Ces start-ups parfois créées dans un garage sont ainsi devenues les plus grandes capitalisations boursières mondiales, et leurs patrons, des références iconiques de l’entrepreneur à succès.
Pourtant elles sont de plus en plus décriées pour leur mainmise tentaculaire sur l’économie mondiale et leur pratique de corsaire fiscal. Elles menaceraient même la souveraineté des États.
Le poids des GAFAM
Ces entreprises ont parfois à peine 20 ans (Facebook a été créé en 2004 et Google en 1998) et pourtant la capitalisation de chacune d’elles dépasse les 1 000 milliards de dollars. Pour donner un ordre de grandeur – bien que pas directement comparable – c’est l’équivalent du PIB d’un pays comme les Pays-Bas, qui émarge tout de même à la 17e place du classement des pays les plus riches du monde.
A eux 5, les GAFAM sont davantage valorisés que le montant du PIB du Japon, de l’Allemagne ou de la France !
Les GAFAM ont vu leur valorisation boursière être multipliée par 2 entre janvier 2019 et juillet 2020. Ils pèsent désormais environ un quart de l’ensemble des valeurs composant l’indice boursier américain S&P 500.
GAFAM : une concentration inquiétante
Pourquoi un tel engouement des investisseurs ? Car ces entreprises sont au cœur des nouvelles économies numériques. Or, dans ce nouveau modèle d’activité le terrain de jeu n’est pas national, il est immédiatement mondial et le leader rafle la mise en anéantissant du même coup toute la concurrence. Conséquence, les chiffres deviennent vertigineux par rapport aux entreprises traditionnelles.
Ainsi, Google concentre à lui seul plus de 90 % des requêtes sur internet dans le monde. YouTube, le diffuseur de vidéo sur internet (racheté par Google en 2006 pour seulement 1,65 milliard de dollars à l’époque) est vu bien plus que n’importe quelle chaîne de télévision : chaque jour, plus d’un milliard d’heures de vidéos sont ainsi visionnées. Facebook, quant à lui, totalise, en octobre 2020, plus de 2,7 milliards d’utilisateurs actifs mensuels..
Pour utiliser ces services, les consommateurs passent maintenant majoritairement par leur téléphone portable et c’est vers ceux de la marque Apple qu’ils se tournent le plus en valeur : fin 2019, elle concentrait, à elle seule, 32 % du chiffre d’affaires et 66 % des bénéfices du marché des smartphones.
En ce qui concerne les systèmes d’exploitation, Microsoft ne souffre que peu de la concurrence d’autres sociétés. On estime, en effet, que plus de 88 % des ordinateurs de la planète sont équipés de son système Windows.
Ce sont donc de vrais monopoles qui se sont installés.
Le profilage marketing des consommateurs
Les cartels ou les monopoles ne permettent pas une optimisation des prix de marché : sans concurrent, l’entreprise peut fixer un prix de vente supérieur pour ses produits et se constituer une rente.
Pourtant, Google est gratuit tout comme Facebook. C’est là l’illusion entretenue par ces entreprises de la nouvelle économie numérique : elles ne semblent pas vendre véritablement de nouveaux produits mais servir plutôt d’interface, la preuve avec leurs chiffres d’affaires de dizaines, voire de centaines de milliards.
L’adage devenu célèbre dans l’industrie numérique est de dire que « si c’est gratuit, c’est que le produit c’est vous ».
Qu’est-ce que cela signifie ? Que ces entreprises se nourrissent de l’analyse et de la revente de vos données, c’est-à-dire de vos choix, vos goûts, de vos centres d’intérêts quand vous utilisez leurs services (recherche sur internet, réseaux sociaux, etc.). Ils peuvent ainsi définir plus finement votre profil de consommateur et ensuite se faire rémunérer en proposant aux entreprises des liens publicitaires internet ayant un impact commercial plus efficace qu’un simple panneau publicitaire au bord de la route.
Étant alors dans une situation de monopole, ils peuvent imposer aux entreprises de l’« ancienne économie » leur tarif pour accéder à ces nouveaux panneaux publicitaires numériques à l’efficacité décuplée. Ils peuvent même proposer en tête de gondole leurs propres produits, reléguant les autres concurrents au fin fond des rayonnages de leur supermarché numérique.
On se souvient ainsi que Microsoft vendait avec le système d’exploitation Windows, celui qui équipe 88 % des ordinateurs dans le monde, son propre logiciel de navigation internet Explorer, sans laisser un quelconque choix à l’utilisateur. C’est maintenant au tour d’Apple ou de Google (avec son système d’exploitation Android) de réaliser ce tour de passe-passe avec les portables.
