Le 12 avril 2008, les ministres des Finances et les banquiers centraux des pays « riches » du G7, ont demandé à nouveau aux banques de dévoiler entièrement toutes leurs pertes potentielles résultant des crédits subprimes et des achats de titres financiers adossés à ces crédits. Ils leur ont donné trois mois pour le faire.
Avec la publication en mai de leurs comptes pour le 1er trimestre 2008, les banques auraient réalisé cette opération vérité à 80 % selon une analyse de l’agence de notation Fitch, dont la presse s’est faite largement l’écho.
200 à 300 milliards de dollars
Selon Fitch, les pertes potentielles pour les actifs liés aux subprimes seraient de 400 milliards de dollars. La moitié (200 milliards) serait supportée par les banques et l’autre moitié par les assureurs, les rehausseurs de crédits et les hedge funds. 80 % de la facture, soit quelque 165 milliards, seraient maintenant connus.
D’autres analyses donnent des estimations plus élevées de la facture totale. Dans une étude du numéro de mai 2008 de la revue Conjoncture publiée par la BNP Paribas, Laurent Quignon annonce une facture totale de 300 milliards pour les banques et de 100 à 200 pour les autres acteurs. Selon l’auteur, les banques en auraient déjà comptabilisé 200 milliards et non 165. Mais il y aurait encore 100 milliards à annoncer. Il y a donc encore des incertitudes sur l’ampleur des mauvaises nouvelles de demain.
Quatre banques plus durement touchées
La crise frappe les banques inégalement en fonction de leur comportement ces dernières années et de leur plus ou moins grande prudence en matière de titrisation de supprimes. 4 banques totalisent à elles seules autour 60 % des pertes comptabilisées depuis le début de la crise : Il s’agit de 2 banques américaines, une banque suisse UBS (37 milliards de dollars et une banque allemande IKB (9 milliards de dollars).
Moitié États-Unis moitié Europe ?
Selon l’agence Fitch, les banques américaines et européennes enregistreraient des pertes équivalentes de 77 milliards (40 % pour chaque zone) sur les 165 milliards qu’elle recense ; l’Asie étant davantage épargnée avec seulement 10 milliards de pertes. Pourtant l’épicentre de la crise était aux États-Unis. Pour sa part, Laurent Quignon se réfère aux estimations différentes du FMI : 55 % de la facture totale pour les États-Unis, 40 % pour l’Europe et 4 % pour le Japon.
« Proche de l’épicentre, explique-t-il, les banques américaines sont évidemment les premières concernées. De l’autre côté de l’Atlantique, le tableau est plutôt rassurant. Les grandes banques ont certes publié des résultats décevants, mais, à l’exception notables des banques suisses, elles ont évité les pertes et préservé leurs capitaux propres ». Les données du FMI montrent que l’impact est également élevé pour le Royaume-Uni dont les banques enregistreraient une part de pertes de 15 % presque équivalente à celle de l’ensemble de l’Union Européenne.
L’Agefi hebdo du 15 mai 2008 insiste effectivement sur l’impact de la crise pour les banques du Royaume Uni et plus généralement sur l’ensemble de la finance britannique : « A l’exception notable de la débâcle de Northern Rock partiellement nationalisée en février dernier, l’industrie bancaire (britannique) semblait jusqu’à présent avoir résisté au choc. Une affirmation qui paraît aujourd’hui battre de l’aile … Le numéro 2 outre-Manche RBS (Royal Bank of Scotland) a annoncé le 22 avril qu’elle cherchait à lever 12 milliards de livres de capitaux. Une semaine après la banque HBoS annonçait 2,8 milliards de livres de dépréciations ».
Et la France ?
Les dépréciations d’actifs enregistrées depuis le 3ème trimestre 2007 se sont élevées pour l’ensemble des banques françaises à quelque 15 milliards d’euros (plus de 20 milliards de dollars), dont 5,4 enregistrés par le Crédit Agricole, 3,5 par la Société Générale (hors affaire Kerviel), 1,3 par Natixis, 1,2 par BNP Paribas et 0,9 par Dexia. Une note « salée » considère La Tribune (19 mai 2008) qui souligne : « en l’espace de trois mois elles ont vu fondre leurs bénéfices ». Salée, mais pas désastreuse.
Les bénéfices fondent mais aucune banque française n’a plongé dans le rouge. En fait ce sont surtout les banques de financement et d’investissement qui ont été touchées.
