Nous nous appuyons sur les deux programmes des candidats disponibles librement sur internet. Kamala Harris synthétise ses propositions économiques dans le livre de politique générale A New Way Forward for the Middle Class. Pour Donald Trump, nous mobilisons à la fois son court programme Make America Great Again!, mais également le Mandate for Leadership: the Conservative Promise, du think tank Heritage Foundation, plus connu sous le nom “Projet 2025”. Il s’agit d’un ensemble de propositions politiques faisant l’état des lieux du consensus et des débats au sein du mouvement conservateur américain. Même s’il n’est pas à proprement parler un programme, il constitue un recueil dans lequel le candidat Trump et son colistier James D. Vance piochent une grande partie de leurs propositions.
Après l’inflation, les politiques aux petits soins de la classe moyenne
La lutte contre l’inflation a marqué l’économie des pays occidentaux depuis 2021, et les États-Unis n’ont pas été en reste. Même si celle-ci est presque résorbée, à 2,4 % en septembre sur l’année passée, elle a fortement marqué les esprits des Américains. La lutte contre l’inflation et pour le pouvoir d’achat de la classe moyenne sont donc des thèmes centraux de la campagne présidentielle.
Les deux candidats partagent le même objectif, ce qui est assez rare pour être souligné, mais leurs méthodes s’opposent frontalement : régulation pour Harris, libre marché pour Trump.
L’interventionnisme : pilier du programme démocrate
Kamala Harris concentre une bonne partie de ses mesures sur les prix de l’alimentaire, qu’elle considère comme parfois excessifs. Elle souhaite donc interdire les politiques tarifaires abusives au regard des coûts de production, et propose un ban fédéral des augmentations « injustes » des prix en situation de crise, afin que « les grandes entreprises n’exploitent pas les consommateurs pour accroître leurs bénéfices ».
Les démocrates entendent favoriser l’augmentation de la production agricole américaine pour inonder les marchés, donc baisser mécaniquement les prix. En parallèle, des propositions en faveur de chaines d’approvisionnement plus robustes couplées garantiraient une offre plus stable. Toujours dans le domaine de l’agroalimentaire, l’actuelle vice-présidente veut revitaliser la compétition entre les revendeurs : « Un marché en bonne santé et compétitif signifie des prix plus bas pour les consommateurs ». Elle annonce ainsi traquer les fusions et acquisitions injustes et identifier de potentielles ententes sur les prix entre distributeurs, afin d’éviter tout monopole ou distorsion des prix.
Harris propose plusieurs mesures pour alléger le coût de l’énergie supporté par les ménages américains. Outre des baisses d’impôts, elle a renoncé à son opposition à la fracturation hydraulique utilisée pour extraire le gaz de schiste. Celui-là permettant au pays d’extraire de très grandes quantités de gaz, et donc, en inondant l’offre, de faire baisser les prix sur le marché, et in fine, sur la facture des particuliers et des entreprises. Cependant, les démocrates n’abandonnent pas l’énergie renouvelable. Au contraire, ils promettent plus d’investissements publics, dans la droite lignée de Biden, pour accroitre sa part dans la production électrique, et en profiter pour créer de la richesse et des emplois. De manière générale, l’intervention de l’État pour réguler l’économie est aux fondations du programme de Kamala Harris.
Le libre marché : phare du programme républicain
Du côté des républicains, si la volonté d’augmenter le pouvoir d’achat de la classe moyenne est partagé, les méthodes diffèrent. Trump étant partisan du « laissez-faire », il s’oppose frontalement au contrôle des prix proposé par le camp démocrate. Pour le candidat républicain, « Kamala est devenue complètement communiste. […]. Après avoir provoqué une inflation catastrophique, la camarade Kamala a annoncé qu’elle voulait instaurer un contrôle socialiste des prix ».
Une partie du programme républicain en faveur du pouvoir d’achat tourne lui aussi autour de l’énergie. Trump propose de lever les restrictions environnementales autour de la production d’énergies fossiles pour accroitre la production globale du pays et faire baisser mécaniquement les prix. Si les conséquences écologiques sont très mauvaises, les prix des factures des Américains devraient s’en retrouver bien allégées.
De manière plus générale, Trump souhaite une grande dérégulation de l’économie domestique, promettant un gain de 11 000 dollars de pouvoir d’achat annuel pour les ménages américains. Il promet de “sabrer dans les réglementations qui étouffent l’emploi, la liberté et l’innovation et qui rendent tout plus cher”, de réduire les impôts en coupant les “dépenses publiques inutiles”, et de stopper l’immigration illégale, qui ferait pression à la hausse sur le coût du logement, de l’éducation et des soins de santé.
Ce que dit la science économique de l’intervention de l’État
Le nombre de travaux économiques abordant l’intervention de l’État dans l’économie, pour réguler ou orienter les prix, est colossal. Cependant, quelques consensus émergent sur les thèmes abordés par la campagne américaine. Au sujet de la hausse des prix, de ses origines et possibles résolutions, nous pouvons nous appuyer sur un panel de 41 économistes d’universités américaines qui ont répondu à trois questions portées par la Chicago Booth.
L’inflation qu’ont subie les États-Unis après la pandémie n’est, selon une grande majorité du panel, pas due à l’existence de monopoles ou d’autres distorsions de marché. Les économistes pointent du doigt le fait que la concentration des entreprises aux États-Unis n’a pas évolué, et qu’elle ne peut être, au mieux, qu’une cause mineure de l’envolée des prix. Les mesures proposées par Harris pour lutter contre les distorsions de marché (ententes et monopoles) ne font clairement pas consensus. Beaucoup jugent que la lenteur de ces processus les rend très inefficaces, au moins sur le court-terme, pendant les périodes de crises mentionnées dans le programme.
Concernant le contrôle des prix, les avis sont plus mitigés. Même si un quart des économistes pense que cela peut réduire l’inflation, beaucoup soulignent que cela n’aurait que des effets de court terme, entraînant une inflation possiblement encore plus forte dans le futur, ainsi que des pénuries, du chômage et le développement d’un marché noir. Dans la théorie économique dominante, si les prix ne peuvent pas se déplacer vers leur équilibre, alors les entreprises produisent moins, et donc embauchent moins (voir par exemple, les travaux de Gregory Mankiw, Small Menu Costs and Large Business Cycles). Ces éléments de réponse viennent ainsi plutôt contredire les propositions de Kamala Harris.
Cependant, les travaux de grands économistes se portent parfois en faveur d’une intervention de l’État dans les processus de marché. Dans l’introduction de son livre A theory of price controls, John Kenneth Galbraith défend le contrôle des prix, utilisé intelligemment : “Le contrôle des prix et des salaires […] n’est pas une réponse complète […] mais est une composante nécessaire de n’importe quelle stratégie [de lutte contre l’inflation]”. Autrement dit, même si le consensus actuel voit le contrôle des prix d’un mauvais œil, la pensée économique reste très hétérogène à ce sujet.