Pour les autres concurrents, comment alors accéder aux clients pour proposer leurs services ou leurs produits sans se plier aux exigences de ces nouveaux champions numériques ?
GAFAM : un enjeu sociétal
Si seulement l’insolente santé financière de ces entreprises profitait à l’ensemble de l’économie, leur développement contribuerait à construire des sociétés plus inclusives. Mais leurs pratiques d’optimisation fiscale ne permettent pas à l’ensemble de la population de bénéficier pleinement de cette révolution technologique.
En effet, les services vendus étant dématérialisés, ils sont difficiles à localiser ou facilement vendables depuis n’importe quel pays. Les GAFAM vont donc faire remonter leur chiffre d’affaires vers des pays avec un faible taux d’imposition.
Ainsi, le bénéfice sur une vente à un client français ne sera pas imposé à 25 %, qui est le taux d’impôt sur les sociétés en vigueur en France, mais à 12,5 % si le siège de la société est en Irlande.
C’est justement le cas de Google, Apple ou encore Facebook qui profitent de ce qui a été surnommé le « Double Irish » pour souligner que l’implantation en Irlande n’était qu’une doublure.
Pour éviter ce dumping fiscal, certains États de l’Union européenne (UE) souhaitaient taxer ces entreprises en fonction du lieu où est réalisé leur chiffre d’affaires. Mais plusieurs pays s’y sont opposés car, soit ils sont les gagnants du système actuel comme l’Irlande, soit ils craignent des mesures de rétorsions, comme l’industrie automobile allemande.
Mesure fortement soutenue par le ministre de l’Économie et des Finances, Bruno Le Maire, la France s’est dotée en juillet 2019 d’une « taxe GAFA ». A partir de critères de présence numérique dans le pays (utilisateurs, chiffre d’affaires, contrats), les entreprises numériques ayant un chiffre d’affaires supérieur à 750 millions d’euros seront désormais imposées à hauteur de 3 % de leur chiffre d’affaires. Cette taxe, qui a généré selon de premières estimations près de 350 millions d’euros de recettes publiques en 2019, a été suspendue devant les menaces de représailles commerciales de la part des États-Unis.
Cela peut aller plus loin que de simples enjeux commerciaux ou fiscaux. Ce sont en effet des informations ou des idéologies politiques qui peuvent être suggérées en priorité aux citoyens par ces portes d’entrée aux consommateurs. Il devient alors possible de manipuler les opinions. Il s’agit alors pour les régulateurs d’assurer la neutralité d’internet dans un intérêt de préservation des objectifs démocratiques. Or, c’est justement cette neutralité garantissant la circulation sans discrimination des contenus sur internet qui a été abandonnée le 11 juin 2018 aux États-Unis.
En l’absence de neutralité, le moteur de recherche peut présenter des résultats qui viendront privilégier certains sites plutôt que d’autres. En France, c’est l’ARCEP, l’Autorité de Régulation des Communications Electroniques et des Postes, qui veille à cette neutralité.
Quelles solutions face à l’hégémonie des GAFAM
De nombreuses voix se sont élevées pour réguler l’activité des GAFAM, voire les démembrer pour position dominante abusive. Pourtant, la mondialisation et la nature fluide des activités numériques ont rendu plus compliquée la prise d’une telle décision. La mise en concurrence des Etats entre eux pour attirer sur leur sol des entreprises pourvoyeuses d’emplois, ne permet pas facilement de trouver un accord impliquant de nombreux pays.
Ce n’est pas la première fois dans l’histoire économique qu’une situation de cartel ou de monopole apparait. La loi Sherman, votée aux États-Unis en 1890, est ainsi le symbole de la volonté des pouvoirs publics de combattre la constitution de cartel. Son plus grand fait d’arme fut de permettre la condamnation et le démembrement en 1911 de la Standard Oil fondée par J. D. Rockefeller, de l’American Tobacco et de l’entreprise de chimie et d’explosifs Du Pont de Nemours.
Cependant, les velléités de légiférer deviennent de plus en plus prégnantes car c’est l’organisation même des sociétés qui est parfois bouleversée. Confrontés à des équations financières de plus en plus compliqués, et incapables de réduire les dettes accumulées depuis la crise de 2008, les États tentent de reprendre la main. Ils possèdent alors l’arme de la loi et plusieurs redressements fiscaux sont en cours.
Les pays du G7 et du G20 se sont saisi de la question d’une fiscalité mondiale pour les entreprises du numérique et ont chargé l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) d’en être le principal architecte.
