Tous les ans, nous choisissons un thème d’actualité. La conférence de cette année avait donc pour thème « l’euro a-t-il encore un avenir ? ». Animée par Pascale Micoleau-Marcel, déléguée générale de l’IEFP, elle a réuni : David Blache, Adjoint au directeur des études et des relations internationales et européennes à la Banque de France, Thomas Coutrot, Économiste et statisticien, co-président d’ATTAC et corédacteur du Manifeste des économistes atterrés, Georges Pauget, Président de l’IEFP, ancien dirigeant du Crédit Agricole, aujourd’hui président de la société de conseil « Economie, Finance & Stratégie ». Une interview filmée de Pierre-Cyrille Hautcoeur, Économiste et historien, directeur d’études à l’EHESS et membre associé de l’Ecole d’Economie de Paris a été également diffusée au cours de la conférence.
En introduction de la conférence, Pascale Micoleau-Marcel rappelle quels étaient les bienfaits espérés de l’euro. Comme le dit la Commission européenne, « l’Union économique et monétaire et l’euro ont pour objectif d’améliorer le fonctionnement de l’économie européenne et de générer davantage d’emplois et de prospérité pour les Européens ». Parmi les avantages qui en résultent, la Commission évoque notamment l’existence d’une devise stable, une inflation et des taux d’intérêt peu élevés, la transparence des prix, des marchés financiers plus intégrés… Bref, un cadre pour des finances publiques plus saines, des échanges commerciaux plus faciles, un signe tangible d’identité européenne… Les faits reflètent-ils ces affirmations ? En donnant quelques repères chiffrés, Pascale Micoleau- Marcel constate que la situation économique de la zone euro semble se dégrader par comparaison avec celle de l’Union européenne et des autres grandes régions économiques du monde, à partir de la crise des subprimes. Elle souligne d’autre part que le resserrement des taux d’intérêt entre les Etats membres de la zone à partir de 2002 s’est inversé à partir de 2008 et ne s’est pas traduit par une convergence économique au sein de la zone, mais au contraire par des évolutions divergentes entre les pays membres du nord de la zone (Allemagne, pays Bas, Finlande, Autriche, Luxembourg) et ceux du Sud (Grèce, Espagne, Portugal, Italie et France). Cela constitue un facteur de fragilité important.
Le diagnostic
Georges Pauget établit un diagnostic en 6 points :
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La crise actuelle est une crise de la zone euro et non une crise de l’euro. L’euro a plutôt bien résisté par rapport aux autres devises. Son niveau s’est à peu près maintenu par rapport au dollar autour d’un taux de change de 1,35. L’euro est la deuxième monnaie de réserves mondiale. 17 % des réserves monétaires mondiales sont en euros.
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Il s’agit d’une crise de l’organisation interne de la zone euro. En effet, prise dans son ensemble, la situation économique de la zone euro est plutôt saine. Sur longue période, la croissance, les exportations, les créations d’emplois se portent relativement bien si on les compare notamment aux Etats-Unis.
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La crise actuelle est la suite logique de la crise des subprimes D’une part, comme l’ont montré les économistes américains Carmen Reinhart et Kenneth Rogoff, les crises financières sont généralement suivies d’une crise de la dette publique, en raison d’un double mouvement de hausse des dépenses dans le cadre de politiques de relance et de baisse des recettes liées à la détérioration de la situation économique. La zone euro n’échappe pas à cette règle, même si les plans de relance appliqués en 2009 sont restés limités. D’autre part, si la transformation de la réglementation bancaire a été assez profonde, les éléments fondamentaux qui expliquent la crise financière (excès d’endettement, excès de liquidités, etc) sont toujours présents.
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La crise des finances publiques s’est propagée aux banques. Dans la crise des subprimes, les banques étaient des acteurs directs, mais dans la crise de l’euro, les banques se retrouvent indirectement affaiblies. En effet, elles sont traitées par les marchés de façon corrélée à l’Etat auquel elles appartiennent . Ainsi en 2011, les banques italiennes ou espagnoles ont eu des conditions de refinancement alignées sur les conditions de financement extrêmement défavorables des Etats, même s’il s’agissait de banques tout à fait saines comme la banque Santander. Alors que les banques allemandes ont eu de conditions très favorables même s’il s’agissait de banques en assez mauvais état comme la Commerzbank.
