Une conjoncture économique en demi-teinte
En 2024, le marché du travail ralentit fortement en termes de création de nouveaux emplois (environ 255 000 cette année, contre 390 000 en 2023). Le taux d’emploi est cependant au plus haut et le taux de chômage au plus bas depuis quarante ans. Parallèlement, l’inflation se modère nettement : elle s’établit à 1,2 % sur un an en octobre. La hausse des prix est désormais principalement tirée par les services, contrairement aux années précédentes où les prix de l’alimentation et des biens pesaient davantage.
Cette modération de l’inflation s’accompagne d’un ralentissement de la hausse du Smic, avec une augmentation de 1,1 % au deuxième trimestre 2024. Depuis fin 2020, le Smic a progressé de 17 %, tandis que les prix ont augmenté de 15 %. Les revalorisations successives du Smic ont ainsi protégé efficacement le pouvoir d’achat des salariés faiblement rémunérés.
Toutefois, la hausse soutenue du Smic a entraîné un resserrement des salaires, car les autres rémunérations ont décroché par rapport à l’inflation. En clair, les salaires situés au-dessus du Smic évoluent moins vite, ce qui contribue à une compression salariale : c’est la fameuse « smicardisation » décriée depuis déjà de longues années en France.
Au début des années 2000, le salaire médian pour les employés à temps plein du secteur privé était d’environ 1,36 Smic. Il pointe aujourd’hui à environ 1,20.
Différence entre moyenne et médiane
Quelles recommandations du groupe d’experts Smic ?
Le groupe d’experts recommande donc de ne pas accorder de « coup de pouce » supplémentaire au Smic l’année prochaine : une nouvelle hausse contribuerait davantage à cette « compression très française des salaires ».
L’économie française souffre d’un niveau structurellement élevé de chômage. Selon le rapport, une nouvelle hausse du Smic pourrait de surcroît peser sur l’emploi, en particulier sur celui des personnes les plus vulnérables. Lutter contre la pauvreté des travailleurs ne passerait pas uniquement par le salaire minimum, mais aussi par la réduction des temps partiels contraints et la lutte contre l’enchaînement des contrats courts.
Le rapport préconise également de favoriser la mobilité salariale et professionnelle. S’appuyant sur les résultats de la mission Bozio-Wesmer, publiés en octobre dernier, le groupe d’expert souligne que la hausse du coût employeur pour financer des augmentations de salaire rend cette mobilité difficile. À partir du Smic, une hausse de 10 % du salaire brut n’entraîne qu’une augmentation de 2,5 % du revenu net pour un couple mono-actif, notamment du fait de l’impôt sur le revenu et de la baisse de la prime d’activité. Le surcoût employeur est presque deux fois plus élevé en France qu’en Allemagne ou aux Pays-Bas.
Dans cette optique, le groupe d’experts recommande de conserver les allégements de cotisations patronales au niveau du Smic afin de ne pas alourdir le coût du travail. Ces mesures protègeraient indirectement jusqu’à 2 millions de salariés. Il recommande également de soutenir la négociation collective et d’augmenter le délai de prévenance de la hausse du Smic, afin de donner davantage de visibilité aux employeurs comme aux salariés.
Enfin, le rapport appelle à une réforme structurelle des règles de revalorisation du Smic. Une proposition pourrait être de calculer les évolutions du Smic en fonction des évolutions du revenu médian, afin de rétablir une dynamique salariale plus équilibrée et d’améliorer le fonctionnement du marché du travail.
Bien entendu, la composition et les recommandations du groupe d’experts ne font pas l’unanimité. Plusieurs syndicats de premier plan ont réagi.
Force Ouvrière reproche notamment une « position assez dogmatique » contre la hausse du Smic.
La CGT dénonce une absence de pluralisme du groupe d’experts, et préconise la création d’un Conseil d’orientation des salaires, sur un modèle équivalent au Conseil d’orientation des retraites.
Sur le fond, la CFDT propose l’intégration de clauses d’augmentations de salaires dans les conventions collectives après deux ans de Smic. Elle porte également l’idée de remplacer certains allègements de cotisations en « aides directes conditionnées à l’amélioration de la qualité de l’emploi. »