Les premières propositions de l’OCDE pour cette fiscalité internationale changent le principe de résidence de l’entreprise dans le pays où elle pourra être imposée puisque les entreprises seront « taxables même si elles ne sont pas présentes physiquement sur le territoire », selon Pascal Saint-Amans, en charge du dossier à l’OCDE. De plus, contrairement à ce que préconisaient les pays de l’UE, l’OCDE propose de taxer les entreprises sur leurs profits plutôt que sur leur chiffre d’affaires. Affaire à suivre en 2021.
Les GAFAM se marchent sur les plates-bandes
Il y a quelques années, chacun des GAFAM disposait de son propre marché : la publicité sur les recherches pour Google, sur les réseaux sociaux pour Facebook, l’e-commerce pour Amazon et les produits électroniques pour Apple. Mais il semblerait que ce temps soit révolu puisque les géants du numérique débordent à présent de leurs secteurs initiaux où ils étaient pourtant en quasi-monopoles.
Les services bancaires sont par exemple l’un des nouveaux secteurs où les GAFAM se font concurrence. Services de paiement, offre de comptes courants, cartes de crédit, et même, une cryptomonnaie mondiale : les GAFAM regorgent d’inventivité pour se positionner sur le secteur financier. Mais ce n’est pas tout, le streaming, les objets connectés, la santé, etc. : les GAFAM se diversifient, quitte à se faire concurrence sur de mêmes activités.
Les BATX rebattront-ils les cartes ?
Mais il ne faut pas non plus négliger la concurrence et la lassitude des consommateurs. Dans l’économie numérique, un empire peut se détruire aussi vite qu’il s’est imposé. Souvenons-nous de la suprématie du finlandais Nokia ou du canadien Blackberry dans les années 2000. Une rupture technologique ou un nouveau positionnement marketing peut rebattre les cartes. Et c’est vers l’Extrême-Orient que les yeux se tournent avec les BATX pour Baidu, Alibaba, Tencent et Xiaomi, géants de la « high tech » chinoise.
Ainsi, Baidu est le moteur de recherche chinois avec 60 % de part de marché dans un pays dont la population s’élève 1,4 milliard de personnes. Géant de l’e-commerce (le commerce sur internet), Alibaba est, lui, l’Amazon chinois. Loin de se restreindre au marché chinois, Alibaba a ouvert sa plate-forme à l’international et notamment aux États-Unis, à la Russie, à l’Espagne, à l’Italie et à la France !
Tencent est, quant à lui, un peu le Facebook asiatique avec les messageries QQ ou WeChat. Mais il est aussi très présent dans la musique en ligne et les jeux vidéo. Tencent a d’ailleurs pris une participation à hauteur de 5 % au capital d’Ubisoft, l’éditeur de jeux français, en mars 2018.
Enfin, Xiaomi est un concurrent d’Apple puisque l’entreprise entend offrir des smartphones de qualité technologique similaire mais à des prix deux à trois fois moins élevés. Xiaomi est le quatrième vendeur mondial de smartphones (en unités vendues) derrière Huawei, Samsung, et Apple au 2ème trimestre 2020.
Reste un constat inquiétant : la faiblesse des positions européennes dans ces domaines, dont les entreprises numériques sont davantage les cibles de ces ogres américains ou chinois, que les futurs Airbus de nos économies.
bonjour
est ce que vous pouvez nous dire 3 piliers qui forment la puissance des GAFAM, pour leurs attribuer ce qualificatif de maitre du monde ?
merci
Bonjour,
Comme expliqué ci-dessus, les GAFAM ont un poids énorme dans l’économie mondiale. Ils forment, en outre, des monopoles et oligopoles à l’échelle mondiale. Enfin, ils sont passés maîtres dans l’optimisation fiscale et provoquent ainsi la mise en concurrence des Etats.
Meilleures salutations,
L’Equipe de Lafinancepourtous.com
Bonjour,
Une erreur est présente dans l’article (me semble-t-il) : vous écrivez : « Cette taxe, qui a généré selon de premières estimations près de 350 milliards d’euros de recettes publiques en 2019, a été suspendue devant les menaces de représailles commerciales de la part des États-Unis ». Ne serait-ce pas plutôt 350 MILLIONS d’euros de recettes publiques ?
Bonjour,
Merci pour votre vigilance ! L’erreur est désormais corrigée.
Meilleures salutations,
L’Equipe de Lafinancepourtous.com
Trés bon article qui mérite plus de développement et de continuité
Ne voyez vous pas des contradictions dans cet article, si bien écrit d ailleurs et pour lequel je vous doit mes remerciements
Partant du titre ; les GAFAM les NATU les nouveaux maitres du monde.
Alors, le sont-ils ou pas ? si ils le sont que pouvont nous faire, citoyens et gouvernements ? Pouvons nous vraiment changer quoi que ce soit ? Est-il encore temps de le faire ?
