Définition de la base monétaire
Afin de comprendre ce qui va suivre sur les impacts des politiques monétaires de la BCE, il faut revoir ce qu’est une base monétaire. La base monétaire, aussi appelée « monnaie banque centrale » (notée M0), est l’ensemble de la monnaie créée directement par la banque centrale (BC). Elle seule peut créer cette monnaie.
Elle peut prendre différentes formes, à la fois de pièces et de billets qu’elle seule peut émettre, mais aussi des avoirs monétaires qui sont détenus par les banques commerciales auprès de la BC.
Si chaque banque commerciale peut créer de la monnaie scripturale (écritures de compte) via l’octroi de crédit, elle ne peut cependant pas créer de la monnaie centrale. Or c’est cette monnaie centrale qui sert de moyen de paiement entre les banques (via le marché interbancaire). Chaque banque doit donc avoir des dépôts auprès de la BC afin de pouvoir prêter et emprunter cette monnaie.
Quand la BC crée de la monnaie centrale, celle-ci n’est donc pas utilisée par les acteurs de l’économie réelle. Cependant, les banques commerciales s’en servent comme fondation pour accorder plus de crédits. Non pas qu’elles prêtent cette monnaie centrale (elles créent ex-nihilo la monnaie du crédit), mais plutôt que celle-ci est utilisée de moyen de règlements avec d’autres banques lorsque les fonds prêtés seront transférés auprès d’autres agents.
On fait donc la distinction entre base monétaire (la monnaie de la banque centrale surtout utilisée par les banques) et la masse monétaire (la monnaie utilisée par les acteurs de l’économie réelle).
La BC peut aussi avoir un impact sur ce canal grâce à ses taux directeurs. En effet, si elle augmente son taux de rémunération des dépôts, les banques commerciales préfèreront accorder moins de crédits pour profiter de cette rémunération facile et sans risque. A l’inverse, la baisse de ce taux incitera les banques à prêter plus afin d’obtenir de meilleures rémunérations via les intérêts qu’elles appliquent à leurs crédits à leurs clients.
Securities Markets Programme (SMP) et impact sur la base monétaire
En premier lieu, qu’est-ce que le programme SMP, lancé en mai 2010 ? Il consistait à racheter sur le marché secondaire les obligations souveraines des États de la zone euro qui faisaient face à la défiance des investisseurs qui exigeaient des primes de risques élevées pour acquérir ces titres.
La BCE a ainsi procédé au rachat d’obligations du Portugal, de l’Irlande, de l’Italie, de la Grèce et de l’Espagne pour un montant total d’environ 220 milliards d’euros. Ce programme est aujourd’hui arrêté.
Il a été remplacé en septembre 2012 par le programme OMT (Outright Monetary Transactions), qui n’a toutefois pas débouché sur l’acquisition de nouveaux titres par la BCE.
Le SMP a-t-il résulté en une création monétaire ?
Ces rachats effectués dans le cadre du programme SMP n’ont pas donné lieu à de la création monétaire. En effet, si la BCE procédait bien à des injections de liquidités lors de ses rachats, elle procédait à la « stérilisation » de ses interventions.
Cela signifie qu’elle intervenait auprès des banques pour retirer le même montant de liquidités que celui qu’elle leur avait apporté en rachetant les titres de la dette publique. Par exemple, si la BCE rachetait sur le marché secondaire de la dette publique des titres d’une contrevaleur de 5 milliards d’euros, elle allait, dans le même temps, procéder à une reprise de liquidités pour un montant global de 5 milliards d’euros également.
Donc pas d’augmentation de la base monétaire ici, pas plus qu’une augmentation des agrégats monétaires. La stérilisation de l’opération l’a rendu neutre de ce point de vue, tout en permettant d’alléger le risque porté par les banques commerciales.
Les canaux de transmission des politiques monétaires
Avant de s’intéresser aux résultats de l’assouplissement quantitatif qui vont suivre, il faut avoir en tête les principaux canaux de transmission de cette politique monétaire non conventionnelle.
Canal du crédit
Le canal du crédit se porte sur les opérations comptables qui ont lieu lors des opérations de la BCE. L’achat des titres par la banque centrale auprès de banques commerciales fait augmenter les réserves dont elles disposent. Les banques ont ainsi la capacité de prêter plus d’argent aux acteurs de l’économie, et à des taux d’intérêt moins élevés, ce qui favorise la consommation et l’investissement.
