Carmen Reinhart est professeure d’économie à l’université de Maryland. Kenneth Rogoff est professeur d’économie à Harvard; il a été directeur des recherches économiques du FMI de 2001 à 2003. Leur ouvrage veut être un livre de référence sur les crises financières. Il en présente une histoire quantitative appuyée sur des données statistiques considérables concernant 66 pays répartis sur l’ensemble du monde, principalement depuis 1800, mais remontant jusqu’à la Chine du 12ème siècle et à l’Europe médiévale. Le livre s’adresse à un public spécialisé. Mais les analyses présentées avec clarté et pédagogie, notamment les quatre chapitres consacrés à la crise des subprimes, en font un livre accessibles à un public plus large comme l’atteste le succès de librairie rencontré aux USA en 2009.
Six variétés de crises financières
Un premier intérêt du livre est d’établir une typologie des six différentes variétés de crises financières: les crises de la dette extérieure (crise de la dette souveraine), les crises de la dette intérieure, les crises bancaires, les crises monétaires (crises des taux de change), les crises d’inflation, les krachs boursiers. Les concepts utilisés sont systématiquement définis en termes simples et opérationnels. Des chapitres successifs analysent ce que nous apprennent les statistiques sur chaque type de crise et sur leurs interrelations. Les quatre derniers chapitres analysent la crise des subprimes aux USA, ses conséquences et ses dimensions internationales à l’aune de l’ensemble des expériences passées.
A chaque fois ça recommence
Les auteurs tirent deux leçons de portée générale de cette plongée dans les statistiques :La première est que l’accumulation de dettes excessives (qu’il s’agisse de dettes publiques, bancaires, des entreprises ou des ménages), quand les choses vont bien, constitue le danger numéro 1. La deuxième qui justifie le titre du livre est le caractère systématique de ce que les auteurs appellent « le syndrome du cette fois c’est différent ». A chaque fois ça recommence, c’est l’éternelle comédie: les acteurs économiques comme les pouvoirs publiques acquièrent la conviction que les crises financières, c’est vrai pour les autres, c’était vrai pour le passé, mais que cette fois ci le boom repose sur des bases saines et différentes qui justifient que l’on poursuive l’endettement… jusqu’à l’excès.
Carmen Reinhart et Kenneth Rogoff en concluent que la politique monétaire ne suffit pas pour juguler les risques d’un endettement excessif. Selon eux, la transparence sur les comptes et les dettes, notamment la dette publique, doit être améliorée. Un système d’alerte en amont (ce que l’on appelle une supervision macro prudentielle) est nécessaire et doit être placée sous l’égide d’une institution internationale nouvelle de régulation financière, pour combattre autant que possible le syndrome du « cette fois c’est différent ».
Forcément banal
S’agissant des différentes variétés de crises, les auteurs montrent que les crises bancaires sont particulièrement redoutables. Elles engendrent une période longue de croissance faible et de chômage élevé (scénario selon eux le plus probable aujourd’hui) et conduisent à une augmentation de la dette publique qu’ils chiffrent en moyenne, au vu des expériences passées, à 86%. Ils établissent également que lorsqu’une crise de dimension internationale se produit, il y a de gros risques qu’elle soit suivie quelques années plus tard par une crise violente de dette souveraine- celle-ci ne se produisant pas forcément dans le ou les pays qui ont eu la plus forte crise bancaire. Bref les auteurs ne sont pas particulièrement optimistes sur la gravité de la crise actuelle, même s’ils la jugent finalement assez banale, plutôt remarquable par ses similitudes avec les crises financières passées. Mais il s’agit d’une crise mondiale, cumulant les différentes variétés de crises avec une forte composition de crise bancaire. « Si elle n’a pour résultat macro économique que la récession internationale la plus sévère depuis la deuxième guerre mondiale et non quelque chose de plus grave encore- nous devrons nous estimer heureux », écrivent-ils.
Aller plus loin L’étude de Carmen Reinhart et Kenneth Rogoff sur la barre des 90% de dette publique (en Anglais) La contribution de Paul Krugman (en Anglais) Celle de Christian Chavagneux Présentation du livre sur le site de Pearson France
Carmen Reinhart et Kenneth Rogoff Pearson éditions Septembre 2010, 466 pages, 25 €
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