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La crise de la zone euro se développe en une série de vagues successives qui se répètent selon le même schéma. Cela commence par un élément déclencheur (comme par exemple, le constat en 2009 que le gouvernement Grec avait triché sur les comptes compte publics, ou la situation dramatique des banques irlandaises). Il y a ensuite un phénomène de contagion et la crise financière qui se développe nécessite l’intervention de la BCE, qui joue le rôle de pompier. Mais l’ensemble des réponses apportées parait à chaque fois tardive et insuffisante. Et un nouvel évènement provoque une reprise de la crise.
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Aujourd’hui, en mars 2012, la zone euro connait une phase de rémission, mais la situation reste risquée et on ne peut donc préjuger de l’évolution future. La BCE a apporté, en deux interventions, 1 000 milliards d’euros de liquidités aux banques. Celles-ci amortissent leurs dettes, mettent des liquidités de côté pour éviter une nouvelle crise de liquidités et les banques italiennes et espagnoles ont souscrit de la dette publique améliorant les conditions de financement de leurs Etats et par contrecoup les leurs. Mais des risques restent présents :
• Les réformes ne sont pas conduites partout avec la même cohérence et la même profondeur, ce qui laisse la zone euro dans une grande diversité de situations internes. • La ratification du nouveau traité intergouvernemental est également un facteur d’incertitude. • Un autre facteur de risque tient au fait que les marchés se sont renationalisés du fait des différences de taux et de risques sur les dettes publiques des différents Etats membres de la zone.
David Blache, apporte un regard complémentaire à celui de Georges Pauget. Pour lui, la crise actuelle peut s’analyser sous deux angles. Tout d’abord,en comparant la situation de la zone euro au reste du monde, et ensuite, en analysant les spécificités de la zone euro.
La crise des dettes souveraines est une problématique commune à toutes les économies avancées, et la zone euro n’est pas en plus mauvaise posture que les autres.
La note des Etats Unis a été dégradée dès août 2011, suscitant une première prise de conscience de la crise des dettes souveraines. Celle-ci constitue en quelque sorte le troisième acte de la crise qui a commencé par une crise monétaire et financière en 2007-2008, crise qui s’est propagée à l’économie réelle en entrainant une récession (2009). Et qui a impacté les finances publiques. Certains Etats ont repris les dettes des banques (nationalisation de banques au Royaume-Uni) ou ont apporté leurs garanties au système bancaire et financier. Ce qui a entrainé une augmentation des risques qui pèsent sur les Etats, augmentant le déficit et la dette publique. Si on examine les chiffres, la situation de la zone euro n’est pas plus catastrophique que celle des autres économies comparables. Néanmoins, l’appréciation de la situation de la zone euro, par les marchés financiers ou par certains observateurs, l’est moins. Le déficit public en pourcentage du PIB s’élève en 2011, pour le Japon à 8,9 %, pour le Royaume Uni à 9,4 % et pour les Etats Unis à 10 %. Alors que dans la zone euro, il n’est que de 4 %. Quant à la dette publique, en 2011, elle se chiffre pour le Japon à 241 %, pour les Etats Unis à 108 % et pour la zone euro à 91 %.
Les défauts de fonctionnement internes à la zone D’une part souligne David Blache, le mécanisme de discipline par les marchés financiers n’a pas fonctionné de manière satisfaisante, pendant les dix premières années de la zone euro. Les pays membres ont pu durant des années emprunter au même taux (c’est-à-dire au taux minimum), à dix ans, quelle que soit la situation économique du pays. D’autre part, les mécanismes de gouvernance n’ont pas non plus joué leur rôle de manière adéquate et efficace. En particulier, le mécanisme de gouvernance économique a fonctionné en mettant en place un pacte de non agression réciproque entre Etats. Ce mécanisme qui devait être un mécanisme de discipline, n’a pas joué de rôle incitatif, ou de sanction. Aujourd’hui, dans la zone euro, l’examen se fait de façon plus draconienne. Les Etats doivent se discipliner et surtout s’autodiscipliner. Les procédures ont été renforcées : le mécanisme d’autosatisfaction est remplacé par un mécanisme d’alerte plus large et plus automatisé (signalement de la situation Italienne par exemple). Au total David Blache rejette l’expression « crise de l’euro ». Car pour lui, l’euro qui a permis la maitrise de l’inflation reste une monnaie forte.