Je pense a mon niveau que le combat n a meme pas encore commencé, que le sujet mérite ample réfeflexion, mais surtout des actions, avant qu il ne soit trop tard.
Et c est pour ca, effectivement que j espére que vous contimuerez le débat.
Et merci de votre travail
Bonjour,
Et merci pour vos encouragements ! Nous donnons dans cet article effectivement de premières pistes pour penser le sujet des GAFAM, leur place dans nos économies contemporaines, ainsi que leur régulation possible par les Etats et nous sommes ravis de pouvoir participer à ce débat.
Meilleures salutations,
L’Equipe de Lafinancepourtous.com
Bonjour, savez-vous pourquoi le bénéfice des GAFA est 6 fois plus faible que leur chiffre d’affaires ?
Bonjour,
L’ordre de grandeur varie selon le GAFAM considéré, mais il n’est pas surprenant que le chiffre d’affaires soit supérieur, parfois largement, au bénéfice. En effet, la production de services génère des coûts intermédiaires, c’est-à-dire des dépenses nécessaires à la production de ces derniers. Ces coûts, ainsi que les autres charges supportées par l’entreprise, sont retranchés au chiffre d’affaires avant d’obtenir le résultat.
Meilleures salutations,
L’Equipe de Lafinancepourtous.com
Bonjour, je fais un projet de recherche du ce sujet pour mon école. est-ce possible de connaitre le nom et prénom ou peusdo de la personne aillant écrit cet article ? pour ma bibliographie ainsi que pour vérifier la fiabilité
Bonjour,
Vous pouvez citer cet article de la manière suivante : « ‘GAFA, GAFAM ou NATU : les nouveaux maîtres du monde’, La finance pour tous, https://www.lafinancepourtous.com/decryptages/finance-et-societe/nouvelles-economies/gafa-gafam-ou-natu-les-nouveaux-maitres-du-monde/ (consulté le DD/MM/YYYY) ». Les sources utilisées dans la construction des graphiques sont indiquées en légende. N’hésitez pas à nous contacter si vous souhaitez des précisions.
Meilleures salutations,
L’Equipe de Lafinancepourtous.com
Imaginez qu une gafa mette la main sur une cryptomonnaie facilitant les moyens de paiement comme stellar. Pour moins de 5 milliards de dollar ils ont leur propre crypto qui s envoler à fatalement. Les 5 milliards peuvent facilement devenir 5000 milliards… Et le top la dedans and c est que le but de stellar pour diffuser à travers le monde entier sera atteint… Affranchissement des contraintes bancaires… A suivre
Bonjour,
Il est effectivement nécessaire de garder un œil sur la croissance de la taille des GAFAM. Toutefois, le risque que vous évoquez semble peu probable à court terme. D’une part, les montants que vous avancez sont considérables. D’autre part, les crypto-monnaies fonctionnent le plus souvent sur un mode décentralisé.
Meilleures salutations,
L’Equipe de Lafinancepourtous.com
Bonjour,
@ Jean-Luc : Vous dites n’importe quoi, vous pouvez continuer à consommer et vous en avez la clef. La preuve, après deux commandes chez Amazon, je suis retournée dans ma petite librairie pour acheter mes livres et n’ai jamais plus commandé chez Amazon. Les livres ne sont pas disponibles, j’attends que ma librairie les reçoivent. Et hop, en voilà un d’éliminé !
Pour Google, c’est moins facile. Qwant dépend de Bing (Microsoft). C’est l’arnaque française (chut) ! https://www.lemediatv.fr/articles/enquetes/revelations-qwant-boulet-detat-z-DwVYPzQymrJjlldr8t4g
https://www.youtube.com/watch?v=tOb7g9bXDzM
Il ne reste donc pas grand chose comme moteur de recherche.
Je n’en dirai pas plus, car bon nombre choses dans ce domaine sont du charabia pour moi, et ne demandez pas à quelqu’un de 69 ans de se plonger dans les profondeurs de l’internet. 🙂
https://framablog.org/2020/02/25/laurent-chemla-propose-exigeons-des-gafam-linteroper/
merci pour ces bonnes infos…
Par rapport à AMAZON, j’ai cru que le problème c’était eux ! avant de me rendre compte que c’était NOUS ! C’est Nous le problème ! C’est Nous qui achetons tous les mois un produit sur Amazon ! C’est nous qui les enrichissons !
c’est vrai, mais maintenant il y a un autre problème: si tu veux continuer à consommer t’es obligé de passer par eux. On s’est laissé menotter, pas près d’avoir la clef. Pessimiste.
Après t’es pas obligé de consommer
Excellent article!
Bonjour,
Merci pour votre message!
Meilleures salutations
L’Equipe de Lafinancepourtous.com