Seuil 2012356 pages
« On nous cache tout, on nous dit rien »
Ha-Joon Chang, né en Corée du Sud en 1963, enseigne l’économie politique du développement à l’université de Cambridge en Angleterre (où enseigna Keynes). C’est un économiste reconnu, l’un des principaux disciples du prix Nobel d’économie Joseph Stiglitz. Il se classe parmi les économistes « hétérodoxes » c’est-à-dire les économistes critiques de la pensée libérale dominante.Pour sa part Ha-Joon Chang ne remet pas en cause l’existence du capitalisme. C’est selon lui « le meilleur système économique qu’ait inventé l’humanité ». Mais il remet en cause ce qu’il considère être les fausses vérités « colportées par les idéologues du marché libre ». Il cherche à expliquer comment le système marche vraiment, d’où viennent les graves difficultés de son fonctionnement actuel et comment il peut être amélioré. Il le fait ici dans un ouvrage d’une grande qualité pédagogique. Ha-Joon Chang dit avoir voulu écrire un livre « au ton léger mais au propos sérieux ». C’est une réussite. Le livre s’adresse au grand public. Pas besoin d’avoir fait de l’économie pour le lire et le comprendre. Il décortique avec des démonstrations simples et rigoureuses les pièges des idées reçues en économie et permet de s’initier à un raisonnement économique critique. Il pourra à ce titre constituer un support intéressant et vivant pour les enseignants d’économie.
Le titre anglais du livre était beaucoup plus explicite: « 23 Things They Don’t Tell You about Capitalism ». (23 choses que l’on ne vous dit pas sur le capitalisme). Le livre est en effet structuré en 23 courts chapitres présentant 23 idées reçues sur les bienfaits du libéralisme que l’auteur déconstruit point par point et auxquelles il oppose 23 « vérités » moins courantes et moins évidentes. A quoi il faut ajouter un chapitre de conclusion présentant la trame des propositions de l’auteur pour « reconstruire l’économie mondiale ».
Vérités et mensonges en économie
Exemples de ces aphorismes allègrement mis en pièce et des vérités qui les remplacent.
On nous dit que les marchés doivent être libres. Faux : le marché libre ça n’existe pas. Il n’y a pas d’économie pure que la réglementation publique viendrait toujours polluer. L’économie est toujours politique.
On nous dit que les actionnaires étant les propriétaires légitimes des entreprises, il faut gérer celles-ci dans leur intérêt. Faux : les actionnaires étant de plus mobiles et guidés par une exigence de profit rapide, ils sont souvent les moins soucieux de l’avenir à long terme de l’entreprise. Il ne faut pas gérer les entreprises dans l’intérêt des actionnaires.
On nous dit que dans les pays riches, le déclin de l’industrie est naturel du fait du déplacement de la demande vers les services et qu’il ne faut pas s’en inquiéter. Encore faux : nous ne vivons pas dans une société post industrielle et l’industrie n’a pas perdu toute importance.
On nous dit qu’une politique favorable aux riches bénéficie à tous et à toute la société. Toujours faux selon Ha-Joon Chang, qui taille en pièce la théorie dite du ruissellement. Pour qu’une hausse du revenu des plus fortunés bénéficie au reste de la société encore faut-il que la politique suivie veille à les amener à renforcer l’investissement et à partager les fruits de la croissance.
Certaines des « vérités » émises étonneront peut être le lecteur. Par exemple celle selon laquelle il ne faut pas accroitre mais réduire l’efficacité des marchés financiers si l’on veut que les entreprises puissent disposer du « capital patient » dont elles ont besoin pour se développer à long terme. Ou par exemple que la machine à laver a plus bouleversé la société qu’Internet. Ou encore que malgré la chute du communisme nous vivons tous en économie planifiée. Ou que l’égalité des chances peut être injuste, que des marchés du travail rigides peuvent rendre l’économie plus dynamique. Ou, encore plus provocateur, que la micro finance ne marche pas très bien ou que développer l’éducation en soi n’enrichira pas un pays.
Le lecteur sera à chaque fois plus ou moins convaincu. Mais il sera toujours stimulé par la clarté et la qualité des démonstrations. Ainsi pourra-t-il s’initier plaisamment à la compréhension du fonctionnement de l’économie mondiale actuelle.
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