Acemoglu, Johnson et Robinson ont touché du doigt le plus prestigieux des honneurs, ainsi que les 967 000 euros associés, afin de continuer leurs recherches en toute indépendance financière. Les travaux de ces économistes resteront à jamais des éléments fondamentaux de la science économique.
Qui sont Acemoglu, Johnson et Robinson ?
Daron Acemoglu, James A. Robinson et Simon Johnson sont trois économistes américains. Les deux premiers sont économistes au Massachusetts Institute of Technology (MIT), et Robinson est professeur à l’université de Chicago. Durant les années 2000 et 2010, ils ont mené des travaux empiriques prolifiques mêlant histoire économique et développement. Leurs recherches sont à présent mondialement connues dans la communauté scientifique, et le projet RePEc (Research Papers in Economics) classe d’ailleurs Acemoglu comme le second économiste le plus cité de l’Histoire.
Leur thèse principale est que le cadre institutionnel joue un rôle majeur dans le développement économique des pays. Il s’agit donc d’étudier les différentes institutions à travers les âges et les pays, de mesurer lesquelles ont profité le plus au développement, et d’en tirer des leçons de politique économique. Sont présentés ici certains de leurs travaux de recherche les plus connus.
Le « prix Nobel d’économie » désigne, en réalité, le prix de la Banque de Suède en sciences économiques en mémoire d’Alfred Nobel.
Institutions coloniales et développement
Dans l’article de 2001 « The Colonial Origins of Comparative Development » (en français : Les origines coloniales du développement comparé), Acemoglu, Robinson et Johnson explorent les liens entre les institutions, les politiques coloniales et le développement économique à long terme. Ils avancent l’idée que les différences dans les niveaux de prospérité économique entre les pays peuvent s’expliquer en partie par les institutions de la période coloniale. Les institutions établies dépendaient des conditions de vie dans les colonies : dans les régions où la mortalité des colons était élevée (par exemple en Afrique ou en Asie du Sud-Est), les Européens ont établi un cadre institutionnel extractif, conçu pour exploiter les ressources sans créer de droits de propriété solides ni d’État de droit. En revanche, dans les zones où les conditions étaient plus propices à la colonisation (comme en Amérique du Nord ou en Australie), les Européens ont mis en place des institutions plus inclusives, favorisant la protection des droits de propriété et encourageant les investissements économiques à long terme.
Ces structures institutionnelles ont persisté longtemps après la fin de la colonisation, et influencent donc le développement économique à long terme. Les pays qui ont hérité d’institutions inclusives ont tendance à être plus riches et plus stables, tandis que ceux qui ont hérité d’institutions extractives ont souffert de faibles niveaux de développement et d’instabilité politique.
Ce tableau résume la thèse des trois économistes : il semble exister une relation entre mortalité des colons et richesse, qui s’appuierait sur l’impact de la mortalité sur la qualité des institutions, mesurée par la protection contre l’expropriation.
Pourquoi certains pays réussissent mieux que d’autres ?
Dans leur livre de 2012 « Why Nation Fail : The Origins of Powers, Properity, and Poverty » (en français : Prospérité, puissance et pauvreté : Pourquoi certains pays réussissent mieux que d’autres), Acemoglu et Robinson complètent et synthétisent leurs recherches des différentes trajectoires économiques des pays.
Ils proposent là encore une distinction entre les institutions inclusives (qui protègent les droits de propriété, limitent l’abus de pouvoir et créent un environnement stable pour les affaires) et extractives (qui concentrent le pouvoir économique et politique, dont beaucoup de décisions sont laissées à la discrétion des élites).
La conclusion des auteurs nobelisés est que seuls les États comportant des institutions politiques et économiques inclusives peuvent atteindre des hauts niveaux de développement économique.
Les auteurs soulignent que les économies avec des institutions extractives sont plus sujettes à des politiques économiques incohérentes et imprévisibles, ce qui aggrave les impacts des chocs externes (comme les chocs de prix des matières premières ou les crises financières internationales). Ils prennent comme exemple les nombreuses surchauffes et crises qu’ont subies des pays d’Amérique latine ou d’Afrique subsaharienne, comme l’Argentine et le Ghana. En revanche, dans les économies avancées dotées d’institutions inclusives, comme l’Europe de l’Ouest ou l’Amérique du Nord, la volatilité macroéconomique est plus faible, car les gouvernements disposent des moyens politiques et institutionnels pour réagir de manière proactive aux crises économiques. Or, la stabilité économique est un facteur majeur de croissance, et donc de richesses sur le long-terme.
Durant la conférence de presse de ce lundi 14 octobre, Acemoglu a abordé la situation de la Chine, un pays non-démocratique, mais ayant connu un développement économique sans précédent. Selon Acemoglu, les États extractifs peuvent, en orientant l’économie par contrainte, permettre une forte croissance temporaire. Le manque d’inclusivité apparaitrait en fait comme un frein à la croissance sur le plus long-terme. La situation actuelle délicate de la Chine serait justement une manifestation d’un tel frein.
Ce livre propose une alternative aux théories s’appuyant sur d’autres facteurs pour expliquer les différences de développement, ce qui fait parfois l’objet de nombreuses critiques. Pour Jared Diamond, par exemple, le climat joue un rôle crucial dans le développement, et n’est même pas mentionné dans le livre. Diamond pense entre autres aux zones tropicales, qui, contrairement aux zones tempérées, sont sujettes à de nombreuses maladies infectieuses, lesquelles ont rendu le développement économique difficile. Bien que les institutions semblent bien jouer un rôle important dans le développement économique, la part qui peut leur être attribuée fait encore l’objet de nombreux débats.