Pour Thomas Coutrot, la crise est due à des défauts constitutifs de la construction de la monnaie européenne analysés depuis longtemps par des économistes critiques de l‘euro… Dans un article du Monde daté de janvier 1999, intitulé « L’euro cocon ou carcan », il expliquait déjà que le traité de Maastricht imposait aux corps sociaux européens une discipline pour le bénéfice de l’industrie financière. La construction de la monnaie unique, explique-t-il, est fondée sur desprincipes contradictoires : les Etats mettent en commun leur monnaie alors qu’ils ont instauré une liberté totale de circulation des capitaux, non seulement entre eux, mais également entre eux et le reste du monde. Cela signifie une liberté totale de spéculation. En second lieu, la construction de l’euro est également associée à la concurrence fiscale et sociale. Le résultat a été un effondrement des recettes publiques au nom de l’attractivité des territoires (en particulier de l’impôt sur les sociétés réduit de 10 à 15 points depuis la création de la zone euro, la taxe professionnelle, les cotisations sociales des entreprises, etc.). Et ceci a aggravé le déficit et la dette publics. Troisièmement, cette zone de monnaie unique n’a pas de véritable budget commun (celui-ci représente 1 % du PIB de la zone). Alors que les pays avaient au démarrage de l’euro des niveaux de productivité et de compétitivité très différents, les fonds structurels qui avaient auparavant permis un certain rattrapage des économies du Sud ont été diminués et dilués avec l’élargissement aux pays d’Europe de l’Est. L’absence de solidarité budgétaire a été un obstacle à la convergence économique des Etats périphériques du sud de la zone. Quatrièmement, interdiction était faite à la BCE de financer les déficits publics. Entrainant une obligation pour les Etats de recourir aux marchés financiers pour financer leurs déficits croissants du fait de la baisse de leurs recettes fiscales. Tant que les taux d’intérêt exigés sur les dettes des différents Etats membres ont été presque identiques, cela ne posait pas de problème. Mais à partir du moment où les marchés financiers ont fait des différences entre les pays, le financement du déficit est devenu explosif pour certains pays. Cinquièmement, interdiction était faite également aux Etats de s’entraider les uns les autres en cas de difficultés financière de l’un d’entre eux. Cela a contribué à aggraver la situation lorsque la Grèce est apparue en difficulté, car les autorités européennes ont tardé à admettre que l’Union européenne allait être dans l’obligation d’aider un de ses membres. Selon Thomas Coutrot, la création de l’euro était portée par l’objectif politique positif d’une Europe qui s’unifie. Mais les conditions imposées à cette construction par les néolibéraux et l’industrie financière ont fait de l’euro un instrument de réduction des dépenses publiques et des droits sociaux qui a débouché sur une crise quasi inéluctable.
Dans ce cadre d’analyse, Thomas Coutrot apporte trois précisions :
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La crise financière de 2007/2008 a joué un rôle de déclencheur de la crise de l’euro en provoquant l’éclatement des conditions d’endettement des Etats membres.
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L’Allemagne porte une responsabilité très souvent ignorée. Dans les années 2000 elle a pratiqué une politique de baisse des salaires qui a ajouté de la compétitivité prix à la traditionnelle compétitivité qualité de ses productions. Cela a entrainé les déséquilibres commerciaux internes et les déficits des pays du sud de la zone, France incluse. Selon Thomas Coutrot, la politique allemande ne peut être considérée comme l’exemple qu’il aurait fallu suivre. Si cela avait été le cas dans les années 2000, la zone euro aurait sombré beaucoup plus tôt dans une situation dépressive.
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Les solutions proposées autour d’une gouvernance économique commune renforcée consistant à aller plus loin dans le sens de la réduction des dépenses publiques, des salaires et des droits sociaux ne tirent pas les conclusions de l’échec actuel de la zone euro. Elles conduisent à son éclatement.
