Silver économie : un projet ambitieux
La silver économie se fonde sur un constat démographique. Selon les projections de l’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE), près d’un Français sur trois aura plus de 60 ans en 2060, contre environ un quart aujourd’hui. Cette hausse est due à l’allongement de l’espérance de vie et à la baisse de la fécondité. Un tel vieillissement de la population a des conséquences sur certains comportements de consommation, et encourage une offre ciblée pour les personnes âgées.
Cette demande particulière a déjà une certaine ampleur et, selon le Centre de recherche pour l’étude et l’observation des conditions de vie (CREDOC), les plus de 50 ans représentent quasiment 50 % de la consommation totale en France.
La consommation de la génération silver est souvent « altruiste ». Un tiers des jouets vendus en magasin est ainsi acheté par des retraités, qui s’empressent ensuite d’en faire cadeau aux plus petits.
Il faut donc s’adapter à cette évolution de la demande, et les perspectives à moyen et long terme sont impressionnantes : le marché de la silver économie devrait peser dès 2020 en France autour de 130 milliards d’euros selon l’estimation de Serge Guérin, professeur à l’INSEEC Paris et auteur de plusieurs ouvrages sur cette question.
Les nombreux domaines impliqués dans la silver économie
Ambitieuse, la silver économie consiste à développer tous les services reliés de près ou de loin à la personne âgée. Les aides à la personne, la technologie au service de la vieillesse, la formation des auxiliaires de vie sociale, la construction d’habitats collectifs et la rénovation de matériels publics et privés pour une plus grande accessibilité sont alors tout autant de parties de ce secteur. Investir pour les anciens diffuserait par conséquent un « vent » d’activités nouvelles, ce qui permettrait de créer environ 350 000 emplois d’aide et de soin aux personnes fragiles entre 2012 et 2022, selon le rapport « Les métiers en 2022 » rédigé par France Stratégie et la Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (DARES)
Des initiatives internationales, privées et publiques
Les engagements officiels donnent à ce secteur d’activité les dimensions d’un projet de société. Au début des années 2000, l’Organisation mondiale de la Santé (OMS) lance l’initiative « ville amie des aînés », reprise par un réseau francophone au même nom. Des démarches privées s’y adossent, citons : la création en 2008 d’Ordissimo, un ordinateur conçu pour les personnes âgées ; la gamme lancée en 2016 par l’association S.I.E.L Bleu, qui offre un accompagnement à l’activité physique des moins jeunes ; le promoteur Cogedim Club, qui propose des habitats conformes aux attentes de la génération silver. Ces résidences se sont multipliées au cours des dernières années : on compte désormais en France plus de 1000 résidences, contre environ 580 en 2016, d’après France Silver Eco.
De telles initiatives privées sont encouragées par le secteur public : après la création en 2009 d’une association, aujourd’hui dénommée France Silver Eco, qui regroupe les différentes parties prenantes à l’initiative des ministères de l’économie et de la santé, s’ajoute la création, par la Caisse des dépôts en février 2014, d’un fonds de capital risque pour financer les entreprises investissant dans la silver économie. Un rapport de la Commission Innovation 2030 remis au Président de la République a par ailleurs conduit la mise en place le 12 décembre 2013 d’un contrat de filière visant à structurer ce marché. Ce contrat recense les entreprises du secteur, souligne les atouts et les risques de la silver économie et définit en conséquence les objectifs à atteindre. De ce contrat naissent certains engagements, comme celui de soutenir la labellisation des meilleurs produits de ce secteur, de financer l’adaptation de 80 000 logements, de créer des « gérontopôles » et de lancer des concours à destination du grand public ou des distributeurs.
A cela s’ajoute la loi relative à l’adaptation de la société au vieillissement, qui est entrée en vigueur le 1er janvier 2016. Elle renforce notamment l’allocation personnalisée d’autonomie à domicile, en augmentant les plafonds du nombre d’heures d’aide, en exonérant de participation financière les bénéficiaires de cette allocation qui ont de faibles revenus (moins de 800 euros par mois), et en accordant des temps au répit pour les proches aidants. Par ailleurs, cette loi rend plus transparents les tarifs des établissements d’hébergement pour personnes âgées dépendantes (EHPAD), elle veut moderniser les résidences-autonomies, et elle vise à mieux faire connaître le mandat de protection future.
Un projet incertain
La silver économie suscite des interrogations sur ses contours et sur son organisation.
Le terme de silver économie est en effet équivoque, notamment de par la diversité d’acteurs et de services qu’il suppose. Cette diversité rend le marché mal défini et donc difficilement identifiable, en dépit des chiffres avancés par la Dares. Il est d’ailleurs bien difficile d’évaluer précisément le nombre d’emplois effectivement créés par la silver économie.
Les difficultés liées à une organisation concertée entre les territoires
Le développement de la silver économie n’est pas uniforme sur tous les territoires. Ses besoins sont forts dans les milieux ruraux, où 28 % de la population y a plus de 60 ans (contre 23 % en moyenne), soit dans les lieux justement où l’accès aux équipements y est le plus délicat, et où les possibilités de financement y sont le plus réduites.
L’inégalité de richesse entre les régions est donc souvent inversement proportionnelle à leurs besoins : les régions pauvres et rurales sont en même temps celles qui ont le plus de personnes âgées à accompagner, alors que les régions riches comme l’Île-de-France sont parmi celles qui en ont le moins en proportion de leur taille. Cette discordance est d’autant plus préjudiciable que la répartition juridique des compétences entre les départements induit une indépendance des politiques locales pour l’autonomie des seniors.
En outre, les rares labels de la silver économie ne sont pas encore connus, et les entreprises de ce secteur sont principalement des PME, ce qui amplifie sa dispersion et son manque d’unité d’ensemble.
Même si le contrat de filière de 2013 a créé une commission nationale des territoires, la coordination de la silver économie entre les collectivités en est donc encore à ses balbutiements.
Les difficultés de financement de l’offre et de la demande de silver économie
Les aides financières pour les offrants ont dépassé le stade embryonnaire. Les fondations, comme celle d’Aviva, ou celle de la Caisse d’Epargne, font des appels à projet en lien avec la silver économie, et sont prêtes à en financer un certain montant (il peut être de plusieurs dizaines de milliers d’euros). Les groupes de prévoyance et les conseils régionaux proposent aussi des appels similaires, avec des montants comparables, ce qui est un grand encouragement à l’innovation.
Mais ces sources d’investissement ne visent que les associations de service d’aide à domicile, et les autres branches de la silver économie n’ont qu’un financement expérimental.
Du côté de la demande, c’est-à-dire des personnes âgées elles-mêmes, qui doivent avoir les moyens de se payer les services de la silver économie, le constat est tout aussi partagé. Le financement des anciens est effectif grâce aux réductions, aux crédits d’impôts, et aux aides ajoutées par la loi de 2016 sur l’adaptation de la société au vieillissement, mais il recouvre des montants insuffisants pour France Silver Eco, qui pointe la faible solvabilité de beaucoup de personnes âgées. Le résultat de ce manque de financement se retrouve dans l’accès aux équipements des ménages seniors : comparée à la Grande Bretagne, où 2,5 millions de personnes ont la téléassistance, la France fait pâle figure avec 5000 000 habitants pourvus de pareille technologie.
La silver économie, plus qu’un simple marché, est donc un secteur en devenir ; un secteur qui souffre cependant d’un manque de cohérence et demeure quelque peu balbutiant. Ce sont là sans doute des péchés de jeunesse : l’économie des seniors est dans sa période d’adolescence.
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