« L’histoire ne se répète pas, ou alors seulement la deuxième fois en farce ! » explique Pierre-Cyrille Hautcœur professeur à l’École d’Économie de Paris, en citant Karl Marx. Pour lui, seule une compréhension des mécanismes internes des crises permet une distanciation aux événements immédiats et ainsi, aide à tirer des leçons de l’histoire.
La référence de la crise financière des années 1930
Dans le cadre de la crise de l’euro, la référence la plus courante est celle de la crise des années 1930 durant laquelle au sein d’une zone de change fixe, on a un problème de déséquilibre entre différentes régions.
Un certain nombre de pays se retirent progressivement du système de l’étalon or qui couvre avant la crise de 1929, la quasi-totalité de la planète. Cela provoque un rétrécissement progressif jusqu’à un moment où on a une zone d’étalon or – le bloc or – qui se rapproche de la zone euro actuelle puisqu’elle couvre essentiellement la France, la Belgique, les Pays-Bas, la Grèce, l’Italie et la Suisse.
Au départ, les déséquilibres existant au sein de la zone d’étalon or sont largement l’héritage de la stabilisation d’après la 1ère guerre mondiale. Les pays mènent des politiques monétaires différentes conduisant à des écarts importants de taux de change réels, c’est-à-dire corrigés de l’inflation, alors même que l’on est en théorie dans un système de taux de change fixe. Combiné avec l’héritage de dettes internationales liées à la guerre, cela conduit après le déclenchement de la crise de 1929 à des crises bancaires suivies de décrochements de l’étalon or.
C’est ce qui se passe en Allemagne et en Autriche et dans différents pays d’Europe centrale en 1931. Le report sur l’Angleterre et la sortie de celle-ci de l’étalon or provoque en réalité la fin de ce système monétaire comme système monétaire international. La manière dont ces pays, puis les États-Unis en 1933, sortent de l’étalon or n’est pas simplement une manière pour eux de se libérer d’un carcan. Ils mènent une politique agressive vis-à-vis de ceux qui restent dans l’étalon or et une politique coopérative dans laquelle personne ne se permet de prendre, d’un coup, un avantage prix vis-à-vis des autres.
Ceux qui restent dans l’étalon or subissent-un peu comme le font les pays de la zone euro actuellement- à la fois des tensions internes et le poids de la concurrence internationale par des pays qui ont déprécié leur monnaie.
La politique déflationniste du bloc or
Selon Pierre-Cyrille Hautcoeur, on constate dans le cadre du bloc or un attachement à la parité or pour elle-même de la même manière qu’aujourd’hui existe dans l’euro un attachement pour le « zéro inflation » pour lui-même, sans se préoccuper des effets ou non sur la croissance et sur le chômage.
Cela a conduit dans les années 1930 à une réévaluation réelle de toutes les monnaies du bloc or et par voie de conséquence à une déflation réelle de tous les salaires et de tous les coûts sauf les intérêts sur la dette d’une valeur constante en terme nominaux. Cela conduit inexorablement à un poids croissant des charges financières sur le revenu bien que les gens ne s’endettent pas davantage.
On va avoir le même type de situation dans le cadre de la zone euro : les salaires réels baissent, les intérêts sur les dettes ne baissent pas ou même augmentent dans le cadre du système de taux variables. Des gens sont étranglés financièrement et les impayés augmentent. Il semblait que l’on avait tiré des années 1930 la leçon qu’il fallait avoir un système obligeant les pays excédentaires à dépenser leur excédent au lieu de les épargner. Or aujourd’hui, dans le cadre de la zone euro, les pays excédentaires comme l’Allemagne ne dépensent pas leurs excédents alors que les pays déficitaires sont obligés d’épargner parce qu’on ne veut pas leur prêter.
Il s’agit bien d’une pression déflationniste, comme celle que l’on a connue dans les années 1930 dans le cadre du bloc or. Les élites et les populations âgées qui sont structurellement prêteuses et pèsent d’un grand poids dans l’électorat, souligne Pierre-Cyrille Hautcoeur, bénéficient de cette situation, n’ont pas intérêt à la modifier restant relativement indifférentes au sort des jeunes sauf à un niveau individuel vis à vis de leurs proches.
La construction d’unité monétaire nationale
Une autre manière de considérer la construction d’une zone monétaire comme l’euro consiste à regarder la manière dont se sont construites les unités monétaires de façon interne dans des pays et notamment comment se sont établies les conditions des ajustements possibles.
Ces conditions sont connues : il faut une certaine mobilité des capitaux, de la main d’œuvre, des marchandises. Les unités monétaires se sont construites au fil du temps sur longue période.
La France a connu jusqu’au XIXe siècle des troubles monétaires interrégionaux, c’est-à-dire qu’il fallait payer des montants non nuls pour transférer de l’argent d’une région à une autre. Cette situation aboutissait parfois à de graves crises financières. C’est seulement en 1848 que la Banque de France devient réellement une Banque centrale à l’échelle nationale et que les déséquilibres régionaux se traduisent éventuellement par des variations de revenus et non plus par des crises financières.
Pour Pierre-Cyrille Hautcoeur, la construction d’une unité monétaire requiert d’avoir un État, plus ou moins décentralisé, capable d’organiser des redistributions entre régions et de permettre une certaine mobilité des facteurs de production entre les régions.
S’il y a des régions dans lesquelles le travail est surabondant et mal employé il faut soit que le capital puisse s’y investir, soit que le travail se déplace. Actuellement, dans la zone euro le capital se déplace facilement mais en ce qui concerne le travail, ce sont les plus qualifiés et non ceux qui souffrent le plus du chômage qui sont le plus facilement mobiles.
Vers un destin commun ?
Selon Pierre-Cyrille Hautcoeur, ces procédures de construction d’une unité monétaire dépendent d’une volonté politique.
Il faudrait par exemple mettre en place un budget fédéral européen qui ne soit pas contraint par les endettements nationaux et qui permette des redistributions de ressources entre les différentes régions ainsi que le financement de programmes de relance, à l’image du New Deal.
Les européens veulent-ils lier leur destin ? Pierre-Cyrille Hautcoeur souligne qu’il est difficile de les sonder sur cette question. Ils n’ont en effet d’informations sur l’Europe que par le biais des gouvernements nationaux qui pratiquent un jeu ambigu : d’un côté, ils participent à la construction européenne sous l’injonction de la Commission, en prenant des décisions et en coopérant ; de l’autre, ils la dénigrent.
Cette ambigüité, conclut-il, est pernicieuse pour le développement européen et rend difficile toute action politique européenne alors qu’elle est une des solutions à la crise et à la pérennité de l’Union.
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