L’amélioration de la productivité provient essentiellement de la hausse de la compétence des salariés (niveau de qualification, expérience, etc.) et des innovations (machines plus efficientes, meilleure organisation du travail, etc.). Le XXe siècle a été exceptionnel avec la diffusion à l’ensemble de l’économie d’innovations majeures, dans le domaine de l’énergie (moteur, électricité, etc.), des télécommunications (téléphone, radio, etc.), des processus de production (taylorisme, fordisme, toyotisme…) et des financements, ainsi qu’une élévation du niveau d’études.
Elle a permis au PIB par habitant de croître de 2,3 % par an en France au XXe siècle. Mais entre 2005 et 2019, il ne croît plus que de 0,7 % par an. Et le phénomène est similaire ailleurs : sur les mêmes périodes, les États-Unis ont vu leur croissance du PIB/habitant passer de 2,3 à 1,1 % par an. La crise de 2008 n’explique pas tout puisque ce phénomène s’observait déjà avant et se confirme 10 ans après. Enfin, le constat est aggravé, en 2020, par l’irruption de la crise économique liée au Covid-19.
Une stagnation durable de l’innovation ?
L’hypothèse d’une ère de « stagnation séculaire » de l’innovation est avancée par plusieurs techno-pessimistes comme Robert Gordon. Pour eux, la grande vague du XXe siècle est liée à une série exceptionnelle d’innovations simultanées dans de nombreux domaines. La révolution numérique aurait une contribution bien plus faible.
Schumpeter est l’un des plus célèbres économistes du XXe siècle pour s’être penché sur les effets des innovations sur la croissance. Il théorisa la notion de « destruction créatrice » pour illustrer le remplacement des anciennes technologies, et parfois de secteurs entiers, par de nouvelles innovations. Il développa aussi l’idée de « grappes d’innovations » pour montrer qu’une innovation en déclenche d’autres en cascade avec des applications qui se diffusent à d’autres secteurs.
D’autres économistes pensent au contraire que nous sommes à l’aube d’une nouvelle période de croissance de la productivité avec les robots, l’impression 3D ou encore le développement du Big Data.
D’autres conditions que l’innovation pour augmenter la productivité
D’autres facteurs peuvent expliquer le ralentissement actuel.
Le principal est le frein à la diffusion des nouvelles technologies à cause d’une mauvaise allocation des ressources, spécialement vraie en France, entre les secteurs les plus productifs et les moins productifs. Elle proviendrait de la rigidité des modes de financement (peu de prêts bancaires et de capital risque pour les PME), le manque de mobilité des employés (faible incitation au changement d’entreprise avec davantage de sécurité), une qualification qui n’est pas toujours suffisante (recul de la France dans les classements internationaux mesurant le niveau scolaire) ou encore un environnement peu concurrentiel qui protège et maintient en vie les entreprises les moins performantes.
Les entreprises françaises les plus innovantes rencontrent davantage de difficultés pour financer leur croissance et attirer les meilleurs salariés qu’une start-up californienne. Or, sur ce marché qui est mondial (chercheurs, levée de fonds, dématérialisation), l’attractivité du climat des affaires (flexibilité, fiscalité, réglementation), du cadre universitaires (qualification, recherche…) et de la collaboration entre ces univers professionnels et scientifiques deviennent des éléments cruciaux pour améliorer la productivité.
Enfin, la dématérialisation de nombreuses activités (site internet…), qui permet une domiciliation de la valeur ajoutée vers des pays à la fiscalité plus attractive, vient compliquer la comptabilisation véritable de la création de richesse d’un pays et donc la mesure de sa productivité. En France, l’apport en croissance de ces entreprises de la révolution numérique est sans doute sous-estimé. Elles réalisent pourtant leur activité économique concrète (vente de produits et de services, recrutement de salariés, investissement) sur le territoire français.
Le cas de l’Irlande
L’Irlande a vu son PIB réévalué de 26 % en 2015 car son régime fiscal a attiré de nombreuses sociétés du numérique (Google, Amazon, Apple…) opérant dans d’autres pays de l’Union Européenne. D’après les chiffres de l’OCDE, la productivité mesurée par la richesse supplémentaire créée par heure travaillée a ainsi bondi de 22,5 % ! On devine que le travailleur irlandais ne s’est pas subitement mis à travailler aussi efficacement…
Le phénomène a pris une telle ampleur que l’État irlandais a décidé d’arrêter l’utilisation de l’indicateur du PIB pour le remplacer par le Revenu National Brut qui ne prend pas en compte ces redomiciliations fiscales.
Un ralentissement lié à une croissance plus « inclusive »
De nombreuses décisions économiques ne sont pas prises avec l’idée d’améliorer la productivité. La société peut préférer des choix liés au bien-être comme un environnement plus sain (santé, écologie) ou plus sûr (sécurité) ce qui ne se traduit pas par une amélioration à court terme et mesurable de la productivité. De même, il est préférable de permettre à un chômeur d’avoir un emploi même si celui-ci est peu productif ce qui est le cas pour les emplois les moins qualifiés. Or les efforts des politiques publiques ont porté essentiellement sur la réduction du coût du travail et la flexibilité de ce type d’emplois.
Le ralentissement de la productivité pourrait donc être également la traduction d’une croissance plus inclusive qui donne une préférence au collectif.
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