États-Unis : une escalade des tensions préoccupante
Donald Trump exprime régulièrement son mécontentement envers la politique monétaire de la Fed et son président Jerome Powell. Le 17 avril dernier, il déclarait sans ambiguïté : « Je ne suis pas content de lui. Je lui ai fait savoir et si je veux qu’il parte, il partira vite fait, croyez-moi« . Quelques jours plus tard, le 21 avril, il le surnommait même « M. Trop Tard« , critiquant ainsi la temporalité des décisions de la banque centrale américaine. Il est rarissime pour un président américain de remettre ainsi en cause la politique monétaire de la banque centrale, qui est censée être indépendante du pouvoir exécutif.
Une baisse des taux à tout prix ?
L’origine de ces tensions est claire : Trump souhaite que la Fed abaisse rapidement ses taux d’intérêt directeurs. Dans le logiciel du président américain, cette baisse entraînerait plusieurs conséquences positives.
Coût de la dette réduit et relance économique
Tout d’abord, le financement de la dette américaine serait moins coûteux. Les taux d’intérêt fixés par la banque centrale irriguent toute l’économie, et déterminent en grande partie les taux d’intérêt des obligations américaines. Autrement dit, une baisse des taux de la Fed diminue les intérêts que le gouvernement fédéral paye sur sa dette !
Plus généralement, des taux d’intérêt plus faibles encouragent l’investissement et la consommation, et sont donc vertueux pour accélérer la croissance économique dans son ensemble.
Baisse du dollar et hausse des exportations
Surtout, des taux d’intérêt plus faibles, par ce qu’ils font baisser le rendement des actifs américains, découragent certains capitaux étrangers de se déployer aux Etats-Unis. Ce désintérêt provoque une chute du dollar par rapport aux autres monnaies. Et oui, si personne ne veut investir aux Etats-Unis, personne ne demande de dollar, donc son prix baisse !
Or, la dépréciation du dollar est un mantra du président Trump. Ce dernier cherche à tout prix à réduire le déficit commercial américain. En effet, un dollar plus faible avantage les exportateurs, et découragent les importateurs. Une dépréciation tend donc à faire diminuer le déficit commercial.
Supposons un constructeur automobile américain, qui exporte ses voitures en Europe. Il produit une voiture aux Etats-Unis et, en prenant en compte sa marge, la vend à 20 000 dollars. Il l’exporte en Europe la vend pour 20 000 euros (le taux de change, dans cet exemple, est de 1 euro pour 1 dollar). Supposons maintenant que le dollar se déprécie (un dollar vaut maintenant 0,9 euro). Le constructeur la vend toujours pour 20 000 dollars aux Etats-Unis, mais sa valeur en euros est maintenant de 20 000*0,9 = 18 000 euros. Il peut donc ainsi gagner des parts de marché, puisqu’il vend moins cher, ou bien augmenter sa marge.
Indépendance des banques centrales et lutte contre l’inflation
Mais alors, la baisse des taux d’intérêt serait-elle la solution ? Les avantages qu’elle procure sont si intéressants qu’il semble idiot de s’en priver. Pourtant, la baisse des taux directeurs entraîne une conséquence négative majeure : l’inflation. Pour comprendre le statut d’indépendance des banques centrales, qui semble parfois nébuleux, voire anti-démocratique, il est nécessaire de faire un peu d’histoire et de théorie économique.
Dans de nombreux pays, la banque centrale était, à l’origine, étroitement liée à l’État et intervenait pour financer directement certaines dépenses publiques (notamment les guerres). Deux voies étaient possibles : l’émission d’obligations souscrites par le secteur privé, ou les avances et achats directs de titres par la banque centrale, c’est‑à‑dire la monétisation de la dette. Cette seconde solution offre à l’État un véritable « espace budgétaire », mais, en l’absence de garde‑fous crédibles, elle tend à accroître la quantité de monnaie en circulation et donc les pressions inflationnistes.
Une inflation d’abord modérée peut s’emballer, déboucher sur une inflation chronique voire une hyperinflation, éroder la confiance dans la monnaie et fragiliser l’ensemble de l’activité économique. À partir de la seconde moitié du vingtième siècle, de nombreuses économies développées ont inscrit dans la loi un mandat prioritaire de stabilité des prix (ou parfois un double mandat intégrant le soutien à l’emploi), renforcé la durée et la sécurité juridique des mandats des gouverneurs, et garantit à leur banque centrale une autonomie opérationnelle complète, interdisant toute exigence de financement direct de la dette publique.
À l’heure actuelle, les banques centrales fixent donc les taux d’intérêt directeurs en tout autonomie. Si l’économie patine, elle baisse les taux, ce qui relance la croissance et l’inflation. A l’inverse, si les prix s’envolent, elle contraint la consommation et l’investissement en augmentant ses taux.
Les risques d’une remise en cause de l’indépendance
Après avoir fait un tour d’horizon des enjeux, on peut se poser la question : que se passerait-il si Trump intervenait et renvoyait Jerome Powell ?
La plus grande menace serait une perte de crédibilité de la banque centrale dans sa lutte contre l’inflation. La Fed ne serait plus libre de mener sa politique monétaire de manière autonome, et les agents économiques (entreprises, ménages, investisseurs…) anticiperaient une hausse des prix dans un futur proche. En économie, on dit que les anticipations d’inflation ne sont plus « ancrées » aux annonces de la Fed. Or, si les agents pensent que les prix vont augmenter, ils ont intérêt à investir et consommer tout de suite, ce qui fait effectivement monter les prix.
De plus, et de manière assez paradoxale, cela pourrait conduire à une hausse des taux d’intérêt sur la dette souveraine. Les investisseurs, anticipant une politique monétaire plus inflationniste, exigeraient des rendements plus élevés pour détenir de la dette américaine.
Enfin, un tel changement de paradigme instaurerait un climat d’instabilité inédit, situation souvent appelée « incertitude knightienne » en économie. Il s’agit d’une incertitude profonde sur l’avenir, telle qu’il est impossible de prévoir les différents évènements ou leur associer une probabilité. Or, face à l’incertitude, les agents économiques ont tendance à reporter leurs décisions d’investissement et de consommation, ce qui peut précipiter une récession.
Ralentissement économique et volteface
Ces tensions politico-économiques interviennent dans un contexte de ralentissement économique. Le FMI a, mercredi 22 avril, revu à la baisse ses prévisions de croissance pour l’économie américaine, les ramenant à 1,8 %, bien en-deçà des 2,7 % anticipés en janvier dernier. Les droits de douanes et l’instabilité ambiante sont les principaux facteurs d’affaissement de la croissance.
Ce mercredi matin, sans doute face à la panique des marchés, Donald Trump semble avoir reculé, et a déclaré n’avoir « aucune intention » de limoger Jerome Powell. Nous verrons dans les prochains mois s’il tient cette position ou s’il repart à l’assaut de la banque centrale américaine, dont les prochains meetings risquent d’être tendus.