Pour Keynes, l’investissement entraîne une augmentation du revenu distribué de niveau égal. Le niveau de la consommation augmente ce qui accroît les débouchés pour les producteurs de biens de consommation. Ils vont alors augmenter leur production et distribuer autant de revenus, et ainsi de suite.
Au passage, ces revenus et ces dépenses supplémentaires vont générer des impôts qui réduiront ou supprimeront le déficit public initial.
Mais il ne faut pas oublier l’effet direct sur l’offre : l’investissement public, par exemple dans les équipements d’infrastructure, l’éducation, la santé … améliorent les conditions économiques de l’ensemble des entreprises.
Historique du multiplicateur budgétaire
La naissance du multiplicateur
Les années 1930 sont marquées par une profonde crise économique appelée aux États-Unis, « la Grande Dépression ». La crise, née aux États-Unis suite au krach boursier de 1929, se propage à l’Europe où le chômage s’envole et les démocraties vacillent.
Les politiques économiques de l’époque, inspirées du courant libéral selon lequel les économies se régulent toutes seules, sont inefficaces pour sortir du marasme. Pire, elles l’aggravent. Il faut trouver une solution.
John Maynard Keynes va, à cette époque, théoriser l’idée selon laquelle les économies ne s’autorégulent pas nécessairement et qu’il existe des cas dans lesquels l’intervention de l’État est nécessaire (d’autres penseurs tels que Richard Kahn avaient déjà émis des idées analogues, mais c’est Keynes qui les a formalisées et a laissé l’empreinte la plus durable. On parle même parfois de multiplicateur keynésien).
L’idée est que, en dépensant de l’argent, l’État peut relancer l’économie par l’effet du multiplicateur. Si l’État dépense par exemple 100 € pour construire une route, il embauche des ouvriers, achète des matériaux, etc. Ces ouvriers et le fabricant de matériaux dépenseront ensuite l’argent gagné, et ainsi de suite. Ainsi, 100 € dépensés initialement peuvent se traduire par un impact démultiplié sur l’activité économique, d’où l’idée de multiplicateur.
Cette approche keynésienne a apporté une réponse efficace à la crise des années 1930. Ainsi, jusque dans les années 1970, la théorie économique d’inspiration keynésienne a pris le dessus sur la vision libérale. Pourtant, l’efficacité du multiplicateur keynésien s’est à son tour heurtée à des problèmes nouveaux qu’il ne parvenait plus à résoudre.
Années 1970 : Remise en cause du multiplicateur budgétaire
Le multiplicateur trouve parfois ses limites : il est des cas où il se montre plus ou moins efficace pour relance l’activité économique. Dans les années 1970, le multiplicateur s’est révélé inopérant pour résoudre les problèmes économiques de l’époque.
Les limites du multiplicateur budgétaire
- L’effet d’éviction par le taux d’intérêt : lorsque l’État a recours au déficit et donc à l’emprunt pour financer les dépenses, il pousse à la hausse les taux d’intérêt. Du coup, ce sont les investissements privés qui sont pénalisés. Il n’y a pas d’amélioration globale. Au contraire des dépenses publiques moins productives vont remplacer des investissements privés a priori plus efficaces.
- L’effet d’éviction par l’extérieur : en économie ouverte à la concurrence internationale, la relance de la demande initiée par la politique budgétaire expansionniste risque de générer surtout une relance des importations et non une reprise de la production nationale.
- L’effet du fardeau de la dette : les agents économiques vont s’attendre à ce que la politique de relance financée par la dette entraîne à terme une hausse des impôts pour le remboursement de cette dette et le paiement des intérêts. Cela ne les poussera pas à consommer ou à investir mais plutôt à épargner.
D’autres débats ont porté sur :
- Les délais de réaction des politiques budgétaires, qui risqueraient de limiter leur efficacité.
- L’efficacité comparée d’une politique budgétaire qui agirait par la baisse des impôts plutôt que la hausse des dépenses publiques.
Certains faits semblent aller dans le même sens…
Certaines évolutions paraissent corroborer la perte d’efficacité des politiques budgétaires. Cela se manifeste par une distorsion du lien entre la croissance et la situation budgétaire avec dans certains cas, comme en France, des situations de déficit quasi permanentes. L’efficacité de la politique budgétaire viendrait alors butter sur l’ampleur de la dette publique et sur la charge croissante des intérêts.
… de même que différentes études statistiques
Différentes études statistiques portant sur la fin du XXe siècle et le début du XXIe ont établi que le multiplicateur budgétaire était en général devenu très faible et largement inférieur à 1.
Une étude du FMI de 2008 (World Economic Outlook October 2008 : Financial Stress, Downturns, and Recoveries) a porté sur 21 pays à « économie avancée » et 20 pays « émergents » pour la période 1970 à 2007.
L’impact de mesures de relance budgétaire sur la croissance de la production serait en moyenne proche de zéro. Il serait même négatif au bout de trois ans. Les résultats sont cependant sensiblement différents selon les pays. Ils sont meilleurs dans les économies avancées que dans les pays émergents. Mais même dans ce cas, le multiplicateur ne serait que de 0,1 la première année et de 0,5 au bout de trois ans.
