Odile Lakomski-Laguerre, maître de conférences, décrypte les enjeux liés à l’émergence des crypto-actifs.
Bitcoin : quelle innovation ?
Deux grandes phases d’innovation sur la période contemporaine : la première dans les années 1980 du fait de la libéralisation financière (développement de nouvelles techniques comme la titrisation). Suite à la crise de 2008 se développent des innovations monétaires (finance participative, désintermédiation bancaire, trading à haute fréquence, émergence de monnaies parallèles comme les monnaies locales et du bitcoin).
Le bitcoin est une innovation progressive qui se base sur des techniques de cryptographie, les réseaux de peer to peer… qui existent déjà.
La principale innovation du bitcoin ne vient pas de son caractère virtuel ou digital ou scriptural (qui est déjà le cas de la majeure partie de la monnaie) mais dans la façon dont il s’organise. C’est en effet une monnaie décentralisée et désintermédiée qui ne passe plus par une autorité centrale.
Comment fonctionne le bitcoin ?
Le bitcoin est une monnaie non-bancaire et même ouvertement anti-banque qui met en avant le fait de ne pas transiter par les banques. Le bitcoin échappe également au contrôle des États. Une caractéristique du bitcoin est que son créateur reste inconnu. Il (ou ils car il pourrait s’agir d’une équipe) se fait appeler Satoshi Nakamoto.
Les transactions en bitcoin se font donc au comptant. Il n’y a plus d’émission monétaire fondée sur le crédit (contrairement à la création monétaire dans les monnaies actuelles).
La création du bitcoin se fait quant à lui par minage, c’est-à-dire que l’on met son ordinateur à la disposition du réseau (aujourd’hui la puissance d’un ordinateur personnel ne suffit plus) en échange de bitcoins. On peut aussi obtenir des bitcoins déjà créés sur des plateformes d’échange contre des devises officielles(euro par ex).
Le bitcoin : une conception spécifique de la finance
Le bitcoin est basée sur une vision libérale de l’économie qui veut que l’État n’intervienne pas dans l’économie et dans le fonctionnement monétaire (école autrichienne).
Le système bitcoin et sa symbolique est largement basé sur l’étalon or, c’est-à-dire que la valeur de la monnaie repose sur une valeur intrinsèque (métaux précieux, bitcoin…).
Le bitcoin est-il une monnaie ? C’est-à-dire, est-ce qu’elle sert à compter, payer et épargner ? Il ne correspond pas vraiment à une monnaie car tous les prix (y compris les salaires, taxes, dettes et créances) ne sont pas exprimés en bitcoin. De plus, le réseau qui gère le bitcoin n’est pas précisément identifié, ce qui crée de l’incertitude.
Les fluctuations du bitcoin
La bulle sur le bitcoin de décembre 2017 a enlevé une part de sa crédibilité au bitcoin en tant que monnaie car son cours fluctue fortement. Cette fluctuation est liée à la variation de la demande, car l’offre de bitcoins est limitée à terme. Une bulle spéculative s’est développée. Elle a connu une succession de hausses et de baisses très soudaines, mais globalement, le trend est à la hausse.
Le bitcoin est basé sur la technologie de la blockchain, une technique de cryptographique qui permet d’effectuer des échanges sécurisés. Les médias ont largement diffusés l’image positive de la technologie blockchain ce qui a aidé au décollage du bitcoin.
Comme on connaît mal cette nouvelle technologie, on sait mal la valoriser, ce qui entraîne une forte volatilité du cours. Comme on ne sait pas déterminer la valeur fondamentale d’un bitcoin, il y a un fort effet mimétique qui a entraîné une bulle. La bulle sur le bitcoin a été la plus brutale de l’histoire économique, même en prenant en compte la spéculation sur les tulipes en hollande au XVIIème siècle.
Quelles utilisations du bitcoin ?
Le bitcoin ne fonctionne pas comme monnaie, il est plutôt devenu un actif spéculatif. Tant qu’il est convertible dans des monnaies officielles, il lui est difficile de les remplacer car l’intérêt d’échanger en bitcoin est moindre du fait du risque de fluctuation du bitcoin en euro.
Le réseau du bitcoin a une capacité faible pour traiter de gros volumes de production, ce qui augmente les délais (ou les coûts) de transaction. Le réseau bitcoin se révèle moins efficace que le réseau Visa, mais ce point pourrait être amélioré par des évolutions technologiques ou d’autres types de réseaux.
La vision du bitcoin a évolué et on est passé de la description du bitcoin comme une « cryptomonnaie » à un « cryptoactif ».
Le lancement de produits dérivés sur les cryptoactifs à Chicago fin 2017 a renforcé l’ampleur de la bulle en donnant au bitcoin une notoriété nouvelle.
Les ICO (initial coin offering) ont également amplifié l’effet de mode autour du bitcoin. Une ICO est une levée de fonds en cryptomonnaies (bitcoin ou ether), assez similaire à une introduction en bourse à ceci près que, dans le cas d’une ICO, les apporteurs de fonds détiennent des cryptoactifs (qui généralement offrent des droits sur la production de l’entreprise, un peu comme des miles dans le transport aérien) plutôt que des actions.
La régulation du bitcoin
Cependant, seul 2 % des ICO ont abouti, un grand nombre n’était pas sérieux, à la limite de la fraude .
Les velléités de régulation du bitcoin ont fait perdre au bitcoin une partie de son attrait.
La théorie institutionnaliste de la monnaie développée par Michel Aglietta André Orléan et Bruno Therret) souligne l’importance de la confiance dans la monnaie.
- la confiance méthodique (on a confiance dans le fait que cette monnaie sera acceptée comme moyen de paiement dans le futur, notamment que la sécurité des moyens de paiements soit fiable),
- la confiance hiérarchique (confiance dans les autorités qui gèrent la monnaie) et
- la confiance éthique (ensemble des valeurs que porte la monnaie).
A ce titre, le bitcoin présente des forces (sécurité du réseau) et des faiblesses (Qui se trouve réellement derrière le code qui gère le bitcoin ? Les transactions effectuées en bitcoin sont-elles morales ? L’idéologie libérale derrière le bitcoin est-elle acceptable ?).