Comme le souligne la Tribune (30 avril 2008) « la crise actuelle justifie le modèle de banque universelle, diversifiée tant au plan géographique qu’en termes d’activités. C’est lui qui a permis, notamment aux banques françaises, de compenser les effets de la crise qui ont durement touché les activités de banque de financement et d’investissement ».
Quelles conséquences ?
Pour les clients des banques
Les clients des banques vont-ils payer la facture, ou une partie de celle-ci, par des crédits plus rares et plus chers ?
L’impact semble rester, en France du moins, assez limité. « Les taux de crédit ont un peu augmenté mais il n’y a pas de resserrement quantitatif, expliquait le gouverneur de la Banque de France, Christian Noyer, dans une interview accordée au journal Ouest France (22 mai 2008). A cette date, la distribution du crédit en zone euro et en France en particulier, restait très vigoureuse, avec un taux de croissance des crédits aux entreprises d’environ 15 %
Pour les actionnaires
Ils ont subi une chute importante de la valeur des actions. L’étude annuelle du Boston Consulting group présentée en France le 5 mai fournit pour 2007 des données significatives : « Globalement, la rentabilité totale pour l’actionnaire montant des dividendes reçus + l’évolution du cours des actions rapporté à la valeur de celles-ci en début de période a plongé de 93 % en 2007, pour atteindre 1,7 %…
La capitalisation boursière des banques a augmenté de seulement 2,4 % pour atteindre 8 300 milliards de dollars, un réel décalage par rapport à 2006, où la capitalisation boursière avait crû de 31 % ». Mais cette donnée qui agglomère toutes les banques du monde, doit être affinée. La capitalisation boursière des banques nord-américaines et d’Europe occidentale a diminué de 695 milliards de dollars en valeur, « soit plus que le PIB des Pays-Bas », alors que celle des banques des pays émergents a connu une augmentation de 880 milliards de dollars. Ainsi par exemple, « le secteur bancaire aux États-Unis a enregistré un taux de rentabilité totale pour l’actionnaire de –21 % en 2007 ».
De plus les banques vont devoir compenser les dévalorisations enregistrées (et celles encore à venir) par des augmentations de capital. C’est nécessaire pour respecter les règles prudentielles adoptées à l’échelle internationale. Pour les actionnaires actuels cela se traduira par une « dilution de capital » (répartition des dividendes entre un nombre plus grand d’actions et baisse du dividende par action).
Le renforcement des fonds propres pourrait bien être une des principales leçons durables de la crise. Selon le président de la Réserve fédérale des États-Unis, Ben Bernanke, « Les turbulences sur les marchés financiers soulignent la nécessité de disposer d' »épais » matelas de fonds propres et les banques doivent donc lever des capitaux si elles en ont besoin » (Déclaration le 15 mai 2008, citée par l’agence Reuters).
Pour l’industrie bancaire elle-même
Au-delà des ajustements « conjoncturels », y aura-t-il un impact « structurel » sur l’industrie bancaire et sur son modèle économique, et si oui lequel ?
Selon Olivier Pastré, professeur d’économie à l’université de Paris-VIII, interviewé par Challenges.fr (15 mai 2008), d’une part « on peut envisager, dans les mois à venir, une recomposition de l’industrie bancaire mondiale». Et d’autre part, « un rééquilibrage des métiers de la banque s’impose de toute manière. Les banques ont peut-être trop développé la banque d’investissement au détriment de la banque de détail ».
Sur le premier point, l’étude de Boston Consulting Group montre l’ampleur des changements dans la hiérarchie mondiale des banques. « En 2007, les trois premières places du classement, en termes de capitalisation boursière, reviennent à des banques chinoises : ICBC, China Construction Bank, et Bank of China. Les trois plus grandes banques américaines – Citigroup, Bank of America, et JP Morgan Chase – qui avaient dominé le classement les années précédentes, ont quant à elles perdu du terrain. Quatre des sept nouveaux entrants dans le classement des 30 premières banques viennent des pays BRIC (Brésil, Russie, Chine, Inde) ».
Dans une éventuelle recomposition mondiale, les groupes français ne sont pas les plus fragiles, y compris la Société Générale dont le Directeur, Frédéric Oudéa, a souligné dans la Tribune (14 mai 2008) qu’elle est « armée pour rester indépendante ».
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