Harris vs Trump : les États-Unis doivent-ils livrer une guerre commerciale pour protéger leur industrie ?

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À l’approche d’une élection cruciale pour la première économie mondiale, les débats sur la politique économique des deux candidats à la présidentielle américaine, Kamala Harris et Donald Trump, s’intensifient. Après un premier article de notre série consacré à l’interventionnisme de l’Etat en politique économique intérieure, le présent article se penche sur la politique commerciale.

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L’hégémonie américaine est remise en cause depuis plusieurs années, en particulier sur le plan économique. Le développement des BRICS, surtout de la Chine, incite de nombreux commentateurs à évoquer une “nouvelle multipolarité”. La politique commerciale des États-Unis a donc un rôle crucial à jouer pour maintenir, autant que possible, leur place de première économie du monde. La position à adopter face à la Chine, qui inonde les marchés mondiaux de toujours plus de produits à haute valeur ajoutée pose question. Est-il possible de lutter contre la surproduction de l’Empire du Milieu ? Et est-ce souhaitable ? Et si oui, avec quels outils exactement ?

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La guerre commerciale de Trump

Le candidat républicain se veut très agressif dans son approche du commerce international. Il annonce ainsi une véritable guerre commerciale avec les autres puissances économiques, en taxant les importations de produits étrangers. Une taxe estimée à 10 % pour l’ensemble des importations est souvent mentionnée dans les discours de l’ancien président.

En outre, Trump souhaite adopter le “Reciprocal Trade Act”, une loi du talion appliquée au commerce international. Trump résume simplement l’idée : “les autres pays auront deux choix : ils supprimeront leurs droits de douanes sur nos produits, ou ils nous paieront des centaines de milliards de dollars, et les États-Unis gagneront une fortune absolue”.

Pour Trump, les droits de douane sont un outil de politique économique fondamental, en particulier pour protéger les entreprises américaines, et donc les emplois, de tout déferlement de production étrangère. Ils permettraient également de combler le déficit extérieur. En effet, les États-Unis importent structurellement bien plus qu’ils n’exportent, ce que l’ancien président voit d’un très mauvais œil.

Certains secteurs et pays se trouvent particulièrement dans la ligne de mire républicaine. Au tout premier rang desquels la Chine, accusée de concurrence déloyale et d’agression économique. Le secteur automobile, considéré comme stratégique, est probablement le plus concerné par les droits de douane. Dans un discours du 11 octobre 2024, Trump annonce que les constructeurs chinois “vont devoir payer une taxe de 100 %, voire de 200 %”. Autant dire que l’on est presque au stade du bannissement.

L’ambition de Trump en matière commerciale ne fait pas consensus, même au sein de son propre camp. Dans le Projet 2025, Kent Lassman, président du Competitive Enterprise Institute, défend l’idée que le protectionnisme “tend à affaiblir la sécurité américaine”, et qu’il détruit plus d’emplois qu’il n’en crée.

Harris : une politique dans la droite ligne de Biden

La politique commerciale est bien moins centrale dans le programme démocrate. Harris dénonce cependant les effets délétères de la politique commerciale de Trump, qui aggraverait l’inflation, réduirait la croissance, et augmenterait le risque de récession. Mobilisant plusieurs travaux d’économistes, Harris fait état d’une augmentation des coûts de 4000 dollars par an pour une famille américaine moyenne. La candidate démocrate promet cependant de protéger le pays contre les pratiques commerciales chinoises déloyales. On pourrait donc s’attendre à une certaine continuité, maintenant les droits de douane instaurés sous Trump et étendus par Biden.

Que dit la science économique sur le protectionnisme ?

Une controverse de longue date

En économie, la question du libre-échange face au protectionnisme est un véritable serpent de mer. Il est en fait l’une des toutes premières controverses de la science économique naissante, il y a plus de 300 ans.

Dans la pensée mercantiliste du XVIIème siècle, le protectionnisme permet d’avoir une balance extérieure excédentaire, prérequis à l’augmentation de la richesse nationale. Pour l’école historique allemande du XVIIIème siècle, il permet de protéger et de développer les industries nationales. Au contraire, dans la pensée libérale du XVIIIème siècle, le protectionnisme est un obstacle à la spécialisation des pays dans leur domaine de prédilection, empêche la bonne allocation des ressources, et augmente le prix des biens pour les consommateurs.

De nombreux travaux théoriques et empiriques évaluent la pertinence des mesures protectionnistes, et la majorité conclut que les conséquences négatives sont supérieures aux bénéfices annoncés. Il existe cependant des nuances : dans leur article de 2010 The Structure of Tariffs and Long-Term Growth, les économistes Nunn et Trefler montrent que les droits de douane protégeant les industries domestiques innovantes sont corrélés à une meilleure croissance économique, en partie car cela permet d’orienter vers ce type d’industrie à haute valeur ajoutée.

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Évaluer la politique commerciale de Trump

Lorsqu’un droit de douane est appliqué sur un bien produit à l’étranger (par exemple, les panneaux solaires chinois), alors une partie de la valeur du bien revient à l’État. Il existe ainsi une charge partagée entre le consommateur et l’entreprise chinoise exportatrice, mais l’effort de chacun reste à définir. Est-ce que c’est plutôt l’exportateur qui baisse son prix avant taxe pour rester attractif, ou le consommateur qui paye le panneau solaire plus cher une fois la taxe appliquée ? Dans le premier cas, le droit de douane peut être assimilé à un transfert de valeur de l’exportateur vers l’État. Dans le second, il s’agit d’un transfert du consommateur domestique vers l’État.

Le droit de douane fait toujours perdre le pays exportateur (soit par le prix, soit par les quantités). Mais l’effet sur le pays importateur dans son ensemble est ambigu : les recettes supplémentaires compensent-elles les contraintes sur le consommateur ? En considérant l’ensemble des produits concernés par les droits de douane, Amiti, Redding et Weinstein, dans un article de 2019, montrent que les prix avant taxe n’ont quasiment pas changé. Autrement dit, la charge du droit de douane est surtout supportée par le consommateur américain. A première vue, la politique commerciale mise en place par Trump (et par ailleurs continuée sous Biden) ont bien dégradé le pouvoir d’achat des consommateurs et été un facteur d’inflation.

Cela étant, d’autres effets sont mesurés par la littérature. Les droits de douane, bien qu’ayant affecté négativement l’économie américaine, ont également affaibli l’économie chinoise, probablement dans une plus grande magnitude. Dans une perspective de guerre économique, le protectionnisme américain pourrait donc être un bon calcul. Reste à savoir si une telle posture vaut le coup d’être adoptée.

Les implications de plus long-terme du protectionnisme, en particulier permettant la protection et le développement des industries stratégiques américaines, ne font pour l’instant pas l’objet d’un consensus scientifique. Le recul de quelques années supplémentaires nous dira si cette stratégie a ou non porté ses fruits dans cette perspective cruciale de domination économique.