Le retour du multiplicateur à partir de 2008
Des années 1970 au début des années 2000, les idées d’inspiration libérales de Milton Friedman et Robert Lucas avaient pris l’ascendant sur la pensée keynésienne. Pourtant, la crise qui a éclaté en 2008 a redonné une nouvelle jeunesse au multiplicateur.
La crise que l’on a appelée des « subprimes » a surpris par sa violence. Elle constitue en soi une première réfutation de la pensée libérale selon laquelle les marchés s’autorégulent.
Ensuite, du fait du recul de l’activité économique et de l’envolée du chômage, il fallait des solutions immédiates. Un peu comme dans les années 1930, la pensée libérale se trouvait à court de solutions, et l’idée d’une relance budgétaire pour sortir de la crise a rapidement fait son chemin. Dès 2009, le principe du multiplicateur a été utilisé pour relancer l’activité économique.
Pourtant, en Europe, du fait de la hausse rapide du niveau des dettes publiques et des difficultés budgétaires de la Grèce, la relance a vite cédé la place à une politique d’austérité pour limiter l’endettement public.
Cependant, le multiplicateur fonctionne dans les deux sens : une dépense publique supplémentaire stimule l’économie, mais une baisse de dépense la déprime de façon symétrique. La politique d’austérité menée en Europe de 2010 à 2013 a eu un impact récessif fort.
Des effets beaucoup plus importants que prévu
L’impact des politiques budgétaires restrictives a été sous-évalué.
Le FMI lui-même l’a reconnu dans son rapport d’octobre 2012 sur les perspectives pour l’économie mondiale : « Le principal constat, basé sur des données concernant 28 pays, est que les multiplicateurs utilisés pour établir les prévisions de croissance sont systématiquement trop faibles depuis le début de la Grande Récession, l’erreur allant de 0,4 à 1,2, selon la source des prévisions et les spécificités de la technique d’estimation. Des indications informelles laissent penser que les multiplicateurs employés implicitement pour générer ces prévisions sont de l’ordre de 0,5. Les multiplicateurs réels pourraient donc être supérieurs et s’échelonner de 0,9 à 1,7 ».
En janvier 2013, l’économiste en chef du FMI, Olivier Blanchard, reconnaissait dans un document de travail que les multiplicateurs avaient vraisemblablement été sous-évalués (Growth Forecast Errors and Fiscal Multipliers).
Or un multiplicateur budgétaire élevé signifie que les politiques budgétaires restrictives enfoncent les économies dans un véritable cercle vicieux. Si le multiplicateur est égal ou supérieur à 2, la politique restrictive produit même une hausse des déficits au lieu de la baisse espérée.
Reste à expliquer pourquoi l’impact de politiques budgétaires restrictives a été sous-évalué. On invoque différentes causes.
- Le multiplicateur serait plus élevé en cas de réduction des déséquilibres publics trop rapide et de politique restrictive trop brutale.
- Contrairement à une idée reçue, les multiplicateurs liés à une politique de modération des dépenses publiques sont très largement supérieurs à ceux observés en cas de politique privilégiant les hausses d’impôts.
- En fait il semble que le niveau élevé des multiplicateurs tienne à la nature même de la crise qui perdure notamment en Europe. L’impact récessif des politiques budgétaires restrictives est d’autant plus fort que l’on se trouve en situation d’insuffisance de la demande et de taux d’intérêt proche de zéro. Tout le secteur privé (ménages et entreprises) fait tous les efforts possibles pour se désendetter et cherche surtout à ne pas dépenser. Dans un tel contexte la demande privée ne prend pas le relai de la restriction budgétaire publique. Au contraire, les effets dépressifs s’accumulent.
Un retour durable du multiplicateur ?
Quant à savoir si cette évolution est durable, les avis divergent. En février 2013, la Commission européenne parle au passé de niveaux élevés des multiplicateurs, comme si dorénavant ils allaient retourner à un niveau faible considéré comme « normal ».
Néanmoins la Commission a accepté un ralentissement du rythme d‘assainissement budgétaire notamment pour la France, ce qui atténuera l’ampleur de l’impact restrictif de la politique budgétaire, sans néanmoins le supprimer.
Les débats restent vifs entre partisans de l’austérité et partisans de la relance, pour qui la dépense publique, par le biais du multiplicateur, pourrait efficacement relancer la croissance.
Bonsoir,
Je termine actuellement de réviser mon cours de Politiques économiques et je souhaiterais vous poser quelques questions pour être sûre d’avoir tout compris.
– La première question concerne le multiplicateur keynésien: « Le multiplicateur keynésien est d’autant plus important que » la propension marginale à consommer est faible? est forte? la propension marginale à épargner est forte? est faible?
