Gabriel Zucman sur les paradis fiscaux

la finance pour tous

Cette vidéo, tournée en 2012, permet de s’intéresser à la problématique des paradis fiscaux. Depuis la problématique a sensiblement évolué. 

Gabriel Zucman, doctorant à l’École d’Économie de Paris et rédacteur en chef de la revue Regards croisés sur l’économie, est l’auteur d’une étude remarquée sur les paradis fiscaux. Il répond ici aux questions de La Finance pour tous.

Qu’est-ce qu’un paradis fiscal ?

 

Gabriel Zucman a effectué un important travail sur ce qu’il a appelé  la « richesse manquante des nations », c’est-à-dire le patrimoine des ménages qui n’apparaît pas dans les statistiques nationales et mondiales, parce que caché dans les paradis fiscaux.

S’agissant des ménages et de leur gestion de patrimoine, un paradis fiscal peut être défini comme un pays qui offre aux particuliers  la possibilité  de frauder le fisc simplement en ne déclarant pas sur leur feuille d’impôt les revenus les  patrimoines gérés dans ce pays.

Des pays comme la Suisse, Singapour, les îles Caïman offrent ce service. Un particulier de nationalité française par exemple  qui possède en Suisse 100 millions d’euros investis dans des parts d’un fonds d’investissement luxembourgeois perçoit chaque année  plusieurs millions d’euros de dividendes. Ce flux de millions d’euros de dividendes n’est pas taxé au Luxembourg, il n’est pas non plus taxé en Suisse (Les dividendes versés par des sociétés étrangères sur des comptes en Suisse ne sont pas imposés).

Or, en raison du secret bancaire très strict existant en Suisse comme à Singapour et ailleurs, le fisc français n’aura pas le moyen de savoir que cet argent et ces revenus existent. En revanche, si ce particulier confie son argent à un banquier allemand, il n’échappera pas à l’impôt en France, car il  y a un échange automatique d’informations entre la banque et le fisc français. 

6 000 milliards de dollars

A partir de son étude,  Gabriel Zucman  évalue qu’environ 8 % du patrimoine financier des ménages à l’échelle mondiale est détenu dans des paradis fiscaux. Les ménages détiennent environ 6 000 milliards de dollars dans les paradis fiscaux.

Selon lui un tiers  de ces 6 000 milliards est détenu en Suisse dont environ la moitié appartient à des Européens. Ces 6 000 milliards correspondent à la différence statistique que l’on constate entre tous les passifs que les pays enregistrent et tous les actifs que les pays enregistrent

Il y a aujourd’hui un consensus pour dire que cet énorme trou (plus de passif que d’actif) reflète la valeur des fortunes que les particuliers détiennent dans les paradis fiscaux.

Et la France ?

Les Français possèdent au moins 8 % de leur patrimoine dans les paradis fiscaux. 8 % du patrimoine financier des ménages en France c’est environ 250 milliards d’euros.

Selon Gabriel Zucman, les Européens, en particulier les Français utilisent plus les paradis fiscaux que les autres pays.  Ils détiendraient donc  plus que 250 milliards d’euros dans les paradis fiscaux. Mais ajoute -t-il, « à ce stade je ne peux dire précisément combien ».

Comment ça marche ?

 

Les particuliers  qui ont des comptes en Suisse ou à Singapour, explique Gabriel Zucman, ne laissent pas leur argent dormir sur leurs comptes. Ils achètent en général des parts de fonds d’investissement qui sont eux mêmes domiciliés principalement dans trois pays : le Luxembourg, les Iles Caïman et l’Irlande.

En fait presque automatiquement, si un particulier étranger ouvre un compte  en Suisse dans une banque, celle-ci va lui proposer d’investir dans un fonds luxembourgeois. Dans les statistiques financières internationales cela va se traduire par une anomalie  qui au total va être considérable.

Investis dans des fonds luxembourgeois

La valeur des parts émises par les fonds d’investissement luxembourgeois est d’environ 2 000 milliards de dollars. À son passif, le Luxembourg enregistre 2 000 milliards. Mais  le montant total des avoirs sur les fonds d’investissement luxembourgeois enregistrés dans la balance des paiements de tous les pays du monde (à l’actif) est de seulement 1 000 milliards de dollars. Il manque 1 000 milliards de dollars (Ces 1 000 milliards de dollars font partie des 6 000 milliards qui sont détenus offshore).

Donc, rien que le Luxembourg explique déjà une fraction très importante de l’anomalie globale entre actifs et passifs mondiaux. Le même mécanisme joue pour l’Irlande ou pour les Iles Caïman.Les anomalies dans les statistiques internationales nous révèlent ce schéma type très simple : investisseurs européens -> comptes en Suisse -> parts de fonds luxembourgeois (ou Irlande ou Iles Caïman…).

Sociétés écrans au  Panama

Mais, note Gabriel Zucman, il est possible d’affiner à partir des  statistiques existantes sur les détenteurs de comptes en Suisse. 60 % des comptes en Suisse appartiennent à des pays tels que Panama ou les Iles vierges britanniques. « À première vue, c’est assez troublant,  mais en fait c’est assez  simple à comprendre » affirme Gabriel Zucman.

