La baisse historique du temps de travail
La diminution du temps de travail sur longue période constitue, tout d’abord, une caractéristique fondamentale des économies modernes. Elle résulte, premièrement, de la très forte augmentation de la productivité observée depuis le début du XIXe siècle. À temps de travail égal, voire inférieur, il est possible de produire davantage. La diminution du temps de travail est également le produit de réformes politiques et de luttes syndicales.
Dans Productivité et richesse des nations, Jean Fourastié fournit un exemple illustrant ces gains de productivité.
En France, le travail d’un paysan permettait de nourrir 1,7 personne en 1700. Avec l’amélioration de la productivité, permise par le progrès technique et l’industrialisation, ce chiffre augmente progressivement à 2,1 en 1800, puis 30 en 1980. Jean Fourastié estime, enfin, qu’en 1990, le travail d’un paysan permet de nourrir 40 personnes.
Cette tendance à la baisse du temps de travail est commune à l’ensemble des pays développés. La France n’y fait donc pas exception. Comme le montrent Olivier Marchand et Claude Thélot, deux économistes et statisticiens issus de l’Institut national de la statistique et des études économiques (INSEE), le temps de travail annuel a, en effet, fortement diminué dans l’Hexagone au cours des deux derniers siècles.
Alors que la durée de travail annuelle par personne était, selon O. Marchand et C. Thélot, de 3 041 heures en 1831, elle s’est réduite de 12 % en l’espace de 80 ans, pour atteindre 2 676 heures à la veille de la Première Guerre mondiale.
Au cours du XXe siècle, la tendance à la diminution du temps de travail s’est accélérée, notamment du fait de l’évolution de la législation.
Évolution de la législation sur le temps de travail en France
En France, la durée légale du travail a été réglementée par de nombreuses lois restées célèbres, notamment :
– le décret du 9 septembre 1848 limitant la durée de travail à 12 heures par jour ;
– la loi du 30 mars 1900 réduisant la durée journalière de travail à 11h, puis à 10h30 ;
– la loi du 13 juillet 1906 instituant le repos dominical (semaine de 6 jours) ;
– la loi du 23 avril 1919 instituant la semaine de 48h et la journée de travail de 8h ;
– la loi du 21 juin 1936 instituant la semaine de 40h ;
– l’ordonnance du 16 janvier 1982 instituant la semaine de 39h ;
– les lois du 13 juin 1998 et du 19 janvier 2000 faisant passer la durée légale du travail à 35h par semaine.
Ainsi, après la Seconde Guerre mondiale, la durée annuelle du travail est de 2 096 heures, soit une diminution de 24 % par rapport à 1913. Elle baisse, ensuite, de près de 450 heures en valeur absolue, pour atteindre 1 649 heures en 1989.
Travaille-t-on moins en France que dans les autres pays ?
L’assertion selon laquelle les Français travailleraient moins que les habitants des pays voisins apparaît régulièrement dans le débat public en France. Emmanuel Macron, le Président de la République l’a ainsi à nouveau affirmé à l’occasion de la présentation du plan d’investissement France 2030. Que nous disent les données disponibles sur le sujet ?
L’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) fournit des données portant sur le nombre moyen d’heures travaillées par an par les salariés et les travailleurs indépendants de ses pays membres.
Selon l’OCDE, la moyenne était, en France en 2020, de 1 402 heures travaillées par personne. Ce chiffre est inférieur à la moyenne des pays membres de l’OCDE (1 687 heures travaillées en moyenne par personne) et de l’Union européenne (1 513 heures).
En revanche, le nombre moyen d’heures travaillées par an est supérieur en France à plusieurs pays, dont l’Allemagne (1 331,7 heures).
Cet indicateur est, toutefois, à prendre avec beaucoup de précautions à cause, comme le souligne l’OCDE, « de la disparité des sources et des méthodes de calcul ». Un des biais de cet indicateur réside, par exemple, dans le mélange entre temps partiel et temps complet. Il permet notamment de rendre compte du fait que l’Allemagne, pays où le temps partiel est particulièrement développé, apparaît comme le pays de l’OCDE où le nombre annuel d’heures travaillées est le plus faible.
Les données d’Eurostat permettent de dépasser certains des biais de l’indicateur de l’OCDE. Collectées à partir de questionnaires d’enquête, elles fournissent, en effet, le nombre d’heures habituellement travaillées par semaine. Ce dernier comprend toutes les heures travaillées, y compris les heures supplémentaires, qu’elles soient payées ou non, mais exclut les temps de déplacement entre le domicile et le lieu de travail, ainsi que le temps de la pause déjeuner.
Selon Eurostat, le nombre d’heures habituellement travaillées par semaine en France est de 37,4 en moyenne. Il est donc supérieur à la moyenne de la zone euro (36,3 heures) et de l’Union européenne (37 heures). Ainsi, il est faux d’affirmer que l’on travaille moins en France que dans les autres pays européens.
La réduction du temps de travail permet-elle de réduire le chômage ?
Dans les années 1980 et 1990, plusieurs pays européens ont cherché, par divers moyens, à réduire le temps de travail afin de lutter contre le chômage. Ces politiques reposaient sur l’hypothèse d’une quantité fixe d’emploi, vivement critiquée par de nombreux économistes. Si celle-ci était vérifiée, alors toute réduction du temps de travail permettrait de créer de nouveaux emplois et donc de réduire le chômage.
« Les économistes condamnent quasi unanimement le sophisme de l’emploi en quantité fixe », Jean Tirole – Économie du bien commun – 2016, p. 343.
C’est dans ce contexte que les deux lois « Aubry », du nom de Martine Aubry alors ministre de l’Emploi et des Solidarités, du 13 juin 1998 et du 19 janvier 2000, ont notamment fixé, en France, la durée légale du temps de travail à 35 heures par semaine pour un salarié à temps plein. Réforme ambitieuse, elle devait créer 700 000 emplois, selon l’estimation contenue dans le programme pour les élections législatives de 1997 du Parti socialiste.
On comptait, fin 1997, près de 2,78 millions de chômeurs en France selon l’INSEE.
Le bilan de la réduction du temps de travail, notamment sur le niveau de l’emploi, est particulièrement discuté en France.
Il varie, en effet, considérablement d’une évaluation à l’autre. Ainsi, le Mouvement des entreprises de France (Medef) estimait, en 1999, que la première loi Aubry n’avait permis de créer que 15 000 emplois, tandis que l’économiste Michel Husson évaluait, en 2002, à 500 000 le nombre d’emplois supplémentaires permis par la réduction du temps de travail. Outre des différences méthodologiques fortes, les écarts entre ces différentes évaluations illustrent toute la difficulté d’isoler les effets d’une politique économique donnée dans un contexte macroéconomique complexe.
Une étude de 2004 de la Direction de l’animation de la recherche, des études et des statistiques (DARES) – l’une des évaluations les plus « favorables » à la mesure – a estimé que les lois Aubry avaient permis la création ou la préservation d’environ 350 000 emplois, ce qui correspond à près de 18 % des emplois nets créés entre 1998 et 2002. Cependant, selon cette étude, ces créations d’emplois résultaient davantage de la baisse des charges et de la plus grande flexibilité dans l’organisation du travail, comprises dans les lois Aubry, que de la réduction du temps de travail. Les lois Aubry n’auront, enfin, eu qu’un impact limité sur le niveau du chômage en France.
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