Pourquoi les banques centrales décident parfois de monter les taux d’intérêts ?
Les taux d’intérêts sont indirectement déterminés dans chaque zone monétaire par les banques centrales. Elles influencent, en utilisant leurs taux d’intérêt directeurs (les taux auxquels les banques prêtent et empruntent à la banque centrale), tous les taux d’intérêt en vigueur dans l’économie, et peuvent donc contrôler la croissance et les prix, ce qui constitue leurs objectifs de long-terme. Les taux directeurs sont l’instrument privilégié des banques centrales en temps normal, quand elles appliquent des politiques monétaires dites « conventionnelles ».
Quel contexte provoque alors une hausse des taux ?
La plupart du temps, c’est en situation d’une inflation forte, assez généralisée et hors de contrôle que les banques centrales décident d’augmenter ses taux d’intérêt directeurs. L’objectif est simple : en rendant tout emprunt plus cher, les agents empruntent moins, la demande pour le crédit diminue et, en parallèle, ils épargnent plus. La combinaison de ces comportements ralentit l’économie et ferait baisser l’inflation sur le moyen terme.
La période post-Covid-19 a été un très bon exemple récent de la mise en œuvre généralisée par les banques centrales de cette stratégie afin de juguler l’inflation galopante.
Impact des taux sur les secteurs économiques
Les entreprises friandes des taux bas
Directement, les entreprises peuvent se financer par des prêts peu onéreux (charges d’emprunt peu élevées). Indirectement, cela leur permet – toutes choses égales par ailleurs – de dégager des bénéfices et de verser des dividendes à leurs actionnaires.
Les produits immobiliers avantagés par des taux bas
Les taux bas solvabilisent la demande, c’est-à-dire qu’ils permettent à plus de personnes d’emprunter. Les investisseurs, ne pouvant généralement pas financer un investissement immobilier comptant, trouveront des prêts à taux d’intérêt très avantageux.
Pour comprendre l’importance des taux sur un emprunt, prenons un exemple simple :
Prenons un couple lambda qui souhaite emprunter 150 000 euros pour acheter sa première maison. Comparons le coût de l’emprunt sur 20 ans avec un taux à 1 % d’une part et avec un taux à 4 % d’autre part.
Pour cela, nous allons utiliser notre calculateur en crédit immobilier.
Emprunt à 1 % sur 20 ans (240 mois) :
Le coût de cet emprunt est de 165 562 euros, soit 15 562 euros d’intérêts. Les mensualités s’élèvent alors à 690 euros.
Emprunt à 4 % sur 20 ans (240 mois) :
Le coût de cet emprunt est de 218 153 euros, soit 68 153 euros d’intérêts. Les mensualités s’élèvent alors à 909 euros.
La différence entre les deux emprunts (venant des intérêts) s’élève à 52 591 euros ! Si notre couple ne peut pas rembourser plus que 690 euros par mois, il peut emprunter 150 000 si les taux sont à 1 %, mais seulement 115 000 si les taux sont à 4 %. Soit 35 000 euros de moins !
La hausse des taux a donc un effet assez délétère sur le marché de l’immobilier. La demande finit par baisser et, si la situation s’éternise, les prix de l’immobilier peuvent chuter.
L’impact sur les États
Les États du monde entier ont recours à l’emprunt sous forme d’émission d’obligation afin de se financer ; ils pratiquent notamment le roulement de la dette.
Pour faire simple, les pays sont vus comme « immortels », contrairement à une personne physique. Cela a une grande conséquence : les prêteurs sont assez confiants sur le fait d’être remboursés à terme, même si cela prend du temps. Les États ne remboursent donc jamais vraiment leur dette. À chaque échéance de remboursement, ils émettent de nouvelles obligations pour rembourser les précédentes. C’est le roulement de la dette.
La conséquence de ce mode de fonctionnement est que le coût de ce roulement varie en fonction des taux d’emprunts. Alors, en cas de hausse des taux, le marché obligataire (là où les obligations s’échangent) connait aussi des hausses. Les États n’ont pas d’autres choix que d’émettre des obligations à des taux plus hauts qui vont leur coûter plus cher. La conséquence est une dégradation des comptes publics.
Les États préfèrent donc des taux plutôt bas, d’autant plus que les pays du monde sont de plus en plus endettés, impliquant un coût de la dette important. En 2024 en France, le coût de la dette aura représenté plus de 6 % du budget total de l’État, pour un montant de plus de 52 milliards d’euros.
