Tour d’horizon des programmes de quantitative easing dans ces quatre zones monétaires afin de tente de tirer quelques éclaircissements concernant son efficacité économique.
On visualise ici l’évolution de la taille des bilans des principales banques centrales exprimée en pourcentage du PIB de leur zone économique respective. La portée des programmes de QE fait gonfler de manière directe le bilan des banques centrales.
Le quantitative easing au Japon
Le Japon initie la politique d’assouplissement quantitatif
Le Japon a connu, à partir de 1997, une situation monétaire marquée par une longue période déflationniste. Après avoir décidé de baisser son taux d’intérêt à 0 % début 2000 (la limite théorique), la Banque du Japon (Bank of Japan, BoJ) est la première banque centrale à adopter en mars 2001 une politique d’assouplissement quantitatif. Le 9 mars 2006, la Banque du Japon suspend le QE au motif d’une légère inflation durant les trois derniers mois. Face au retour de la déflation, elle recourt de nouveau au quantitative easing entre 2010 et 2012, sans toutefois se fixer d’objectif précis en termes de cible d’inflation.
En 2013, elle adopte une stratégie encore plus offensive : achat pour 80 000 milliards de yens par an d’obligations d’État, contre 50 000 milliards précédemment, et 3 000 milliards d’ETF sur le marché des actions japonaises contre 1000 milliards auparavant. Cette nouvelle stratégie fut accompagnée d’une modification du QE. La Banque du Japon applique en effet le quantitative and qualitative easing (QQE) ou assouplissement quantitatif et qualitatif. Cela revient pour la BoJ à diversifier ses achats de titres financiers, notamment en matière de risque. L’objectif est de débarrasser les banques commerciales de certains de leurs actifs risqués pour leur permettre de pouvoir agir plus librement et relancer l’activité économique.
Fin du quantitative easing et contrôle de la courbe des taux
Néanmoins, face aux effets très limités de cette stratégie sur le long terme, la Banque du Japon et le gouvernement japonais alors en pleine politique d’Abenomics ont décidé de se tourner vers une nouvelle méthode, le contrôle de la courbe des taux (ou Yield Curve Control, YCC), à partir de 2016. Par voie de conséquence, les plans de QE (et de QQE) ont été fortement réduits. Dans son nouveau plan d’action de juillet 2024, la BoJ prévoit la réduction d’achat d’obligation d’État jusqu’à passer en dessous 3 000 milliards par an d’ici 2026 (une stratégie de quantitative tightening), bien loin des 80 000 milliards en 2013. La BoJ, contrairement à la Banque centrale européenne (BCE) et la réserve fédérale américaine (la Fed), ne souhaite pas réduire la taille de son bilan en vendant une partie des obligations qu’elle possède. En parallèle, la banque centrale a aussi affirmé sa volonté de sortir des taux d’intérêts négatifs durablement. Le taux directeur de la BoJ est, début septembre 2024, à 0,25 %.
Un quantitative easing sans doute peu efficace
Avec le recul que nous possédons sur les plus de 20 ans de QE au Japon, on peut affirmer qu’il n’a pas eu les effets escomptés. De fait, en 2024 encore, le Japon n’a pas atteint ses objectifs de croissance. La croissance moyenne du PIB du pays depuis 1998 a été de 0,63 %, un résultat très morose, qui témoigne en partie du manque d’effet du QE.
Le quantitative easing aux États-Unis
L’histoire du QE aux États-Unis a commencé avec le déclenchement de la crise financière en 2008. La Fed, la banque centrale américaine, a d’abord procédé à une baisse rapide de ses taux directeurs pour les amener à zéro début 2009, puis a convenu de mener une politique d’assouplissement quantitatif afin de calmer les marchés financiers et de restaurer la confiance.
L’assouplissement quantitatif pour éviter l’effondrement financier
Le premier programme (QE 1) avait pour double objectif de fournir des liquidités aux banques qui ne se prêtaient plus entre elles et de racheter les actifs « pourris », notamment des créances immobilières dites « subprimes », détenus par les banques et les investisseurs financiers. Lancé en 2008 et achevé mi-2009, il se traduira par l’acquisition de titres pour un montant total de 1 750 milliards de dollars, dont 500 milliards de bons du Trésor américain ou de bons d’agences publiques et 1250 milliards de crédits hypothécaires.