Pour ma part, j’hésitais à mettre une ou deux réponses, je voulais mettre la propension marginale à consommer est forte mais est-ce qu’une autre réponse est correcte concernant la propension marginale à épargner?
– Les deux questions suivantes concernent l’équivalence ricardienne: « Si l’équivalence ricardienne est vérifiée, alors »: j’ai répondu qu’accroître les déficits publics par une baisse des impôts entraîne une éviction de l’investissement. Il y avait aussi comme réponses possibles: une baisse des impôts a un fort impact sur l’activité économique, car il n’y a pas d’éviction de l’investissement ou accroître les déficits publics par une baisse des impôts réduit le bien-être des générations futures.
L’autre question est: « D’après l’équivalence ricardienne, une augmentation du déficit causée par une baisse des impôts, toutes choses égales par ailleurs »; j’ai répondu une hausse de l’épargne privée (parmi les autres propositions: il y avait aussi une baisse de l’épargne privée, une hausse de la consommation, une hausse de l’investissement).
– J’ai eu une question sur la « loi » de l’offre et de la demande mais je n’ai pas réussi à y répondre: La « loi » de l’offre et de la demande implique que: La prix d’un bien ou d’un service augmente si l’offre augmente plus vite que la demande? Le prix d’un bien ou d’un service baisse si l’offre augmente plus vite que la demande? Le prix d’un bien ou d’un service augmente si la demande augmente plus vite que l’offre? Il y a peut-être deux réponses correctes.
– En période d’expansion économique, les dépenses de l’Etat ont tendance à diminuer et les recettes de l’Etat à augmenter, êtes-vous d’accord?
Je vous remercie du temps que vous prendrez pour répondre à mes questions.
Cordialement.
Bonjour,
Nous ne pouvons pas nous substituer à vous pour résoudre votre QCM. Voici, toutefois, quelques pistes de réflexion. Votre cours présente certainement le résultat suivant : le multiplicateur keynésien est égal en économie fermée à 1 / (1-c), où c désigne la propension marginale à consommer. Dans l’analyse keynésienne, c est compris entre 0 et 1 (c’est ce que l’on appelle la loi psychologique fondamentale). A partir de ce résultat, vous pouvez conclure aisément. Sur l’équivalence ricardienne, nous vous renvoyons à cette présentation particulièrement pédagogique disponible sur le site de Melchior : https://www.melchior.fr/synthese/equivalence-ricardienne-ou-effet-ricardo-barro. Nous avons, enfin, expliqué le rôle contra-cyclique du budget de l’Etat dans un article paru au début de la crise liée au Covid-19 et disponible à l’adresse suivante : https://www.lafinancepourtous.com/2020/06/05/pandemie-de-covid-19-vers-un-deficit-public-historique-en-france/. Votre dernière question porte sur une phase d’expansion et constitue donc une situation symétrique à celle décrite dans cet article.
Meilleures salutations,
L’Equipe de Lafinancepourtous.com
Bonjour,
Je comprends tout à fait que vous ne pouvez pas vous substituer à moi pour faire mon QCM, d’ailleurs grâce aux liens que vous m’avez donné j’ai pu répondre à mes deux questions sur l’équivalence ricardienne ainsi que sur celle portant sur la période d’expansion économique donc je vous en remercie.
Cela étant concernanr la question sur le multiplicateur keynésien en lisant plusieurs fois mon cours et en regardant dans différents manuels la propension marginale à épargner n’est pas mentionner c’est pour cela que je vous demander confirmation pour savoir si le multiplicateur keynésien était d’autant plus important que la propension marginale à consommer est forte ou si fallait que je rajoute une réponse voilà.
Enfin, concernant la question sur la « loi » de l’offre et de la demande, je n’ai pas trouve cette notion dans mon cours, c’est pour cela que je me suis permise de vous poser la question.
Voilà, cordialement, Vivi.
Bonjour,
La fonction de consommation keynésienne « de base » s’écrit : C = c Y + C0 où c est la propension marginale à consommer et C0 la consommation incompressible. Dans l’analyse keynésienne, l’épargne est un résidu : S = Y – C. On a donc : S = Y – c Y – C0 = (1-c) Y – C0. La propension marginale à épargner est donc égale à (1-c). Il s’agit ici du cas simple, mais vous pourrez adapter les calculs à votre cas spécifique.
Meilleures salutations,
L’Equipe de Lafinancepourtous.com
Beaucoup de fautes d’orthographe, c’est dommage, ça nuit à la qualité du texte.
Bonjour,
Merci pour votre vigilance ! Nous avons corrigé cela.
Meilleures salutations,
L’Equipe de Lafinancepourtous.com
La qualité du texte vous parlez bien de qualité du texte …la qualité est bien retranscrite ici par la nature et la pertinence de la question soulevée dans le cadre de cette publication. Félicitation et merci à vous lafiancepourtous pour toutes ces précisions.
Bonjour,
Merci pour votre message et vos encouragements !
Meilleures salutations,
L’Equipe de Lafinancepourtous.com
Bravo pour vos articles clairs et synthétiques.