Taux d’emprunt de la France : faut-il s’inquiéter ?

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Les taux d’emprunt de la France sur les marchés financiers ont récemment connu de fortes hausses, à tel point que la France emprunte aujourd’hui parfois à des taux supérieurs à ceux de la Grèce. De plus en plus d’observateurs s’inquiètent de la situation, qui ne semble pas s’améliorer au fil des semaines. Cette dynamique est-elle inédite, et surtout est-elle inquiétante ?

La situation actuelle du marché obligataire français

Courbe des taux de la France : est-ce une première ?

Une première interrogation est de déterminer si ces niveaux de taux sont inédits ou non. Le Graphique ci-dessous représente la courbe des taux de la France à quatre dates différentes (en 2024 et en 2023). Sur l’axe des ordonnées, nous trouvons le niveau de taux auquel la France emprunte. Sur l’axe des abscisses, nous trouvons la maturité associée. Évidemment, plus le taux d’intérêt est élevé, plus les montants des remboursements le seront.

Comparaison courbe des taux de la France à différentes temporalités

Le deuxième point de la courbe orange, par exemple, peut être lu comme ceci : « le 1er octobre 2024, la France empruntait à 2,26 % pour une maturité de deux ans. »

Le graphique permet de conclure que la France n’emprunte pas plus cher aujourd’hui qu’il y a un an. Elle est certes en nette augmentation depuis un mois, probablement en lien avec la difficulté à adopter le budget 2025, mais tout cela reste encore dans la norme. Peut-on pour autant dire que la situation n’est pas alarmante ? La réponse est plus subtile.

Une hausse soutenue du taux d’intérêt réel

Ne s’intéresser qu’à la valeur nominale des taux d’intérêt auxquels un État emprunte cache souvent une grande partie de l’histoire. En économie, il faut toujours interpréter le taux d’intérêt au regard de l’inflation. En effet, les variations de prix dans l’économie modifient la valeur réelle des dettes et des avoirs des acteurs.

Imaginons que vous fassiez un prêt à hauteur de 1 000 euros, à 2 % par an. Vous payez donc un intérêt de 20 euros par an. Cela étant, le pouvoir d’achat permis par 20 euros dépend des prix en vigueur dans l’économie. Si les prix et les salaires augmentent, alors les 20 euros représentent un pouvoir d’achat plus faible. L’inflation fait donc perdre de la valeur à la dette et aux intérêts.

Il est donc courant de mesurer les conditions de financement à l’aide du taux d’intérêt réel, calculé comme l’écart entre le taux d’intérêt nominal et le taux d’inflation.

Or l’inflation a nettement diminué depuis plus d’un an maintenant (autrement dit, les prix augmentent moins vite). Puisque, dans le même temps, les taux d’emprunt de la France n’ont pas diminué, alors le taux d’intérêt réel grimpe !

Comparaison entre l'inflation sous-jacente et le taux d'emprunt

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Alors qu’en novembre 2023 le taux d’intérêt réel sur 10 ans s’élevait à – 0,52 %, il est aujourd’hui à 1,73 %. Soit un écart de 2,25 points de pourcentage en un an ! Si on prend en compte le contexte politique et budgétaire tendu en France, on pourrait interpréter cette hausse du taux d’intérêt réel comme une augmentation de la prime de risque par les investisseurs. Ceux-ci ont moins confiance dans la capacité de la France à contrôler sa situation budgétaire. En contrepartie, ils demandent donc que l’État français leur verse des intérêts plus élevés sur sa dette.

La conséquence pour l’État est sévère : la dette, coûtant plus cher, occupe une part de plus en plus importante dans son budget. Les perspectives de croissance n’étant pas très élevées, on ne peut pas espérer une augmentation des recettes fiscales pour couvrir cette charge supplémentaire, sauf changement radical sur les impôts.

La France fait-elle moins bien que les autres pays développés ?

Pour savoir si cette hausse des taux touche particulièrement la France, il peut être intéressant de comparer les dynamiques dans les autres pays européens. Le graphique 3 représente l’évolution des taux obligataires à 10 ans depuis le 1er janvier 2023 pour la France, l’Italie, l’Allemagne, l’Espagne, la Grèce, le Royaume-Uni et les États-Unis.

Comparaison des courbes des taux à 10 ans depuis le 01/01/2023

La chose la plus frappante est la baisse de l’écart entre les taux français et les taux grecs et espagnols. Depuis novembre, la France, l’Espagne et la Grèce ont même des rendements sensiblement identiques, ce qui est tout à fait inédit depuis une quinzaine d’années. La France était auparavant considérée comme l’un des pays les plus sûrs de la zone, juste derrière l’Allemagne ou les Pays-Bas. Force est de constater que cela ne semble plus être le cas pour l’instant.

On peut cependant s’interroger sur les taux pratiqués aux États-Unis et au Royaume-Uni. En fait, dans les deux cas, ils ont pour origine le niveau des taux directeurs de la Fed et de la Banque d’Angleterre qui sont plus élevés que ceux de la BCE, et ne sont pas le signe d’un risque nécessairement plus grand. La comparaison n’est donc pertinente que dans une même zone monétaire, et donc au sein de la zone euro dans notre cas. Dans ce cadre, la France est en train de se faire rattraper par la plupart des pays du Sud qui ont repris des couleurs depuis la crise des dettes souveraines il y a une dizaine d’années.

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Les origines de la situation française

La France est instable politiquement, a une croissance faible et un déficit très important. En comparaison, l’Espagne, le Portugal et la Grèce ont remonté la pente en 10 ans. Ils ont une croissance bien plus forte, une situation politique plus stable et donc de meilleures perspectives.

Or, en cette période budgétaire très contrainte, une hausse des taux de rendement des obligations françaises vient alourdir le coût de la dette pour l’État. Pourtant, la France a un agenda d’investissements bien rempli (transition énergétique, développement durable, etc.) que la contrainte budgétaire vient grignoter. Si la situation française n’est pas comparable à celle de la Grèce en 2010, un cercle vicieux pourrait toutefois s’enclencher si rien n’est fait pour réduire le déficit budgétaire de l’État français.

Il convient pour autant de ne pas paniquer outre mesure. La dette française reste très liquide, il y a toujours plus de demande que d’offre. Il n’y a donc pas d’effondrement du marché de la dette, mais une hausse des prix provenant d’une défiance envers l’État français.

Les marchés évoluant très vite, les taux pourraient rapidement baisser, à condition que les politiques économiques et budgétaires du gouvernement soient convaincantes. Les prochains jours seront, dans cette perspective, probablement décisifs.