Selon l’Observatoire de l’Ubérisation, le terme Ubérisation (nf) désignerait un « changement rapide des rapports de force grâce au numérique ». Plus militante que pédagogique, cette définition met l’accent sur la rupture technologique à l’origine de cette « révolution ». Mais qu’y a-t-il donc derrière cette terminologie ?
Qu’est-ce que l’Ubérisation ?
Ce modèle vient bouleverser les prestataires et intermédiaires historiques, car il permet à des particuliers et semi-professionnels d’avoir une mise en relation gratuite pour proposer des prestations de services à des bases de clientèle très larges. La monétisation de ces applications vient en aval quand le prestataire reverse un pourcentage de son chiffre d’affaires à la plateforme (20 % en moyenne).
Ce sont les dernières innovations mobiles qui constituent les principales « disruptions » engendrées par l’Ubérisation (accès partout et à toute heure, géolocalisation, notation, réservation immédiate, flexibilité totale du travail et avec des prix moindres pour les clients).
Ubérisation et économie collaborative
L’ubérisation fait partie de l’économie collaborative (celle-ci diffère de l’économie du partage dans sa recherche d’un profit). La spécificité de l’ubérisation, à l’intérieur de l’économie collaborative, tient au fait que les prestataires sont la plupart du temps des professionnels ou semi-professionnels qui proposent leurs services sur une base très régulière.
À l’inverse, l’économie collaborative dans son ensemble est constituée de particuliers qui proposent des biens ou des services de manière plutôt occasionnelle, et sans que ce soit leur activité principale. L’ubérisation va ainsi de pair avec la montée en puissance d’une vraie force de travail « freelance » dans notre économie.
Mais dans certains cas elle peut aussi créer des liens de subordination entre les plateformes et les particuliers qui proposent leurs services (exemple d’Uber Eats, Deliveroo ou Just Eat).
Par exemple, un chauffeur BlablaCar (économie collaborative) est un particulier qui cherche à partager le coût de ses trajets en voiture. Ce n’est pas son activité principale, à la différence d’un chauffeur Uber (ici on retrouve ce fameux lien de subordination).
À noter qu’il existe des situations hybrides entre ces deux cas, notamment dans le logement touristique, comme par exemple une personne salariée qui loue systématiquement une chambre dans son appartement. Il ne s’agit pas de son activité principale, mais cette location constitue une source de revenus régulière et considérable dans une grande ville. Pour les touristes cette mise en relation représente alors une alternative aux hôtels parfois à prix moindres.
Les ancêtres d’Uber
La mise en relation directe sur internet entre clients et professionnels existait depuis longtemps. Par exemple, DELL vend directement aux consommateurs depuis les années 1990. Depuis plus longtemps encore, la vente par correspondance (La Redoute, les 3 Suisses…) a été précurseur d’Amazon. L’Ubérisation s’applique, elle, à des services.
Ubérisation : un accroissement de l’offre et de la concurrence
En permettant à des particuliers et semi-professionnels de prendre part à la création de valeur dans certains marchés, l’Ubérisation contribue à augmenter l’offre. Ceci a pour effet d’accroître la taille des marchés quand la demande n’est pas entièrement satisfaite.
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Airbnb a permis d’augmenter la capacité d’accueil touristique dans de nombreuses villes. Cet afflux supplémentaire de touristes accroît les revenus du tourisme et profite à beaucoup d’autres secteurs.
- L’introduction des VTC à Paris a permis de rééquilibrer un marché des taxis en forte pénurie (les VTC doivent passer un examen et obtenir une carte professionnelle, donc ce ne sont pas des particuliers stricto sensu).
Plateformes mobiles : un développement exponentiel de certains marchés
L’innovation des plateformes mobiles a permis dans certains cas de débloquer des marchés qui existaient déjà mais avaient du mal à décoller.
Le marché des livraisons de plats cuisinés à domicile était réduit avant l’arrivée d’acteurs comme Deliveroo ou Uber Eats. C’est une possibilité de chiffre d’affaires complémentaire pour les restaurants et une opportunité financière pour les particuliers qui effectuent ces livraisons.
Dans cet exemple, l’Ubérisation agit comme intermédiaire entre professionnels et particuliers. Les livreurs y obtiennent une rémunération (souvent en complément d’une activité principale) et les restaurateurs peuvent toucher une plus large clientèle.
La concurrence a certaines vertus. Elle oblige les professions « attaquées » à se remettre en cause. Les taxis offrent plus de prestations de service, les hôtels traditionnels doivent adapter leurs prix et leurs services.
Un accès plus facile aux liquidités pour les nouveaux projets
Dans le domaine de la finance, l’Ubérisation prend essentiellement la forme du crowdfunding. En mettant face à face des porteurs de projets et des particuliers, il réduit le rôle des intermédiaires.
Dans une acception plus large, mais pas nécessairement pertinente, l’ubérisation appliquée à la finance englobe toutes les innovations technologiques liées à la révolution numérique, depuis les fintechs jusqu’aux blockchains. Toutefois, cette conception extensive ne rend pas compte du mode opératoire de l’ubérisation (travailleurs sous-payés, sans contrat de travail et concurrence faite aux secteurs économiques traditionnels).
