En matière d’étude des comportements financiers des ménages, une lacune majeure consiste à établir une muraille de Chine entre les domaines « réels » et les domaines financiers. Or ce cadre méthodologique reste prédominant. Il reste notamment encore celui de la comptabilité nationale.
Un cadre méthodologique inadapté
L’épargne, explique André Babeau, définie comme l’excédent du revenu sur la consommation est calculée sans faire intervenir le crédit, comme si toute la consommation des ménages était autofinancée. De la même façon, la capacité de financement des ménages, qui correspond à l’excédent de leur épargne sur leurs investissements (achats et travaux en matière d’habitation et investissements des entrepreneurs individuels) est calculée en faisant l’hypothèse que cet investissement est entièrement autofinancé (c’est-à-dire en ignorant le crédit à l’habitat). Dans ce cadre, explique l’auteur, il est impossible d’analyser correctement l’interaction des facteurs financiers et des facteurs « réels » et même l’interaction des différents facteurs financiers dans les comportements des ménages.
Ainsi par exemple, les transactions sur les logements anciens ne sont pas prises en compte dans les investissements des ménages (ce que la comptabilité nationale appelle la Formation brute de capital fixe) puisque les logements concernés n’ont pas été produits dans la période considérée.
Or, les transactions sur les logements anciens représentent le double de la dépense consacrée annuellement par les ménages à l’achat de logements neufs. Les interactions avec les comportements financiers et non financiers des ménages sont évidentes. Du côté des acheteurs, elles engendrent une part majoritaire des crédits à l’habitat, ce qui va peser sur l’épargne et la consommation. Du côté des vendeurs, elles vont constituer des ressources importantes qui vont générer des investissements et des placements financiers.
Tableau de financement
C’est pourquoi André Babeau travaille depuis des années à partir du tableau de financement des ménages qui constitue un cadre profondément renouvelé par rapport à celui de la comptabilité nationale. Il s’agit de placer d’un côté l’ensemble des ressources des ménages, c’est-à-dire leur épargne et leur crédits nouveaux souscrits pendant la période considérée et de l’autre côté l’ensemble des emplois c’est-à-dire les investissements physiques, les placements financiers et les remboursements de dettes.
Par exemple, en 2006 selon la comptabilité nationale, l’épargne brute des ménages (15 % du revenu disponible brut) se décompose en 10 % d’investissements physiques et 5 % de taux d’épargne financière qui correspond au solde de la variation des actifs et des passifs financiers des ménages. Le tableau de financement fait apparaitre pour la même année du côté des ressources un montant presque aussi important de crédits nouveaux (13% du revenu disponible) et côté Emplois un partage en trois parties équivalentes : les investissements, les remboursements d’emprunts et les placements financiers
Le tableau de financement brut des ménages en 2006 (en % du revenu disponible brut) |
Le compte de capital des ménages en 2006selon la Comptabilité Nationale (en % du revenu disponible brut) |
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Ressources |
Emplois |
Ressources |
Emplois |
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Epargne brute |
15 |
Investissements (FBCF) |
9 |
Epargne brute |
15 |
Investissements (FBCF) |
10 |
Nouveaux crédits souscrits |
13 |
Remboursements du capital des emprunts |
11 |
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Transferts et ajustements |
2 |
Placements financiers |
10 |
Capacité de financement (épargne financière) |
5 |
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Total |
30 |
Total |
30 |
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Sur cette base, André Babeau fait le point sur les perspectives nouvelles et les enrichissements de la compréhension des comportements financiers des ménages initiés par ce changement de cadre méthodologique.
Cela commence par une lecture suggestive de la crise actuelle à la lumière des tableaux de financement comparés des ménages des Etats-unis, du Royaume- Uni, de la France, de l’Allemagne et de l’Espagne. La deuxième partie de l’ouvrage, la plus longue, est consacrée à l’analyse des différents choix financiers des ménages : recours au crédit, investissements physiques, placements financiers, donations et héritages. La partie finale est consacrée à l’analyse de la dynamique des patrimoines financiers et non financiers des ménages. A chaque étape, André Babeau fait le point sur ce que les statistiques permettent de connaître et sur leurs lacunes qui restent, dans ce domaine, considérables surtout si l’on s’inscrit dans son cadre d’analyse.
Voici donc un livre important et particulièrement utile, notamment pour les étudiants avancés, pour les enseignants et pour les professionnels qui y trouveront une véritable mine de données et d’informations ainsi qu’une grille d’analyse en construction, nettement en rupture avec les théories standards.
André Babeau Editions Economica Septembre 2011
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