nom : les déficits jumeaux (twin deficits).
Pour que ces déficits soient soutenables, la croissance économique doit suivre, le pays doit trouver des financements extérieurs à des prix raisonnables, et sa monnaie doit conserver sa valeur. Le gouvernement des Maldives communique donc activement pour tenter de rassurer. Ce dernier « reste confiant que les risques fiscaux et extérieurs peuvent être réduits » grâce à des « mesures de contrôle des dépenses », et le « maintien des relations positives avec tous les investisseurs ». Surtout, les pouvoirs publics maldiviens misent sur une excellente performance du secteur touristique pour générer des revenus. Les nombreux investissements, comme dans l’aéroport international de Velana, pourraient porter leurs fruits.
Malheureusement pour le gouvernement, l’agence de notation Fitch ne semble pas adhérer à ces prévisions : « Nous anticipons que le ratio élevé dette publique/PIB […] continuera d’augmenter à moyen terme […], ceci est basé sur notre hypothèse d’un assainissement budgétaire plus lent que celui décrit dans la stratégie budgétaire officielle à moyen terme. »
Le modèle économique des Maldives semble porter une contradiction indépassable. En développant le tourisme, en particulier de luxe, l’archipel se doit d’importer de nombreux biens à même de satisfaire les besoins des visiteurs. La composition des importations est à ce sujet éloquente : pétrole, avions et hélicoptères, bateaux, télévisions et ordinateurs, barres de fer ou encore bouteilles de vin. Le principal atout du pays se retourne ainsi contre lui, et on voit mal quelle porte de sortie ce petit archipel de 300km² pourrait emprunter.