Le deuxième programme (QE 2) a débuté en novembre 2010 pour s’achever en juin 2011. Il portait sur l’achat des titres émis par le Trésor américain pour financer le déficit public. Quelque 600 milliards de dollars de bons du Trésor ont ainsi été achetés en direct par la Fed dans le cadre de ce programme. Elle réinvestit par ailleurs en achat de bons du Trésor les liquidités issues des remboursements des créances hypothécaires qu’elle détenait. La Fed se lance dans ce nouveau programme en raison d’une remontée des taux d’intérêt au tournant des années 2010-2011. Son objectif est de protéger la dette souveraine et l’économie des États-Unis d’une remontée des taux longs.
Le troisième programme (QE 3), lancé en 2012 et sans limitation de durée, consistait à acheter des actifs financiers (essentiellement des titres obligataires émis par le Trésor américain) d’un montant initial de 85 milliards de dollars par mois. Ces montants ont progressivement diminué en 2014 avec la baisse continue du taux de chômage, et le programme a été arrêté en octobre de cette même année.
Avec l’amélioration de la situation économique, la Fed a progressivement augmenté ses taux d’intérêts et est progressivement revenue à des politiques monétaires plus conventionnelles.
Une nouvelle vague de quantitative easing pour lutter contre la crise sanitaire
Après plusieurs années sans programme de QE, c’est la crise sanitaire de 2020 qui pousse la Fed à revenir en force. Au 15 mars 2020 ; ce ne sont pas moins de 500 milliards de dollars de bons du Trésor américain et 200 milliards de titres adossés à des crédits hypothécaires (Mortgage Backed-Securities, ou MBS) qui sont annoncés au rachat.
La Fed a ensuite implanté des programmes de QE mensuel dès juin 2020. Les montants de ces programmes ont suivi une période baissière entre 2021 et 2022. A son paroxysme, le bilan de la Fed atteignit les 8 970 milliards de dollars en avril 2022.
Inflation et réduction du bilan de la Fed
Depuis cette date, la Fed a changé son fusil d’épaule, en adoptant cette fois une politique de resserrement quantitatif (quantitative tightening, QT). Alors que la taille de son bilan avait doublé à la suite de la crise du Covid-19, la Fed a stoppé ses programmes de QE pour commencer un programme de QT en vendant massivement des titres du Trésor américains ainsi que des MBS. La Fed a considéré que la situation de crise sanitaire et économique était stabilisée, et qu’il fallait maintenant lutter contre l’inflation. Si le quantitative easing fait gonfler le bilan et fait baisser les taux d’intérêt, le quantitative tightening vise tout l’inverse. Cette baisse du bilan est de l’ordre des 20 % entre début 2022 et fin 2024.
Un quantitative easing efficace pour stabiliser les marchés financiers
L’utilisation du QE aux États-Unis a toujours été en réaction à une crise économique, dans le but de relancer l’activité économique. Comparé au Japon, son utilisation par la Fed s’est faite sur de plus courte période et en association avec des plans de relance important. La bascule vers le QT montre que la Fed ne souhaite pas utiliser le QE sur de longue période, et le voit plutôt comme un outil à utiliser en cas de crise. Quant à son efficacité, celle-ci est difficile à juger. Il semble à présent clair que cet outil a permis de stabiliser les marchés dans les périodes de paniques, qui, si elles n’avaient pas été contrôlées, auraient pu être catastrophiques. On peut noter que les États-Unis ont toujours réussi à sortir relativement vite des périodes de crise, si on se réfère aux chiffres de leur croissance économique. Son effet de plus long terme sur l’inflation et la croissance est, lui, bien plus ténu.
Le quantitative easing au Royaume-Uni ST1
Tout comme la FED, la Banque d’Angleterre (Bank of England ou BoE) a réduit fortement son taux directeur en réponse à la crise financière de 2008. Cependant, depuis novembre 2017, la Banque d’Angleterre a progressivement relevé son taux directeur de 0,25 % à 0,75 % pour limiter le retour de l’inflation.
La BoE a également procédé à la suite de la crise de 2008 au lancement d’un programme d’assouplissement quantitatif (Asset Purchase Facility, ou APF), qui l’a conduit à acheter jusqu’en septembre 2009 pour environ 165 milliards de livres Sterling d’actifs aux institutions financières, et à un degré moindre, des créances de qualité élevée émises par des entreprises privées ; ce montant fut porté à 200 milliards de livres fin 2010, puis à 375 milliards de livres, soit 25 % du PIB, en deux étapes (octobre 2011 et juin 2012).