Les particuliers  qui ont des comptes dans les paradis fiscaux, en Suisse mais pas seulement, ne détiennent en général pas directement leurs comptes, ils les détiennent par l’intermédiaire de sociétés écran et ces sociétés écran ont souvent des adresses au Panama ou aux Iles vierges britanniques. 60 % des comptes en Suisse, sur le papier, appartiennent au Panama ou aux Iles vierges britanniques, mais si on essaye de regarder qui se trouve derrière Panama et les Iles vierges britanniques, on comprend assez vite que ce sont surtout des Européens.

En 2005, dans le cadre de la directive épargne, l’Union européenne a introduit un impôt pour taxer les européens qui avaient des comptes en Suisse.

Mais cet impôt s’applique seulement sur les avoirs détenus directement dans les banques suisses et non à ceux qui sont détenus par l’intermédiaire de sociétés écran. Lorsque cet impôt a été introduit en 2005, la part des comptes en Suisse qui appartiennent à des Européens d’après les statistiques de la banque centrale suisse s’est effondrée, mais de façon parfaitement symétrique, la part des comptes en Suisse qui appartiennent à Panama ou aux Iles vierges britanniques a explosé.

Il est donc assez raisonnable d’en conclure que derrière Panama et les Ils vierges britanniques, il y a des Allemands, des Français, des Italiens, des Britanniques, des Grecs, des Portugais, des Espagnols.

Les moyens d’actions

 

Selon Gabriel Zucman, ce qui est fait actuellement pour lutter contre les paradis fiscaux ne marche pas  très bien. En avril 2009, les pays du G20 ont affiché l’ambition de mettre fin à la fraude fiscale liée aux paradis fiscaux.

L’action du G 20

L’idée était de forcer les paradis fiscaux à signer des traités d’échange d’informations fiscales avec les pays du monde entier. Mais concrètement, rien n’a changé, les chiffres montrent que  les fortunes dans les paradis fiscaux en 2012 n’ont pas diminué par rapport à 2009.

En réalité, les traités d’échanges d’informations qui ont été signés ne prévoient que l’échange d’informations fiscales à la demande. Le fisc français par exemple peut obtenir maintenant des informations de la Suisse, ce qui n’était pas possible avant, mais à des conditions draconiennes. Il faut qu’il ait déjà des soupçons très précis, très étayés au sujet de personnes bien identifiées. Le volume d’informations échangé par les paradis fiscaux reste en fait négligeable.

Le standard promu par le G20, c’est-à-dire l’échange d’informations à la demande, n’est pas adapté au problème. Ce n’est pas d’une centaine d’informations dont on a besoin, c’est de dizaines de milliers d’informations par an.

L’échange automatique d’informations

Pour Gabriel Zucman, une façon de s’attaquer efficacement au problème de la fraude fiscale des paradis fiscaux serait d’exiger un échange automatique d’informations des banques dans les paradis fiscaux, sur le modèle de ce qui existe au sein de chaque pays ou à l’intérieur de l’Union européenne, entre l’Allemagne et la France, entre l’Espagne et la France…

Étendre ce modèle d’échange automatique d’informations aux paradis fiscaux est techniquement très simple et cela constitue la seule solution vraiment fiable pour mettre un terme à la fraude fiscale offshore (= à l’étranger).

Si l’Europe et les États-Unis parlaient d’une seule voix, ou même si seulement l’Europe ou seulement  les États-Unis imposaient cette règle  au lieu de la règle  d’échange d’informations à la demande, les paradis fiscaux ne pourraient pas dire grand-chose parce que personne ne peut s’opposer à la volonté d’économies aussi importantes que l’Union européenne ou les États-Unis.

C’est pourquoi Gabriel Zucman se dit  « assez optimiste sur les possibilités de mettre un terme définitif à la fraude fiscale des paradis fiscaux. Les moyens techniques sont  connus et  éprouvés. Il s’agit juste d’une question de volonté politique ».

 

    3 commentaires sur “Gabriel Zucman sur les paradis fiscaux”
    1. et si nous revenons à la question des paradis fiscaux en ces jours là de l’année 2020, qu’ils seront les stratégies et tactiques que doivent faire les pays au niveau de leur systémes fiscaux pour contrarier ces paradis fiscaux, à part la mesure de l’echange automatiques d’informations qui n’a pas tiré profit à nos jours.

      1. Bonjour,

        L’échange automatique des données bancaires constitue un progrès dans la lutte contre la fraude et l’évasion fiscales. Néanmoins, il est vrai que les paradis fiscaux sont loin d’avoir disparus. Dans ces conditions, l’économiste Gabriel Zucman propose de mettre en place des sanctions financières à l’égard de ces pays, par exemple sous la forme de droits de douane ciblés. Il milite également dans son ouvrage « La richesse cachée des nations : enquête sur les paradis fiscaux » (2013) pour la mise en place d’un cadastre financier mondial, recensant la détention d’avoirs financiers et d’actions, afin de contraindre les contribuables à rester en règle avec les systèmes fiscaux nationaux.

        Meilleures salutations,

        L’Equipe de Lafinancepourtous.com

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