Quelles sont les limites de l’ubérisation ?
L’Ubérisation est devenue un phénomène au cours des dernières années, que ce soit au travers de ses répercussions sur les habitudes des consommateurs ou le succès de certaines sociétés : Uber est évaluée, en novembre 2024, à près de 160 milliards de dollars par les marchés financiers, soit, par exemple, plus de quatre fois la valeur de Stellantis. Néanmoins, des réserves subsistent.
Des sociétés dans le rouge
La première réserve est simple et très objective : rares sont les entreprises qui participent à l’Ubérisation et parviennent à dégager des résultats financiers positifs. Ces sociétés sont parvenues à enregistrer des croissances très fortes de leurs ventes, mais tardent à démontrer qu’elles ont un modèle financier pérenne.
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Depuis sa création en 2009, Uber n’a réalisé que deux exercices bénéficiaires (en 2018 et 2023). En 2019, la firme a enregistré des pertes records de près de 8,6 milliards de dollars. Si elle n’était pas parvenue à lever des fonds régulièrement, la société aurait fait faillite depuis longtemps.
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Take Eat Easy, une société de livraison de plats cuisinés, a fait faillite en juillet 2016. L’entreprise était présente dans 20 villes européennes.
Ubérisation et précarisation du marché du travail
Ces nouvelles sociétés créent de l’emploi, mais il s’agit d’un travail essentiellement mal rémunéré (souvent au salaire minimum), à temps partiel et sans protection sociale. Il s’agit d’un modèle aux antipodes du salariat classique. Le travailleur commence et finit de travailler quand il veut. C’est une flexibilité totale mais également un mode de vie précaire du fait de la faible rémunération, et peu à même de mobiliser une force de travail sur du moyen-long terme.
Depuis le 26 mars 2024, le revenu net minimum des chauffeurs VTC est de 9 euros la course et 30 euros par heure travaillée. Ces nouvelles règles sont plus avantageuses que par le passé.
Cependant, pour les livreurs Uber Eats la rémunération horaire est plutôt autour de 14 à 15 euros. Soit moins de 2 000 euros bruts sur une base de 35 heures, dont il faudra soustraire de nombreuses charges, Il ne reste donc pas un gros montant au bout du compte.
Le groupe enregistre par conséquent une rotation très importante des livreurs, dont les gains sont insuffisants.
L’intervention nécessaire des pouvoirs publics
Les États ont souvent été pris de court et contraints d’agir a posteriori lorsque des déséquilibres sont apparus. L’Ubérisation avance à un rythme très rapide, et il est difficile pour les pouvoirs publics de faire la balance entre les avantages et les inconvénients.
La révolte des taxis en France
Le service UberPop donnait la possibilité aux particuliers de transporter d’autres particuliers, avec très peu de contraintes. Face au tollé suscité au sein des taxis traditionnels, le gouvernement a décidé d’interdire ce service. Depuis, les barrières à l’entrée pour les VTC ont été augmentées, notamment par la loi Thévenoud votée en 2014. Cette dernière oblige les chauffeurs à justifier d’un certificat d’assureur et d’avoir suivi une formation commune aux taxis. Les pouvoirs publics se sont également intéressés aux conditions de travail des chauffeurs de VTC.
Droits des travailleurs des plateformes d’ubérisation
Le 14 octobre 2024, les pays membres de l’Union Européenne ont définitivement adopté un texte visant à renforcer les droits des travailleurs des plateformes d’ubérisation. Ce dernier laisse deux ans aux États membres pour changer leur législation et y ajouter la présomption d’emploi (créant ainsi un lien de subordination officiel et reconnu par la loi). Cela devrait à terme permettre à ces travailleurs (presque 30 millions dans l’UE) de bénéficier du statut de salarié et des avantages sociaux et économiques qui l’accompagne.
La distorsion des marchés immobiliers
Le développement d’Airbnb a, dans certains cas, eu un effet néfaste sur le marché du logement. La rentabilité d’une location sur Airbnb étant supérieure à une location traditionnelle, de nombreux propriétaires sont tentés de louer leur(s) bien(s) exclusivement sur Airbnb. Ceci provoque une pénurie de l’offre dans le logement locatif traditionnel et pénalise la population locale (loyers plus élevés, exode du centre-ville). Symétriquement, cela nuit à l’hôtellerie traditionnelle, soumise à davantage de contraintes.
À Paris, la mairie interdit de louer un bien sur Airbnb plus de 120 jours par an (depuis 2016).
À Berlin, il est seulement possible de louer une chambre dans l’appartement ou la maison du propriétaire (depuis 2016 également).
La régulation de la finance participative
Dès 2014, un nouveau cadre réglementaire a été mis en place par les pouvoirs publics. Les plateformes de prêts ou de titres doivent avoir un statut, contrôlé, pour les premiers par l’ACPR et pour les seconds par l’AMF.
Merci pour cet article que j’utilsie pour un devoir de SES, trés complet !
Super intéressant, dossier très complet. Je reviendrai au plaisir la prochaine fois que je devrais en apprendre beaucoup sur un sujet. La structure du site est exemplaire !
Trés interessant