Voici la courbe des taux de la France, elle illustre à quel taux la France emprunte en fonction des échéances, allant de 2 à 50 ans.
Globalement, même si elle permet de contrôler l’inflation, la hausse des taux n’est pas synonyme d’une activité économique fleurissante. Il faut cependant noter qu’une hausse des taux peut calmer les marchés et faire dégonfler des bulles, évitant ainsi un coûteux éclatement.
Quelles seraient les conséquences d’une remontée des taux d’intérêt sur l’épargne et les placements financiers ?
Tout dépend de la nature des produits. Ainsi, on peut distinguer quatre catégories de produits :
- Les produits d’épargne réglementée
Une remontée des taux d’intérêt avantagerait les épargnants dans la mesure où ils bénéficieraient rapidement d’une meilleure rémunération, qu’ils soient déjà titulaires de tels produits ou nouveaux porteurs. Seuls les plans d’épargne logement ont une rémunération définie contractuellement lors de leur souscription.
- Les produits obligataires et l’assurance-vie
Pour ces produits, il convient de distinguer les nouveaux titulaires et les épargnants déjà titulaires de tels produits. Les nouveaux titulaires bénéficieront de la meilleure rémunération offerte par les produits de taux. Il en va différemment des épargnants déjà porteurs. La valeur de leurs produits se dépréciera dans un premier temps jusqu’à ce que le taux de marché des obligations constituant majoritairement ou exclusivement leurs produits soit comparable aux taux des obligations nouvellement émises.
La loi Pacte permet toutefois aux assurés d’une même compagnie d’assurance d’opter pour de nouveaux contrats éventuellement plus rémunérateurs sans novation fiscale.
S’agissant des contrats d’assurance-vie en euros, par-delà la baisse du rendement, le risque principal est que les taux remontent brusquement. Les épargnants inquiets, mais aussi attirés par des placements plus rémunérateurs, seraient alors tentés de transférer leurs avoirs pour les placer à meilleur compte. Incapables de maintenir la garantie en capital à tout instant qu’offre le fonds en euros, les assureurs seraient alors contraints de limiter, voire de suspendre, les possibilités de retraits pour préserver les intérêts des épargnants.
C’est un tel risque qui a justifié l’édiction de l’article 49 de la loi dite « Sapin II », qui permettrait au Haut conseil de stabilité financière, en cas de menace sur la stabilité financière, de limiter ou bloquer les retraits des sommes placées en assurance-vie (blocage des sommes investies durant 3 mois éventuellement renouvelables 3 mois supplémentaires).
Dans une telle hypothèse, les épargnants ne subiraient pas une perte financière, mais une perte temporaire de liquidités récupérées au fur et à mesure du remboursement des obligations constituant le portefeuille de l’assureur.
- Les produits actions
Les facteurs qui justifiaient une bonne tenue des marchés actions en période de taux bas vont jouer en sens inverse. Les entreprises devront se financer en empruntant à des taux plus forts et les investisseurs préféreront des produits de taux redevenus plus attractifs (qui présentent des risques plus limités).
- Les produits immobiliers
La remontée des taux d’intérêt limitera l’attrait d’un financement par l’emprunt, comme c’est aujourd’hui le cas. En outre, comme dans le cas des marchés actions, les investisseurs potentiels pourraient préférer des produits obligataires offrant un investissement moins long et nécessitant des investissements moins lourds.
Quelles conséquences pour les prêteurs (banques)
Si on a surtout abordé le point de vue des emprunteurs jusque-là, les prêteurs aussi sont impactés en cas de hausse des taux.
Risque de taux
Le risque de taux est un des principaux risques pour les banques et autres fonds d’investissements. En effet, les banques investissent leurs liquidités dans des produits financiers, le plus souvent des obligations d’État, car elles sont sûres. Cependant, il demeure un problème : quand les taux montent, les obligations nouvellement émises ont des taux de rendement bien plus élevés que les anciennes. La valeur sur le marché secondaire des anciennes obligations avec de faibles taux de rendement chute donc, car elles sont moins rentables.
Si des clients de la banque ou les financiers s’inquiètent que ces pertes puissent rendre la banque insolvable (incapable de rembourser ses dettes), il peut advenir une panique bancaire. Tous les déposants exigent le retrait de leurs dépôts avant qu’il ne soit trop tard. Malheureusement, ce comportement est autoréalisateur : la banque n’a bien entendu jamais les moyens de rembourser tout le monde en une seule journée, et peut donc faire faillite pour raison d’illiquidité (et pas forcément d’insolvabilité).