Canaux du prix des actifs
Selon ce canal, les opérations de rachat d’obligations entraînent une hausse de la demande sur le marché des obligations, et donc une hausse des prix. Cette hausse des prix fait baisser le rendement des obligations (on paye plus cher quelque chose qui rapporte le même montant). Ensuite, ces politiques de rachat de dettes publiques font ainsi baisser le taux d’intérêt des obligations nouvellement émises, ce qui favorise l’investissement et la consommation.
Canal de confiance
Selon ce canal, l’annonce d’une politique de rachat d’actif par une BC pourrait rassurer les acteurs économiques et éclaircir leurs attentes en termes d’inflation et de croissance.
Canal du signal
De la même manière que le canal de la confiance reflète les anticipations des entreprises et des ménages sur les effets économiques des programmes de politiques monétaires, le canal du signal reflète les anticipations des investisseurs sur les taux d’intérêt et les prix futurs des actifs. Les réactions des investisseurs influencent les taux d’intérêt et les prix avant même que ce dernier ne soit implémenté.
Canal du taux de change
Le taux de change est une variable très importante économiquement, mais dont la réaction aux annonces de politiques de rachat d’obligations n’est pas très claire.
D’un côté, les investisseurs internationaux pourraient considérer qu’un tel programme entraînera une baisse des taux d’intérêt, et donc de la profitabilité. La demande de monnaie domestique diminue donc : on dit qu’elle se déprécie. La dépréciation bénéficie alors aux exportations, car les entreprises domestiques deviennent plus compétitives. En contrepartie, le prix des importations augmente. La majorité du temps, ces effets sur les échanges ont un impact positif sur la croissance.
Assouplissement quantitatif : une création monétaire ?
Historique de la politique d’assouplissement quantitatif de la BCE
Une nouvelle phase d’achat de dette publique par la BCE va s’opérer à partir de 2015 via une nouvelle méthode, l’assouplissement quantitatif (le quantitative easing ou QE). En effet, face à la menace persistante du risque déflationniste en zone euro en 2015, la BCE s’est décidée à lancer à son tour un vaste programme d’assouplissement quantitatif : l’APP (Asset Purchase Programme). Il porte alors sur un montant de 1 100 milliards d’euros d’achats de titres obligataires émis par les États membres de la zone euro ou par des organismes européens (comme la Banque Européenne d’Investissement par exemple).
Ce programme durera jusqu’à fin 2018 avec la suspension par la BCE de son programme de QE. Son montant initial a entretemps plus que doublé, pour atteindre les 2 600 milliards d’euros.
Néanmoins, comme pour la Fed ou la Banque du Japon, la crise sanitaire a poussé à reprendre son programme (les taux directeurs étant déjà à leur valeur plancher). C’est dans ce contexte qu’elle a entrepris le programme d’achat d’urgence pandémique (Pandemic Emergency Purchase Programme, PEPP). Son enveloppe atteint les 1 850 milliards d’euros en 2020, en permettant en parallèle l’élargissement des titres achetables. Fin 2022, les encours détenus par la BCE atteignent alors 5 000 milliards d’euros.
Depuis 2022, il n’y a plus eu de programme de QE. Comme dans beaucoup de zones économiques développées, l’inflation a succédé à la crise sanitaire, faisant changer de paradigme la situation économique. Bien que la BCE ait emboîté le pas à d’autres banques centrales et augmenté ses taux directeurs, elle n’a cependant pas souhaité vendre un de ses actifs financiers accumulés au cours des années. La BCE a préféré opter pour une réduction naturelle au fur et à mesure que les obligations arrivent à maturité.
Depuis le milieu de l’année 2024, la BCE bascule à nouveau dans une politique monétaire plus accommodante, l’économie de la zone euro souffrant d’une forte atonie.
Le quantitative easing est-il une forme de création monétaire ?
Comme pour les rachats opérés dans le cadre du SMP, ceux-ci ont été financés par la BCE par des injections de liquidités dans le système financier.
