Aujourd’hui, les Français peuvent voyager, téléphoner et ouvrir un compte bancaire…à bas prix. Tous les secteurs d’activité sauf le luxe sont touchés par ces nouveaux modes de consommation, sur fond de baisse du pouvoir d’achat et de remise en cause de l’offre traditionnelle. Le low-cost devient un véritable enjeu économique, à la fois vecteur de nouvelles formes de concurrence et porteur de nouvelles façons de consommer.
Le low cost : anatomie d’un modèle
Le low-cost n’est pas, contrairement aux idées reçues, un phénomène nouveau. Le géant du hard discount Aldi s’est implanté dès l’immédiat après-guerre en Allemagne pour faire face à la pénurie de biens alimentaires et dans le transport aérien, la compagnie américaine South West existe depuis 1971. Le low cost a fait la preuve de sa durée et de sa rentabilité.
Mais qu’appelle-t-on un produit à bas coût ? En quoi modifie-t-il les formes traditionnelles de la concurrence et de la consommation?
A la recherche d’une définition du low-cost
Le terme de low cost prête souvent à confusion. Low cost signifie » bas coût » mais il ne suffit pas de vendre à bas prix pour être qualifié de produit low cost. Apple produit son iphone en Chine, pays low-cost, mais ce n’est pas pour autant qu’Apple est devenue une entreprise low cost. Il ne suffit pas qu’une entreprise baisse ses prix pour qu’elle entre dans le modèle low cost.
Le credo du low cost est de faire simple c’est-à-dire de prendre un produit compliqué pour le simplifier au maximum. L’entreprise propose le produit de base « no frills » c’est-à-dire sans accessoires ce qui lui permet de le vendre moins cher que ses concurrents. Mais » faire simple est compliqué » car l’entreprise low cost doit être capable de distinguer l’essentiel de l’accessoire pour son produit. Si on prend l’exemple d’une voiture, l’essentiel est dans un moteur robuste, fiable, l’accessoire dans les options comme le navigateur GPS ou la climatisation. Identifier le besoin minimum du client pour simplifier le produit est fondamental, ceci permet de produire moins cher, de vendre moins cher et donc d ‘avoir des marges plus élevées que ses concurrents.
Faire simple concerne aussi le management, on parle alors de « lean management ». Cela consiste à réduire les lignes hiérarchiques pour être le plus réactif possible aux changements imprévus de la demande, ce qu’ E. Combe appelle « l’esprit start-up ».
L’archétype du low cost : le transport aérien court/moyen courrier
Faire simple ici consiste à simplifier le billet d’avion traditionnel. Si on le représente comme une fleur avec des pétales, on comprend bien que ceux-ci symbolisent les options possibles associées au produit et incluses dans son prix de vente. Toute l’astuce de la compagnie aérienne low cost sera d’enlever les pétales un à un pour ne vendre que l’essentiel, à savoir la sécurité du vol, non négociable pour le client et assurée par la qualité du moteur et la ponctualité.
La saga de Ryanair : comment devenir un compagnie aérienne low cost ?
Ryanair est devenue une des grandes compagnies du low cost aérien en utilisant cette équation : réduire ses coûts pour vendre moins cher. Comment ?
L’addition de ces petites baisses de coûts sur la chaîne de valeur se traduit par une baisse importante du coût total: un kilomètre par personne coûte 12 centimes d’euros à Air France contre 4 centimes pour Ryanair en 2004. Cette réduction des coûts permet d’offrir à une clientèle élargie des billets à prix compétitifs avec des perspectives de profit considérables. C’est, comme le souligne E. Combe, là qu’il y a une véritable innovation commerciale au sens schumpétérien du terme, rendue possible par le développement d’ Internet.
