Les autres politiques monétaires non conventionnelles

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La quantitative easing (QE) n’est pas la seule politique monétaire non conventionnelle. D’autres outils ont également émergé ces dernières années et méritent que l’on s’y attarde.

Qualitative easing (assouplissement quantitatif)

Cet outil est une variante du quantitative easing. La banque centrale achète des actifs risqués, ou bien les échanges contre des actifs plus sûrs. Son objectif premier est d’assainir les bilans des acteurs financiers, bien plus que de leur fournir des liquidités. Le qualitative easing rassure ainsi l’ensemble du système bancaire ou financier. Typiquement, il peut servir de mécanisme de dégel du marché interbancaire. En cas de crise financière systémique, les banques peuvent ne plus se faire confiance entre elles. Purger les bilans des actifs risqués permet de relâcher les tensions. 

(Targeted) Long Term Refinancing Operation : opération de refinancement (ciblée) de long terme, (T)LTRO

Outils inventés et très utilisés par la Banque centrale européenne (BCE) depuis la crise des subprimes, les LTRO et TLTRO consistent en des prêts sécurisés, sous forme d’un repo. Les échéances vont de 3 mois à 3 ans pour les plus longues, avec des taux légèrement au-dessus du taux minimum de la banque centrale. L’objectif de la banque centrale est d’influencer à la baisse les taux de court terme de manière fiable et directe.

Cependant, cette possibilité de refinancement n’est pas sans conditions (en particulier pour les TLTRO). Les banques commerciales ne peuvent en effet emprunter qu’en fonction des volumes de prêt qu’elles émettent pour les particuliers (excluant les prêts immobiliers) et pour les organisations non financières.

Les LTRO et TLTRO sont donc beaucoup plus ciblés que le QE. Ils représentent cependant un volume de liquidité plus faible.

Ce type de programme a été particulièrement utile pendant la pandémie, afin d’éviter un arrêt abrupt des crédits dans l’économie. En 2024, la plupart des (T)LTRO arrivent à échéance, et la BCE souhaite recalibrer son programme pour le futur. Il semble qu’elle veuille les inclure à de courtes maturités dans une politique monétaire plus globale.

Forward guidance (guidage prospectif)

Cet outil peut sembler simple, mais c’est pourtant l’un des plus cruciaux et difficile à manier. La forward guidance consiste, pour une banque centrale, à annoncer de manière claire et fiable l’orientation de sa politique monétaire future. L’objectif est d’éviter de provoquer des effets de surprises sur le marché, afin de conserver sa stabilité. Cet outil est aussi un moyen d’orienter les comportements des acteurs de la finance, à condition qu’elle soit crédible.

Si la banque centrale annonce que les taux vont rester bas sur le long terme, les banques commerciales sont alors incitées à prêter à des taux plus bas car elles s’attendent à pouvoir se refinancer à faible coût.

La forward guidance implique en effet pour la banque centrale de respecter au maximum ses annonces. Si elle venait à changer brusquement de stratégie, les banques commerciales et autres agents économiques pourraient ne plus la croire. La forward guidance deviendrait inopérant, voire contreproductif. La BCE a commencé à utiliser officiellement la forward guidance en 2013, à une période où elle estimait important de signifier aux marchés que les taux allaient rester bas un moment. Ne pouvant pas abaisser plus avant ses taux directeurs, la BCE a considéré que communiquer sur des taux futurs bas enverrait un message positif aux banques, ainsi plus à même de prêter plus et à faible taux.

La BCE n’est pas la seule à faire usage de la forward guidance, les autres banques centrales en font aussi usage. Cet outil paraît maintenant incontournable, d’autant plus que les marchés se sont habitués à ce qu’on leur fournisse une ligne claire sur le long terme.

Contrôle de la courbe des rendements (Yield Curve Control, YCC)

Cette politique monétaire, introduite par la Banque du Japon (BoJ), agit sur une variable très suivie par les économistes et financiers mais très méconnu du grand public : la courbe des taux (yield curve). Cette courbe représente les rendements des obligations publiques (combien elles rapportent en pourcentage par rapport au prix d’achat) en fonction des dates de maturité (des plus courtes au plus longues).

Courbe des rendements (yield curve)

Ce graphique illustre la forme « classique » d’une yield curve. Les données sont simulées.

Ce que regardent les investisseurs sur cette courbe, c’est sa forme. On voit sur l’illustration ci-dessus que d’ordinaire elle a une allure croissante. C’est normal : il y a plus d’incertitudes sur le long-terme.

Parfois, en situation de forte incertitude, les taux de long-terme montent à des niveaux très élevés : on dit que la courbe de taux se “pentifie”. Cette pentification de la courbe des taux est néfaste pour les investissements de long-terme des acteurs économiques.

Les banques centrales arrivent aisément à jouer sur la partie toute à gauche de la courbe, grâce aux changements des taux directeurs. Elles ont nettement plus de mal à contrôler le reste de la courbe, qui dépendent de l’offre et de la demande entre les acteurs privés. Le contrôle plus global de la courbe des taux est donc devenu une problématique de première importance. Au mieux, les politiques monétaires conventionnelles peuvent translater la courbe vers le haut ou vers le bas, mais n’influencent pas sa forme.

Les banques centrales ont donc tenté de nouvelles méthodes comme les LTRO précédemment évoquées. Celles-ci, ayant une maturité jusqu’à 3 ans, permettent alors d’ajuster la pente sur toute la courbe des taux entre 0 et 3 ans. La banque centrale n’a qu’à ajuster à sa guise la différence entre le taux directeur et le taux appliqué aux LTRO. Il n’en reste pas moins que ce genre d’action n’impacte qu’une faible portion de la courbe. Le quantitative easing est également un moyen, selon les modalités, de faire du YCC. C’est la solution pour laquelle la banque du Japon a opté.

Le YCC a été introduit par la BoJ car le QE montrait ses limites. Alors qu’elle avait déjà fixé son taux de court terme à -0.1 %, elle décide alors d’ajouter un objectif de 0 % sur les obligations à 10 ans. Couplé à l’achat ciblé d’obligations pour atteindre cet objectif, la BoJ a pensé pouvoir influencer la forme de la courbe des rendements. Le programme de YCC au Japon apparait comme une version plus fine qu’un simple quantitative easing, où des quantités immenses d’obligations de toutes sortes sont achetées par les banques centrales.

Le contrôle de la courbe des taux combine l’utilisation de tous les autres outils de politiques monétaires, conventionnelles ou non, et l’on voit bien toute la difficulté qu’il représente. Pour paraphraser l’économiste Ralph Hawtrey, la politique monétaire se rapproche plus d’un art délicat que d’une science claire et infaillible.

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