Élections américaines : un contexte de fort flux migratoires
Les débats sur le thème de l’immigration sont très vifs durant cette campagne. Entre octobre 2022 et septembre 2023, les Etats-Unis ont enregistré un nombre record de plus de 2,4 millions d’entrées illégales à la frontière avec le Mexique. Ces migrants, venus de toute l’Amérique centrale et du Sud, mais également d’Afrique et d’Asie, viennent avant tout aux États-Unis pour y trouver un travail bien rémunéré.
Ces chiffres impressionnants ne manquent pas de faire réagir le camp républicain. L’administration fédérale répond à plusieurs reprises pour tenter d’endiguer le phénomène, avec un succès mitigé. Comme en France, l’immigration est ainsi l’une des principales préoccupations des électeurs américains durant la campagne.
Harris : dans la continuité de Biden
Kamala Harris n’a que peu évoqué cette thématique lors de la présente campagne, le sujet étant assez épineux pour les démocrates. Elle souhaite cependant réformer un système d’immigration jugé « cassé », et soutient l’accord bipartisan trouvé au Sénat en février dernier, mais rejeté par la suite par le camp Trump. Cet accord prévoit des restrictions plus sévères dans le traitement des demandes d’asile, et la possibilité de fermer la frontière mexicaine en cas de trop forte affluence. Harris se dresse donc dans une ligne de politique migratoire assez dure pour une démocrate, en réponse à cette conjoncture inédite.
L’immigration, éternel cheval de bataille de Trump
De son côté, Donald Trump fustige l’accord bipartisan. Il veut plus de contrôles aux frontières, plus de moyens, expulser un nombre record d’immigrés illégaux, et limiter l’accès aux musulmans étrangers, comme il l’avait fait lors de son précédent mandat. Il accuse l’immigration illégale d’être à l’origine de beaucoup des maux du pays. Les migrants illégaux voleraient le travail de citoyens américains, pèseraient sur les finances du Medicare, feraient augmenter les loyers, et commettraient de nombreuses exactions sur l’ensemble du territoire. La dimension économique de l’immigration n’est donc qu’une perspective parmi beaucoup d’autres dans le programme du candidat républicain.
Quels sont les effets économiques de l’immigration
La littérature économique sur l’immigration et ses effets est très fournie. Essayons de décortiquer l’état des connaissances sujet par sujet.
Effet de l’immigration sur le marché du travail
Concernant l’effet sur le marché du travail, l’économiste français Anthony Edo a publié une revue de littérature complète en 2019 (The Impact Of Immigration On The Labor Market), dont on peut tirer trois enseignements principaux.
Premièrement, l’impact général de l’immigration sur le salaire et l’emploi des travailleurs natifs est négligeable ou positif. Un effet négatif peut cependant surgir en cas de vague migratoire soudaine et massive.
Deuxièmement, la rigidité du marché du travail (salaire minimum, droits au chômage…) peut jouer un rôle en cas de fort afflux migratoire. Quand le marché du travail est rigide, les salaires sont préservés, mais le chômage a tendance à augmenter. A l’inverse, quand le marché est flexible, il peut exister une pression à la baisse sur les salaires, mais l’emploi reste stable.
Troisièmement, l’immigration a un impact différencié selon les compétences des travailleurs. Les migrants ont tendance à dégrader les conditions des travailleurs aux compétences similaires, et à améliorer celles des travailleurs aux compétences complémentaires.
Puisqu’en général, les vagues d’immigration qui se succèdent se ressemblent, les effets négatifs de l’immigration sur le marché du travail touchent surtout les migrants des précédentes vagues. Hormis cas particulier, l’immigration n’a donc pas de potentielles conséquences dramatiques sur le marché du travail.
Effet de l’immigration sur le système de santé
L’impact de l’immigration sur le financement du système de santé dépend bien entendu du pays. Dans une revue de 2018, Flavin et al. compilent les recherches sur les recettes et les coûts engendrés par l’immigration des systèmes de soin britannique et américain. Ils montrent que les migrants “sont des contributeurs nets au fonds de l’assurance-maladie ». En fait, les dépenses de santé des migrants aux États-Unis représentent à peine plus de la moitié de celles des natifs (en raison de la difficulté d’accès au soin et aux assurances, d’une meilleure santé générale…). Puisque dans le même temps, les migrants cotisent (via des impôts directs ou indirects), alors l’effet global est positif. Aux États-Unis, l’immigration ne pèse donc pas sur le système de santé, au contraire.
Effet de l’immigration sur les prix de l’immobilier
Enfin, selon la littérature, l’immigration fait bien augmenter les prix de l’immobilier et les loyers. Dans un article de 2020, Cochrane et Poot montrent qu’en moyenne, une augmentation de 1 % de l’immigration fait augmenter les loyers de 0,75 %, et les prix de 1,5 %. Cela étant, une grande hétérogénéité existe, selon l’époque et le lieu. Il existe de nombreux effets indirects, liés par exemple au déplacement des populations natives à d’autres endroits. Au total, l’immigration explique une faible part de la hausse des prix de l’immobilier ces dernières décennies, surtout influencée par la construction, l’offre de crédit et la spéculation.
Dans son ensemble, la littérature penche donc plutôt vers des effets économiques positifs de l’immigration : il ne semble pas exister de grand péril sur l’emploi, la santé et le logement. Les effets sur la cohésion sociale, les pratiques culturelles ou la criminalité font eux l’objet d’autres littératures et débats.