Un modèle économique rentable
Le low cost aérien est un modèle rentable. Il y a trois leviers que les entreprise peuvent utiliser pour avoir des marges conséquentes:
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L’effet d’induction : lorsqu’une compagnie aérienne propose un vol Paris-Cracovie à 20 euros, cela lui permet de toucher une clientèle qui ne voyageait pas jusque-là: l’offre crée bien ici sa propre demande.
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L’effet des revenus auxiliaires. La compagnie aérienne remet en option tout ce qui est accessoire et ce, à un prix élevé . Une partie de la clientèle est prête à payer plus ces options pour améliorer son confort. L’exemple du « speeding boarding » est significatif. C’est une option payante ( « entrer le premier dans l’avion »), intéressante pour les hommes d’affaires qui n’hésiteront pas à la prendre. C’est le type d’option qui ne coûte rien à la compagnie et lui rapporte beaucoup.
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L’effet du « yield management » : le prix du billet est fonction de la date de réservation (plus on réserve tôt, moins il est cher). La compagnie aérienne repère « la disposition du client » à payer, cette forme de discrimination classique en microéconomie permet de faire des profits.
Le low cost révolutionne les comportements
Le low cost modifie les politiques concurrentielles
En réalité, comme l’analyse E.Combe, il n’y a pas un seul low cost mais des low cost.
Si l’on reprend le cas de l’aérien, Easy Jet et Ryanair, les deux compagnies emblématiques du low cost, se sont positionnées dès le départ sur des segments de clientèle, différents des compagnies classiques. Ryanair a misé sur une clientèle à faible pouvoir d’achat, très sensible aux prix alors qu’ Easy Jet visait plutôt les hommes d’affaires en étant situé dans les aéroports centraux. L’évolution de ces deux types de low cost est significative des stratégies concurrentielles. En effet, Easy jet concurrence désormais Air France et Ryanair Easy Jet avec une stratégie pour conquérir une clientèle plus aisée avec des options payantes. Il y a des déplacements de concurrence, intéressants à analyser au regard des pratiques concurrentielles traditionnelles. Quand une entreprise low cost entre sur un marché , l’entreprise existante doit réagir soit en se différenciant sur le haut de gamme ( cf l’exemple de Monoprix concurrencé par Aldi) soit en proposant elle-même des produits low cost, par l’intermédiaire d’une filiale ( cf la SNCF met en vente des billets TGV à bas prix avec sa filiale Ouigo ).
Le low cost est le symptôme de nouveaux comportements de consommation
L’ intérêt de l’analyse d’E. Combe est de souligner que le low cost n’est pas ou plus réservé aux populations les plus démunies et touche de plus en plus de secteurs d’activité. Une étude récente de l’INSEE montre que 70 % des Français disent fréquenter les supermarchés hard discount sans pour autant en faire leur magasin exclusif et leur première source d’approvisionnement. Les consommateurs achètent des produits peu chers dans l’alimentaire pour pouvoir voyager plus loin ou s’offrir un iPad. En rompant avec la politique du « package » qui oblige le consommateur à payer des services dont il n’a pas besoin, le low cost intègre une notion de liberté qui place le consommateur au centre du système. Celui-ci veut composer lui-même son produit ou son service en comparant les offres et les prix, le consommateur devient un consomm’acteur. Le client compare de plus en plus la qualité ( ou l’utilité) au prix et raisonne en » value for money », il veut tout simplement en avoir pour son argent. De ce fait, il est difficile de tracer un portrait type du » client », même si les variables socio-démographiques comme l’âge ou la catégorie socio-professionnelle jouent encore un rôle dans ces nouvelles façons de consommer.
Le low cost entre dans la banque
Une logique de niche
Le low cost bancaire consiste à ouvrir un compte-courant dans une banque « 100 % en ligne », qui n’est ainsi pas adossée physiquement à un réseau d’agences. Ce low cost représente actuellement 3 à 4 % du marché des pays développés soit près de 3 millions de comptes bancaires sur les 72 millions recensés en France. C’est encore un marché de niche en France et non de masse, encore étroit mais appelé à se développer.
