Mises en accusation dans la crise des subprimes, les agences se sont faites discrètes. Les États ont évité en 2008 que la crise se transforme en grande dépression par la mise en œuvre de « plans de relance » mobilisant des ressources publiques importantes, creusant les déficits et conduisant à une augmentation rapide de la dette publique. L’ampleur de ces plans a été sans précédents en temps de paix.
Les agences de notation n’ont pas alerté sur les risques, y compris pour les pays comme la Grèce, déjà les plus fragilisés par l’ampleur de leur dette, les niveaux de leur déficit ou leur compétitivité.
Les effets de la crise
Si les politiques monétaires et budgétaires suivies ont réussi à restaurer la liquidité des banques et des investisseurs, elles n’ont pas rapidement embrayé, dans la zone euro et dans la plupart des pays européens, sur un rétablissement de la croissance.
Dans ces conditions, les investisseurs peuvent se sont interrogé sur la soutenabilité de la dette publique notamment de celle de la Grèce dont le gouvernement de Georges Papandreou a révélé que ses prédécesseurs avaient caché l’ampleur des déficits.
Les spéculateurs ont parié sur une crise de la dette publique de la Grèce et plus généralement sur une crise de l’euro, compte tenu notamment de la faiblesse des dispositifs institutionnels de la zone pour faire face à de telles crises.
Pompiers pyromanes
Les agences de notation n’ont pas lancé ce mouvement. « Les marchés ont revu à la baisse les anticipations bien avant que les agences de notation ne le fasse », souligne l’économiste Nicolas Veron.
Mais la dégradation de trois crans de la notation de la Grèce par Standard & Poor’s a été d’une sévérité rarissime. Elle a eu pour conséquences d’augmenter les taux d’intérêts exigés par les investisseurs jusqu’à des niveaux insoutenables (au dessus de 10 %) et de rendre inopérants les efforts entrepris par le Premier ministre grec pour se passer d’aides d’urgence des États de la zone Euro et du FMI.
L’abaissement des notes de l’Espagne et du Portugal et le « timing » des décisions et des annonces est lui aussi critiqué pour la même raison. Il renchérit les coûts du refinancement public de ces pays et aggrave leurs déficits…
Problèmes de méthodologie et de conflit d’intérêts
La pertinence des notations des agences en matière d’évaluation du risque souverain est également sujette à interrogation. Les agences sont loin d’avoir la même expertise dans le domaine des finances publiques que dans le domaine des entreprises où elles bénéficient d’un accès privilégié à leur information financière.
« Les agences de notations peuvent-elles, pour leur business, prendre le risque de se mettre à dos les États-Unis et l’Angleterre, berceaux des deux principales places financières mondiales ? » écrit le banquier d’affaires Marc Fiorentino (La Tribune 3 mai 2010) selon lequel, en appliquant les critères de la notation utilisés pour la Grèce, le Portugal ou l’Espagne, « les dettes anglaises, américaines et françaises ne mériteraient déjà plus leur AAA »
Les agences de notation ne sont pas les seules responsables des crises
Quelles que soient les critiques que l’on peut porter à leur action, les agences de notation ne sauraient être tenues pour les seules responsables ni même les principales responsables des crises financières depuis le début du siècle.
On peut souligner les responsabilités des investisseurs, qui ont partiellement renoncé à leur responsabilité d’évaluation du risque des actifs qu’ils détiennent et le délèguent aux agences de notation ou celles des États et des régulateurs qui leur ont donné un rôle de certificateur sans leur imposer de véritables cahiers des charges.
En fait, les agences participent d’un fonctionnement général des marchés qui tend à passer de situations d’euphorie où les risques sont minimisés à des situations inverses. On peut dire qu’elles tiennent leur rôle dans ce type de fonctionnement au lieu de servir à le contrecarrer. Mais peut-on leur en attribuer la seule responsabilité alors que ce ne sont pas des institutions de régulations ?
À la remorque du marché
Pour l’économiste André Orléan « l’autorité véritable, durant l’euphorie comme durant la crise, c’est le marché lui-même ; c’est de lui que dépendent les réputations et les profits ; c’est lui qui contraint les agences de notation. Ce que l’on peut reprocher à ces dernières, dans cette crise (des subprimes) comme dans les précédentes, c’est d’être toujours à la remorque du marché pour ce qui est des tendances de fond. Pour cette raison, ces agences n’ont eu aucun impact stabilisateur au cours de la période analysée. Elles ont conforté les évolutions du marché, à la hausse comme à la baisse ». (De l’euphorie à la panique : penser les crises financières, 2009)
De même dans la crise grecque, comme le souligne l’économiste Marc Touati, « les marchés sont comme ça. Une fois qu’on les oriente dans une direction, ils ont du mal à s’arrêter. Et ce qui devient dangereux, c’est que c’est « auto réalisateur« . Plus les taux d’intérêt augmentent, plus le risque de défaut augmente, et plus la notation se dégrade. Mais il ne faut pas inverser le problème. Ce n’est pas seulement un problème de notation et de dette publique, c’est surtout un problème de faiblesse de la croissance. Aujourd’hui, dans la grande majorité des pays de la zone euro, il n’y a pas assez de croissance économique simplement pour payer les intérêts de la dette. Il y a eu des erreurs de gouvernance économique de la zone euro ». (Le Monde, 29 avril 2010).
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