Qu’est-ce que le soft power ?
Le soft power est un concept élaboré par Joseph Nye dans son livre “Bound to Lead: The Changing Nature of American Power” en 1990. Il peut être défini comme la capacité d’un État à influencer les décisions d’autres acteurs internationaux par sa réputation, les préjugés favorables à son égard, sa reconnaissance internationale, son prestige, ou encore l’attractivité de son modèle culturel. Le soft power porte la dimension persuasive du pouvoir, là où le hard power porte sa dimension coercitive. Joseph Nye met en avant trois piliers : les valeurs politiques, la culture, et la politique étrangère. On a tous en tête le soft power américain, exportant partout dans le monde son cinéma, ses jeans et ses fast-foods. Mais on peut également penser au rock anglais, à l’excellence industrielle allemande, aux mangas japonais, ou au réseau diplomatique français.
Le soft power peut être un puissant outil géopolitique, mais est composite, impalpable, et contient toujours une dose de subjectivité. Là où le hard power peut être quantifié par la maitrise de l’arme nucléaire, le nombre de chars ou le budget alloué à la défense, la mesure du soft power réclame une métrique du rayonnement international d’un pays, ce qui semble bien plus délicat.
Comment quantifier le soft power ?
Plusieurs tentatives ont été faites pour quantifier le soft power des différents pays. Il s’agit la plupart du temps d’initiatives privées, parfois soutenues par des universités ou des institutions. Tous s’appuient sur des sondages réalisés dans des dizaines de pays, et embrassent ainsi la subjectivité du concept.
Serhan Cevik et Tales Padilha, dans le document de travail du FMI, proposent une nouvelle méthodologie à contrecourant. Leur objectif est de créer un indice, c’est-à-dire une valeur, qui soit à la fois complète, et reposant sur des variables quantitatives, qu’ils appellent GSPI (Global Soft Power Index). Rentrons plus en détail dans la construction de cet indice.
Les dimensions du soft power
La première étape consiste à décomposer le soft power en plusieurs dimensions.
Les économistes établissent six dimensions :
- La réussite commerciale, mesurée par les investissements étrangers, les brevets et les marques déposées.
- Le rayonnement culturel, mesuré par les exportations de biens culturels, le tourisme, les médailles olympiques et le nombre de sites classés au patrimoine mondial de l’UNESCO.
- L’empreinte numérique, mesurée par l’accès internet et mobile.
- La qualité de l’éducation, mesurée entre autres par le nombre d’articles dans des journaux scientifiques et les différents classements PISA.
- L’action internationale, mesurée entre autres par le nombre d’ambassades et l’immigration.
- La qualité des institutions, mesurée entre autres par des indices de corruption, et de stabilité politique.
Comment créer un indice unique à partir de nombreuses données ?
Une fois les données collectées et traitées, il est nécessaire de développer une méthode d’agrégation. Comment, par exemple, fusionner le montant des investissements étrangers et le nombre de sites classés pour obtenir une mesure unique ?
Les économistes s’appuient sur un outil qui semble à la fois surpuissant et un peu magique : l’Analyse en Composantes Principales (ACP). Il s’agit d’une méthode statistique de réduction du nombre de caractéristiques, permettant de résumer l’information disponible. Voici un exemple d’application.
Supposons que vous vous intéressiez à la qualité des vins français. Pour chaque cuvée, vous pouvez mesurer des dizaines de caractéristiques : son taux d’alcool, sa rondeur, son acidité, sa quantité de tanins, son taux de sucre, son âge, sa robe, ses arômes primaires, secondaires et tertiaires… Toutes ces caractéristiques sont différentes, mais nombre d’entre elles mesurent des propriétés assez proches du vin. Il existe donc une redondance entre elles, et il n’est pas nécessaire d’avoir tout le détail pour estimer correctement la qualité d’un vin.
Une approche intuitive serait de vérifier quelles caractéristiques sont redondantes, et de les supprimer. L’ACP propose une autre voie : créer de nouvelles caractéristiques qui approximeraient les anciennes, tout en étant moins nombreuses. Ces nouvelles caractéristiques sont en fait des combinaisons de celles de départ.
On pourrait imaginer, par exemple, la caractéristique 0,75×rondeur+0,25×acidité, qui résumerait les variations de rondeur et d’acidité parmi les vins disponibles.
Cette ACP est appliquée pour créer l’indice de soft power, tout d’abord par dimension, puis à l’échelle globale. Le soft power est finalement une combinaison des nombreuses caractéristiques des pays résumant au mieux l’information disponible.
Classement des pays selon leur soft power
Les chercheurs du FMI distinguent quatre groupes de pays selon leur soft power.
1 : les pays à faible soft power, en particulier sur les critères d’éducation et d’institutions.
2 : les pays à soft power moyen, qui manquent encore de rayonnement culturel et d’action internationale.
3 : les pays à fort soft power, en particulier dans la dimension culturelle (Italie, France, Chine…).
4 : les pays à fort soft power, en particulier dans la dimension commerciale (Japon et Corée du Sud).
Voici le classement final. Nous trouvons loin devant la Corée du Sud, suivie par le Japon et l’Allemagne. La France se classe sixième, entre l’Italie et les États-Unis.
La Corée du Sud, pays au plus grand soft power
La domination de la Corée du Sud peut sembler curieuse au premier regard mais se comprend très bien en plongeant dans l’analyse. La Corée du Sud a massivement investi durant des décennies dans l’industrie lourde, l’automobile et l’électronique, ce qui en fait un exportateur et un innovateur majeur de l’économie mondiale. Elle est également à la pointe du domaine digital, est bien placée dans les classements PISA, et dispose d’un bon réseau diplomatique. Le seul point faible de la Corée est sa portée culturelle. Même si la Corée est très en vogue chez les jeunes touristes occidentaux et que les productions musicales coréennes touchent la planète entière à travers la K-Pop, la Corée ne peut pas encore rivaliser avec les grands pays culturels, comme la France ou l’Italie. Le Japon est dans une situation similaire.
Le soft power de la France
La France se trouve bien placée, comme la plupart du temps dans les classements de soft power.
Deux facteurs jouent particulièrement en sa faveur : son rayonnement culturel (surtout grâce au nombre de sites classés), et son action mondiale, portée par son réseau diplomatique. En revanche, l’Hexagone pèche par la moindre qualité de l’éducation et l’insuffisante réussite commerciale, qui sont les deux dimensions où des progrès pourraient être menés en priorité.