Déficit public 2024 : pourquoi n’a-t-il pas été anticipé ?

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Dans sa note publiée le 20 janvier 2025, la direction générale du Trésor propose une première synthèse des raisons ayant entrainé le dérapage du déficit en 2024, et explique pourquoi il n’a pas été anticipé correctement par les services du ministère de l’Économie et des Finances.

En 2024, le budget de l’État a souffert d’un déficit supplémentaire de l’ordre de 50 milliards d’euros, portant le total du déficit à 180 milliards, soit 6,1 % du Produit Intérieur Brut (PIB). La note, très technique, rentre dans les rouages des finances publiques, entre encaissement de l’impôt sur les sociétés (IS) et élasticité des prélèvements obligatoires. Tentons d’en décrypter les principaux enseignements.

Un contexte économique incertain

La prévision des agrégats économiques, en particulier du PIB et de l’inflation, est évidemment un élément central de l’analyse. En effet, la plupart des recettes fiscales s’appuie sur la création de nouvelle richesse : impôt sur les sociétés, impôt sur le revenu, Taxe sur la Valeur Ajoutée… Une partie des dépenses est elle aussi fortement influencée par la conjoncture économique, comme les droits au chômage. Autrement dit, croissance économique et déficit public sont intrinsèquement reliés. Les variations de prix de biens et de services ont elles aussi des conséquences majeures.

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Pour prédire le déficit, il faut donc prédire les agrégats économiques de PIB et d’inflation. Plus les dynamiques des agrégats économiques sont stables et en accord avec les modèles, plus les prévisions de dépenses et de recettes de l’État seront fiables. Or, les prévisions budgétaires pour 2023 et 2024 ont été réalisées dans un environnement macroéconomique d’une rare instabilité. La forte hausse des prix de l’énergie en 2022 combinée à un resserrement rapide de la politique monétaire a bouleversé les bases des prévisions.

En 2023, la croissance du PIB a été révisée plusieurs fois, passant d’une estimation à 4,6 % à un relèvement à 6,8 %, pour redescendre finalement à 6,3 %. La désinflation soutenue en 2024 a là aussi conduit à une révision à la baisse de la croissance nominale.

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Effets de composition de la croissance

Si la croissance du PIB est difficile à prévoir, sa composition l’est encore plus. En effet, une croissance de 5 % du PIB n’a pas le même effet sur le déficit si elle est tirée par la consommation des ménages, l’investissement des entreprises, ou les exportations vers le reste du monde. Typiquement, chacune des composantes du PIB n’est pas taxée de la même manière. En 2024, la composition de la croissance a changé, cette dernière est moins portée par la demande des ménages et plus par les exportations et la demande publique. Or, celles-ci ne sont pas soumises à la TVA, qui s’ajuste donc à la baisse. Cette variation de « l’élasticité » des prélèvements obligatoires a joué un rôle majeur dans les erreurs de prévisions ces dernières années.

Un dynamisme inattendu des dépenses publiques

Alors que l’État a pu contenir ses dépenses grâce à des décrets d’annulation et un gel de crédits, les collectivités locales ont enregistré une forte hausse de leurs dépenses de fonctionnement (+ 8 milliards) et d’investissement (+ 5,4 milliards) par rapport aux prévisions. Ces dépenses « dynamiques » reflètent les délais d’ajustement aux pressions inflationnistes et une mobilisation de leur trésorerie accumulée. En parallèle, les dépenses sociales, portées par l’assurance maladie et le chômage, ont dépassé les prévisions de 3,5 milliards. Certaines mesures non planifiées, comme la sortie du bouclier tarifaire, ont eu un effet compensatoire, mais les montants sont cependant bien insuffisants.

La répercussion des imprévus de 2023

En fait, environ les deux-tiers du déficit inattendu en 2024 prend racine dans les erreurs de prévision de 2023. On l’a vu, prévoir avec précision les recettes et les dépenses est un exercice périlleux. Seulement, deux difficultés supplémentaires viennent s’ajouter : le délai de récolte des données, et les effets de reports.  En fin d’année 2023, une fois le PLF 2024 établi, les retours sur la croissance ont montré une dégradation des finances publiques (en lien avec l’élasticité des prélèvements mentionnée plus haut). D’autres chiffres n’ont été rendus disponibles qu’en début d’année 2024. À ce problème se combinent les effets de report qui caractérisent un certain nombre de prélèvements, comme l’impôt sur les sociétés. L’IS de 2023 est perçu sous forme d’acomptes et de versements en 2023, et est soldé en 2024. Une dégradation de la conjoncture économique en 2023, surtout détectée tardivement, a donc impacté les finances publiques pour 2024, car le solde pour l’IS 2023 et les acomptes pour l’IS 2024 se sont tous vus affectés à la baisse. En somme, une erreur de prévision sur une année se répercute, et peut même s’amplifier, sur les années futures.

Cet épisode souligne l’importance d’une meilleure anticipation des aléas économiques et d’une plus grande réactivité budgétaire. Pour l’année 2025, les décideurs publics doivent maintenant trouver une porte de sortie à ce déficit structurel inédit, sous peine de voir le taux d’intérêt des emprunts français continuer de monter en flèche.