Comme pour toutes les autres banques centrales citées jusque-là, la BoE a aussi relancé ses programmes de QE face à la crise sanitaire, pour atteindre presque 900 milliards de livres. Ce programme d’achat s’est achevé en 2022 et, depuis la fin de cette même année, la BoE vend en partie ses actifs pour un équivalent de plusieurs dizaines de milliards de livres par an (un programme de quantitative tightening).
Conclusion du quantitative easing au Royaume-Uni
Le mandat de la BoE inclut avant tout la stabilité des prix, et est donc proche du mandat de la BCE. Selon la BoE, les politiques de QE ont eu un effet significatif sur l’économie, mais souligne des disparités dans l’échelle de grandeur de ces effets. L’effet du QE paraît donc mitigé. Toute interprétation reste subjective, et souffre de l’absence de contrefactuel.
Le quantitative easing en zone euro
Les débuts tardifs de la Banque centrale européenne (BCE) pour implémenter le quantitative easing
Contrairement aux autres grandes banques centrales des pays développés, la BCE n’a pas immédiatement procédé à une baisse rapide de ses taux directeurs en réponse à la crise financière de 2008. En deux occasions, en avril et juillet 2011, elle les a même relevés. Elle a ensuite, à partir de novembre 2011, repris sa politique de réduction progressive des taux d’intérêt.
Face à la menace persistante du risque déflationniste en zone euro en 2015, la BCE s’est décidée à lancer à son tour un vaste programme d’assouplissement quantitatif : l’APP (Asset Purchase Programme). Il porte alors sur un montant de 1 100 milliards d’euros d’achats de titres obligataires émis par les États membres de la zone euro ou par des organismes européens (comme la Banque Européenne d’Investissement par exemple) entre mars 2015 et septembre 2016.
Elle a annoncé, le 8 décembre 2016, qu’elle prolongeait son programme d’assouplissement quantitatif jusqu’à fin 2017 afin de soutenir la zone euro, dont l’inflation était toujours trop basse par rapport à son objectif de 2% par an.
Toutefois, il aura fallu attendre fin 2018 pour que la BCE suspende momentanément sa politique de QE. Son montant initial a entretemps plus que doublé, pour atteindre les 2 600 milliards d’euros.
Retour du quantitative easing avec la crise sanitaire
Néanmoins, comme pour la Fed ou la Banque du Japon, la crise sanitaire a poussé la BCE à reprendre son programme (les taux directeurs étant déjà à leur valeur plancher). C’est dans ce contexte qu’elle a entrepris le programme d’achat d’urgence pandémique (Pandemic Emergency Purchase Programme, PEPP). Son enveloppe atteint les 1 850 milliards d’euros en 2020, en permettant en parallèle l’élargissement des titres achetables. Fin 2022, les encours détenus par la BCE atteignent alors 5 000 milliards d’euros.
Depuis 2022, il n’y a plus eu de programme de QE. Comme dans beaucoup de zones économiques développées, l’inflation a succédé à la crise sanitaire, faisant changer de paradigme la situation économique. Bien que la BCE ait emboité le pas à d’autres banques centrales et augmenté ses taux directeurs, elle n’a cependant pas souhaité vendre une ses actifs financiers accumulés au cours des années. La BCE a préféré opter pour une réduction naturelle au fur et à mesure que les obligations arrivent à maturité.
Depuis le milieu de l’année 2024, la BCE bascule à nouveau dans une politique monétaire plus accommodante, l’économie de la zone euro souffrant d’une forte atonie.
Conclusion de l’assouplissement quantitatif dans la zone euro
Il n’est pas aisé de conclure sur l’utilisation du QE et ses effets dans la zone euro. Tout d’abord, il est bon de rappeler que l’un des objectifs les plus importants dans le mandat de la BCE est de maintenir l’inflation des prix autour des 2%. Il pourrait donc être tentant d’analyser l’effet du QE vis-à-vis de cet objectif. Cependant, l’absence de contrefactuel (ce qu’il se serait passé si le QE n’avait pas été implémenté) est problématique pour quantifier ses effets.
Si l’on regarde ce graphique, on n’observe pas d’évolutions majeures de l’inflation entre le début du QE et la crise sanitaire. Depuis 2022, l’inflation a largement dépassé la limite des 2 %, et n’est toujours pas redescendue à sa valeur cible. Les effets du QE ne semblent donc pas évidents, sauf à supposer un délai de plusieurs années qui serait difficile à justifier. Il n’existe pas de consensus scientifique clair à ce sujet.
Commenter