Toutefois, ils s’en distinguent par le fait que cette injection de monnaie n’a pas été stérilisée, ce qui implique que le montant de la base monétaire de la zone euro s’est grandement accru, sans pour autant que les euros nouvellement émis ne viennent se déverser dans l’économie réelle par le biais de la distribution de crédit par les banques ou par l’achat des nouvelles émissions obligataires des États de la zone euro.
En effet, les banques ont utilisé les liquidités obtenues pour se désendetter ou les placer dans leurs comptes de réserves à la banque centrale plutôt que pour octroyer davantage de crédits aux entreprises ou aux ménages. Autrement dit, la monnaie centrale a bien plus été stockée qu’utilisée comme moyen de paiement entre les banques qui accordaient des nouveaux crédits. Cette base monétaire a également pur servir comme moyen d’achats d’actifs financiers, ce qui explique la hausse des prix des actions et des obligations.
La hausse de masse monétaire opérée par la BCE dans le cadre de son programme d’assouplissement quantitatif a été :
- Indirecte , dans le sens où elle ne peut transiter que par le canal de la distribution de crédit par les banques commerciales de la zone euro ou via le réinvestissement des liquidités dans les nouvelles émissions obligataires des États de la zone euro ;
- Assez faible, comparativement à la quantité de base monétaire créée. La distribution de crédit par les banques dépend surtout de la demande des entreprises et donc des perspectives de croissance ;
- Dépendante de la stratégie de réinvestissement des acteurs qui ont accepté de vendre leurs titres à la BCE, et notamment du réemploi des liquidités obtenues de celle-ci dans l’achat de titres des nouvelles émissions obligataires des pays membres de la zone euro.
Pour conclure sur l’impact du quantitative easing sur la création monétaire
Le rachat de titres de la dette publique par la BCE n’augmente pas directement ni automatiquement la masse monétaire selon la technique utilisée. Dans le cas de l’assouplissement quantitatif, cela a eu lieu de manière indirecte via les différents canaux de transmission comme celui du crédit. Les économistes s’accordent donc globalement autour du fait que de tels rachats par la BCE ont eu un effet sur la masse monétaire, mais qui s’avère être très relatif au vu des montants des rachats. De même, le processus a été plutôt lent et a connu des externalités négatives, en particulier sur le prix des actifs qui s’est envolé.
Les interventions massives de la banque centrale sont ainsi plus efficaces sur le court-terme, pour lutter contre une panique financière et régler les problèmes de liquidités des acteurs, que pour relancer l’inflation et la croissance sur le long-terme.
Lorsque la BCE rachète de la dette sur les marchés financiers à travers son QE, elle emet des euros, ne contribue-t-elle pas alors à faire baisser l’euro et donc à favoriser les échanges et donc à augmenter la croissance ?
Bonjour,
En effet, le QE (et plus généralement la politique monétaire accommodante de la BCE) contribue à faire baisser l’euro ce qui stimule les exportations. Cependant, comme la plupart des pays développés ont, à des degrés divers, adopté des politiques similaires à celles de la BCE, la baisse de l’euro est restée très limitée.
Meilleures salutations,
L’équipe Lafinancepourtous.com
Bonjour,
Les actions ne font pas partie de la masse monétaire au sens de la BCE pour deux raisons : elles ne sont pas suffisamment liquides et elles comportent un risque de perte en capital.
Meilleures salutations,
L’équipe Lafinancepourtous.com
Bonjour, quelqu’un peut il répondre à « pourquoi les titres tels que les actions ne font ils pas partie de la masse monétaire au sens de la BCE ? »
Très bon article! Très clair
Bonjour,
Jusqu’en mars 2015 (date prévue du premier rachat de dette sur les marchés financiers à travers son QE), la BCE procédait à des rachats de titres financiers auprès d’investisseurs privés. Ce faisant, elle créait des euros pour acheter ces titres, mais annulait immédiatement cette création de monnaie en retirant un montant équivalent de liquidités bancaires (on dit qu’elle stérilisait ses rachats). Il n’y avait donc pas de création monétaire.
Avec le QE lancé à partir de mars 2015, les choses changent car la BCE va racheter des obligations sur les marchés financiers. Elle va payer en euros « frais » les investisseurs privés de tous horizons (banques, assurances, fonds de pension, hedge funds, ..) qui ont achetés les titres lors de leur émission par les Etats de la zone euro, et qui accepteront de les céder à la BCE, sans procéder à la stérilisation de ses rachats. Il y aura donc potentiellement création monétaire si les agents financiers recyclent ces euros dans la sphère réelle (octroi de crédits bancaires aux entreprises ou aux ménages, achat d’obligations d’Etats de la zone euro).