Le risque de taux, s’il se réalise, peut entraîner le risque de liquidité et pousser une banque à la faillite en très peu de temps. Il existe ainsi des règles et des lois pour imposer aux banques d’avoir des réserves, et pour garantir les dépôts des particuliers et des entreprises (à hauteur de 100 000 euros par personne et par établissement).
Impact sur la rentabilité des banques
Une augmentation des taux peut permettre aux banques, sur le long terme, d’augmenter leurs marges sur les nouveaux prêts qu’elles accordent. Cependant, des taux plus hauts peuvent rendre certains emprunteurs moins solvables, surtout pour ceux qui ont emprunté à taux variable. Les banques portent alors un risque, dit de contrepartie, plus grand. L’effet net d’une hausse des taux est donc incertain, et dépend de nombreux facteurs.
Bonjour, merci pour vos infos d’une grande clarté et bien répartis.
Je détiens des actions immobilières depuis 2020. LEs cours ont alors grimpé très favorablement. Jusqu’à ce que la hausse des taux s’invite en 2022. A date de septembre 2023 les cours ont chuté en moyenne de 60%. Je suis même perdant en accumulant au niveau de la crise de 2020 (-25%).
J’ai lu ceci:
L’évaluation des actifs immobiliers est revue à la baisse pour une majorité des acteurs du secteur.
L’augmentation des taux grignote mécaniquement la valeur des bâtiments , puisque la valeur de l’actif correspond aux revenus locatifs divisés par le rendement.
Pouvez vous vulgariser de point et comment se calcule ledit rendement?
Les emprunts et levées de capitaux passés ne devant pas souffrir d’une hausse des taux (à moins que les emprunts soient faits ç taux variable) ainsi que la lecture du bilan des sociétés restant inchangées
les fondamentaux devraient résister ou non?
Alors que l’immobilier constituait l’une des sources uniques de rendement lorsque les taux d’intérêt étaient auplus bas, leur forte remontée offre des opportunités pour les investisseurs qui cherchent du rendement viad’autres classes d’actifs. Conséquence: l’ensemble du secteur boit la tasse depuis plusieurs mois enbourse.
Certes des investisseurs aux dents longues shortent à peu près tout ce qui leur semble bon pour générer du rendement court terme. Pourquoi dans ce cas l’immobilier en priorité? y a t il un lien de cause à effet inextricable entre la récente hausse des taux et la chute de leurs valorisation ou assiste t on tout bonnement à une politique de la part des shorteurs?
Merci de donner des éléments d’analyse pratique sur ce cas de figure.
Bonjour,
Votre commentaire porte, notamment, sur l’évaluation d’actifs. Pour simplifier, on considère généralement que la valeur d’un actif correspond à la somme des revenus actualisés qu’il permettra de générer. Faisons ici un détour par « l’actualisation » : il s’agit d’une méthode permettant d’exprimer en valeur présente des valeurs futures. L’actualisation est donc l’opération inverse de la capitalisation. En supposant par exemple que le taux d’intérêt en vigueur dans l’économie est de 3 %, 100 euros aujourd’hui vaudront 103 euros dans un an, 106,09 euros dans deux ans, etc. C’est le principe de la capitalisation. En renversant ces opérations, on peut en déduire que 106 euros de septembre 2025 ont une valeur présente, c’est-à-dire en septembre 2023, de 100 euros. Vous l’aurez alors compris : le choix du taux d’actualisation est loin d’être neutre. Plus le taux d’intérêt choisi pour actualiser est élevé, plus la valeur présente de flux futurs sera faible. Ce mécanisme s’applique à de nombreux types d’actifs.
Revenons à l’immobilier : en appliquant ce raisonnement, on comprend qu’une même trajectoire future de loyers aura, après la hausse des taux d’intérêt, une valeur présente plus faible qu’auparavant. Voilà pour répondre à votre première question.
Concernant votre dernière question, nous ne disposons pas de tous les éléments nous permettant de conclure. Il nous semble, toutefois, que l’endettement élevé de certaines sociétés spécialisées dans l’immobilier est une source d’inquiétude pour les investisseurs.
Meilleures salutations,
L’Equipe de Lafinancepourtous.com