Les sneakers sont des baskets, des chaussures de sport, détournées de leur fonction originelle en devenant des accessoires de mode. Elles sont achetées pour être portées en ville… ou pour être collectionnées !
D’après une étude eBay et IFOP pour l’année 2020, près d’un Français sur dix entre 18 et 24 ans collectionne des sneakers, pour un budget total moyen de 2 136 euros. D’après le cabinet d’études Businesscoot, les sneakers représentent 47 % du marché de la chaussure en France en 2020, soit 9 milliards d’euros.
Le marché primaire : créer la rareté
En économie, le marché primaire désigne les produits mis en vente pour la première fois. Pour les sneakers, on y retrouve :
- les marques de sportwear comme Adidas, Converse ou Nike ;
- des magasins spécialisés distributeurs tels que Courir, Intersport ou Foot Locker ;
- les marques de luxe suivant la tendance, par exemple Dior, Gucci ou Louis Vuitton ;
- et les acheteurs.
On différencie les sneakers relativement bon marché, produites en grande quantité, destinées au grand public, des éditions spéciales de marques à la mode ou provenant de collaborations avec des célébrités. Ces paires rares peuvent être vendues
- en ligne ou en boutique lors de « raffles » (des tirages au sort),
- d’enchères ou
- par inscription sur liste d’attente (premier arrivé, premier servi).
D’après une étude YouGov de 2022, 23 % des 18-24 ans ont déjà participé à une raffle, contre 8 % des plus de 24 ans.
L’idée marketing est ici de proposer des biens économiques rares, c’est-à-dire des biens qui sont à la fois désirés par les agents économiques et produits en quantité limitée.
Les fabricants de sneakers mettent ainsi en œuvre des stratégies de différenciation. Il s’agit, pour eux, d’acquérir, même temporairement, un avantage concurrentiel.
D’après l’économiste et sociologue Thorstein Veblen, les modes de consommation des individus sont socialement orientés. En économie, cela implique que la rareté est aussi une construction sociale, puisqu’elle dépend en partie des besoins des consommateurs.
En suivant encore la théorie de T. Veblen, les paires de sneakers constituent des biens de consommation ostentatoires pour certains consommateurs. Le concept est développé dès 1899 dans son ouvrage Théorie de la classe de loisirs. Cela signifie qu’une partie de la demande n’achète pas les paires de baskets pour les utiliser comme des chaussures de sport, mais plutôt parce qu’elles lui permettent de revendiquer un statut social supérieur.
Lorsque les marques proposent un prix plus élevé et une quantité plus faible, cela attire les acheteurs qui souhaitent montrer qu’ils sont en capacité de consommer.
Le marché secondaire : parier sur la rareté
Une fois les paires les plus prisées achetées, certaines continuent à être en vogue, d’autres voient l’engouement s’essouffler. Après ce tri, un tout petit nombre possède des biens que beaucoup convoitent. Cela conduit au « sneakers reselling » : la revente de sneakers.
Certains en font leur activité principale : ils achètent en masse sur le marché primaire pour spéculer sur le secondaire.
Acheteurs et vendeurs réalisent leurs estimations et leurs transactions virtuelles via des enseignes professionnelles spécialisées, des groupes publics ou des réseaux privés sur les réseaux sociaux. En physique, des reventes peuvent avoir lieu dans des magasins spécialisés ou lors de conventions.
Sur le marché secondaire, les passionnés recherchent des paires précises, parfois avec difficulté : le business repose toujours sur la rareté. Mais comme dit l’adage : « tout ce qui est rare est cher ». Les paires convoitées voient leur prix, comme un cours de bourse, varier au gré des désirs des acheteurs, se calant entre l’offre et la demande, atteignant parfois des sommets…
Comment le prix des sneakers à la revente est-il déterminé ?
Comment expliquer que seules certaines sneakers prennent de la valeur ? Il n’existe pas ici d’explication unique, la subjectivité jouant un rôle primordial.
L’un des critères les plus importants demeure, malgré tout, la marque : les mêmes enseignes reviennent souvent, il y a peu de surprise. En outre, certaines couleurs ou certaines tailles sont plus portées ou sont devenues iconiques, mais c’est au cas par cas. Un manque connu de quantité dans un modèle populaire entretient aussi les enchères.
Certaines collaborations avec des sportifs ou des chanteurs sont recherchées lorsque la célébrité fait parler d’elle. Le mécanisme fonctionne également en sens inverse, en cas de scandale. Ce fut par exemple le cas de la Yeezy Adidas collab Kanye West en 2022, pour laquelle la demande est devenue nulle après les déclarations antisémites du rappeur américain. Le simple fait qu’une star porte une paire peut faire varier son prix.
Un autre facteur déterminant : l’ancienneté des sneakers. Leur côté vintage ou leur importance dans l’histoire d’une marque peut les rendre populaires, comme l’Air Jordan 1 de Nike. Posséder l’emballage original fait aussi grimper les prix !
Tous ces critères ne sont pas systématiques. Comme il est très difficile d’estimer quelles paires prendront de la valeur, les revendeurs professionnels achètent différents modèles pour diversifier leur activité. Le pari est incertain, encore semblable aux évolutions de cours sur les marchés financiers.
Sur StockX, l’une des plus importantes plateformes de revente de sneakers, les paires proposées sont affichées avec un baromètre des prix, leur volatilité, leur nombre de vente, leur cote et leur prix de vente moyen.
Soulignons l’importance d’internet dans ce marché : en favorisant la circulation de l’information, les déterminants des prix sont plus vite connus des acheteurs. De même, les cours des sneakers s’adaptent très rapidement, et tout le monde est capable de vérifier si une paire est authentique.
Cela permet aussi de réduire les coûts pour les vendeurs et revendeurs : sans enseignes physiques, les frais de fonctionnement diminuent.
Le business de la sneaker est risqué, mais est-il rentable ?
Même si seulement 20 % des paires achetées pour la spéculation voient véritablement leurs prix de vente augmenter, le reselling est profitable pour les plateformes et pour les revendeurs.
Le chiffre d’affaires généré par la revente de sneakers dans le monde est estimé à 6 milliards de dollars en 2021.
Les marques bénéficient aussi d’externalités positives : puisque les baskets les plus prisées sont difficiles à obtenir en reselling, certains passionnés de sneakers se rabattent sur d’autres modèles d’une même marque. On parle de spillover positif. Les firmes écoulent plus facilement leurs stocks. Leur renommée attire d’autres célébrités à réaliser des collaborations avec eux, et entretient le mécanisme. Sur le marché primaire, cela semble générer pour les marques une plus-value plus grande que si elles augmentaient directement leurs prix, même en prenant en compte les sneakers en éditions spéciales.
super intéressant !