Meilleures salutations,
L’équipe Lafinancepourtous.com
(je suis perdu…) Quand vous dites :
« Elle va payer en euros « frais » les investisseurs privés [..] qui ont achetés les titres lors de leur émission par les Etats de la zone euro, et qui accepteront de les céder à la BCE, sans procéder à la stérilisation de ses rachats. Il y aura donc potentiellement création monétaire si les agents financiers recyclent ces euros dans la sphère réelle (octroi de crédits bancaires aux entreprises ou aux ménages, achat d’obligations d’Etats de la zone euro). »
Qu’advient-il alors des titres rachetés par la BC? Si la BC possède désormais le titre, elle va être remboursée du nominal et des coupons/intérêts in fine, non ? il ne s’agit pas de solder la dette de l’emetteur..? Que devient alors cet argent versé par l’émetteur à la BC en tant que nouveau détenteur du titre ? Si la BC « efface » cet argent (nominal + coupons) en effet il n’y aura pas eu de création monétaire, mais si cet argent continue à « exister » il y aura bien eu création monétaire « au total » quand bien même les bénéficiaires des rachats ne serviraient pas à octroyer de nouveaux crédits …? Ou bien quelque chose m’échappe ?
— Merci d’avance pour vos éclairages.
Bonjour,
Il est difficile d’apporter une réponse précise à votre question complexe. Il faut préciser les termes: lorsque la banque centrale achète un actif (par exemple à une banque), elle paie cet achat en créant de la monnaie banque centrale (ou base monétaire). Cela ne correspond pas à de la création monétaire, car pour l’instant la base monétaire créée circule uniquement entre les banques et la banque centrale. Cette base monétaire conduit à de la création monétaire (hausse de la masse monétaire) uniquement si elle est réinjectée dans l’économie « réelle ».
Donc, pour savoir comment la masse monétaire réagit suite à un rachat d’actif par une banque centrale, il faut avant tout se demander comment va être utilisée la base monétaire créée, ce qui est difficile à prévoir. Si les banques gardent la base monétaire reçue suite à la vente d’un actif sur leur compte à la banque centrale, il n’y a pas de création monétaire.
Meilleures salutations
L’Equipe de Lafinancepourtous.com
Avec « QUOI »,concrètement la BCE va-t-elle acheter la Dette publique?
Souhait abonnement lettre mensuelle
Parce que dans un système capitaliste il est formellement interdit de supprimer une dette gratuitement (sauf qu’il le font quand même, et prétende stérilisé cette argent, dans les fait cette argent ne sera jamais stérilisé il ne risqueront pas de créer plus de déflation)
En d’autre terme, nous ne sommes plus dans un système capitaliste (nous créons de l’argent gratuitement et nous le versons a qui nous voulons « ce que faisaient les sovietiques »)
Bonjour,
Le premier objectif de la Banque Centrale Européenne est de maintenir la stabilité des prix dans la zone euro (maintien de l’inflation à un niveau inférieur à 2 %) et non pas de favoriser la croissance. Cette politique permet d’assurer l’indépendance de la BCE et sa crédibilité vis à vis des acteurs de marché (selon la théorie économique). Dans le contexte de la crise des dettes souveraines, elle a en effet été amenée à intervenir sur les marchés en achetant des obligations d’Etats européens en difficulté (sur le marché secondaire) mais son objectif était de faire baisser les taux d’intérêts et non de stimuler l’activité économique. En revanche, d’autres banques centrales, comme la Réserve Fédérale américaine, ont pour principaux objectifs à la fois le plein emploi et la stabilité des prix.
Pour plus d’informations, vous pouvez consulter notre dossier de décryptages sur la BCE :
http://www.lafinancepourtous.com/Decryptages/Dossiers/Banque-centrale-europeenne
Meilleures salutations,
L’équipe Lafinancepourtous.com
pourquoi la BCE stérilise t’elle ses interventions puisque son objectif est de favoriser la croissance alors que l’inflation est très faible?
Merci