Ce marché a été crée pour une partie de la clientèle qualifiée et urbaine des banques traditionnelles, peu satisfaite des services de ces dernières. Comme pour les autres produits, les banques de réseau vendent un » package » cher qui inclut des services que les clients utilisent peu. Les clients n’ont pas le sentiment d’en avoir pour leur argent, les banques ont des difficultés à justifier la » value for money ». Un autre motif d’insatisfaction souvent évoqué par les clients : avoir à domicilier son salaire dans la banque qui vous accorde un crédit immobilier heurte le désir de liberté de ces derniers qui ont envie de choisir librement leurs banques. Toutes ces raisons expliquent que les banques classiques sont perçues comme peu adaptées aux attentes d’une clientèle jeune, fortement utilisatrice d’Internet et qualifiée.
Une redéfinition de l’offre
Le low cost bancaire est qualifié par E. Combe de banque à » l’envers » : elle offre la carte bancaire à très faible coût et en revanche développe des offres (comme des conseils très spécialisés) en libre service que les clients sont libres d’acheter ou pas. Découper les services en » morceaux », les tarifer cher mais en toute transparence pour les clients redéfinit un nouveau modèle bancaire. Il séduit une clientèle avide d’autonomie et qui a besoin de souplesse et de simplicité d’usage (fonctionnalités en ligne et horaires d’ouverture). Ceci étant, on s’aperçoit que le low cost bancaire est développé par les filiales des grandes banques sous une marque différente et étanche par rapport à l’offre principale. Mais intégrer une banque en ligne et bénéficier des avantages offerts n’est possible que si le client satisfait à un certain nombre de conditions en termes de revenus, de patrimoine et d’épargne (par exemple domicilier son salaire , avoir un compte d’épargne…). De fait, chaque banque en ligne détermine ses propres conditions d’accès, souvent assez drastiques, pour attirer telle ou telle clientèle.
De nouveaux rivages pour le low cost bancaire
Depuis Février 2014, il est intéressant de souligner le développement d’un nouveau type de low cost bancaire : la banque minimaliste, d’entrée de gamme qui permet de toucher une clientèle plus large. Pour ce faire, le low cost met en ligne un nouveau type de produit : le compte Nickel, un compte-courant » sans banque », seules les opérations de dépôt et de retrait sont possibles. La contrepartie est que l’on peut ouvrir un compte-courant, sans condition de revenus ni de dépôt minimum…mais sans découvert autorisé, sans conseils ou produits d’épargne proposées. La facilité d’ouverture de ce compte (une pièce d’identité suffit) peut intéresser des populations peu solvables (les personnes sans emplois, les jeunes…) ou qui ont eu des difficultés avec les banques classiques.
La banque dans les pays en développement
E. Combe termine sa conférence en rappelant la situation particulière des pays en développement en matière bancaire. Un chiffre significatif: sur 7 milliards d’hommes, 6 ont des téléphones portables et 2 seulement des comptes bancaires. En Afrique, le taux de bancarisation est de 16 % contre 65 % dans les pays industrialisés ce qui ouvre des opportunités de développement considérables pour le low cost bancaire, la banque classique étant inadaptée aux populations de ces pays. L’exemple du Kenya préfigure probablement la diffusion dans les PED du mobile banking c’est-à-dire d’un réseau bancaire en ligne s’appuyant sur le fort usage du téléphone portable pour développer les transferts d’argent (dépôts et retraits) : c’est ce que l’on appelle la « SMS économie ». Les banques nouent des partenariats avec les opérateurs téléphoniques pour élargir leur clientèle et leur offrir des services financiers.
En guise de conclusion, E. Combe souligne que « le low cost n’est souvent pas ce que l’on croit, qu’il reste un marché de niche excepté l’aérien …mais il exerce une forte influence sur le marché car c’est un nouveau vecteur de concurrence« .
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