Entretien avec Pierre-Cyrille Hautcoeur, professeur à Paris School of Economics – Ecole économique de Paris, sur la spécificité d’être économiste et historien devant la crise de l’euro.
David Blache concentre son propos sur la Banque Centrale Européenne qui, dit il, avec le Système européen des banque centrales a fait preuve, au cours des différentes phases de la crise de capacité d’adaptation et de prise en compte de l’intérêt général européen par les mesures adoptées. Il distingue les mesures conventionnelles, non conventionnelles et le programme d’achat des dettes souveraines.
Mesures conventionnelles
La BCE a pour rôle d’assurer le refinancement du système bancaire en prêtant des fonds à un certain taux qu’elle fixe. En 2008, La BCE a réagi à la crise en abaissant le taux directeur de 4,25 % en octobre 2008 à 1 % en juin 2009, pour ensuite en 2011 remonter légèrement, (quand on a cru que la croissance repartait) et pour de nouveau redescendre à 1 % en décembre 2011). Elle a donc pris les décisions qui s’imposaient pour essayer d’offrir les conditions de financement les plus favorables puisqu’en taux réel (en tenant compte de l’inflation) on est à des taux négatifs. Néanmoins, la baisse du taux directeur n’a pas suffi à calmer la situation sur les marchés interbancaires et financiers. La BCE a donc recouru à des mesures non conventionnelles. Les actions engagées par la BCE ont concernées le financement des banques qui est central dans le financement de l’économie. Elle a pris des mesures de refinancement à très long terme aux banques (36 mois) à un taux très bas de 1 %, et pour des montants illimités, avec des garanties. L’objectif était de rassurer les marchés financiers et d’offrir aux banques les meilleures conditions possibles pour se financer entre elles et assurer le financement de l’économie, grâce à des liquidités. En décembre 2011 et en février 2012, 1000 milliards d’euros ont été injectés. Les effets attendus ont pu être observés : Il y a eu un maintien, voire même une augmentation, des crédits à l’économie.
Le programme d’achat de titres
Le stress ressenti sur les marchés financiers a entraîné une flambée des taux des prêts accordés aux Etats, mais aussi une flambée des taux du refinancement des banques. La BCE a donc été obligée d’intervenir pour éviter l’étouffement de l’économie. La BCE ne pouvant pas prêter directement aux Etats, elle est intervenue sur le marché secondaire pour éviter l’explosion des taux.
Pour Thomas Coutrot, l’intervention de la BCE a évité la déflation et la récession mais la BCE en prêtant aux banques et non pas directement aux Etats, a généré de larges bénéfices pour les banques, qui en ont profité pour augmenter leur taux vis-à-vis des Etats. Il serait, selon lui, préférable qu’elle soit le garant en dernier ressort des dettes publiques et qu’elle puisse racheter directement les obligations des Etats. Il reste que ce remède ne peut être une solution durable à la crise de la zone euro. Les racines de la crise sont toujours présentes et non résolues, au contraire, les décisions prises lors des différents sommets ont durci les critères de Maastricht, vont donc encore aggraver la crise de la zone euro. Aujourd’hui, le déficit public (structurel) ne doit pas être supérieur à 0,5 % du PIB (avant c’était 3 %) La dette publique ne doit pas être supérieure à 60 % du PIB ; si c’est le cas des mesures immédiates doivent être prises – et c’est la nouveauté – pour la réduire de 1/20e par an jusqu’au retour à 60 %.
On assiste à un renforcement de mesures drastiques : règles extrêmement rigides pour accélérer la réduction des déficits. On est obsédé par l’inflation, alors qu’on est entré en récession depuis plusieurs mois. On répète les erreurs des années 30. Thomas Coutrot souligne tout particulièrement la nécessité d’une réforme fiscale profonde qui soit redistributive et fondée sur une coopération fiscale effective. Selon lui, Il faudrait notamment mettre en place à l’échelle européenne une réelle taxation sur les transactions financières, supprimer les flux vers les paradis fiscaux. _ Il partage avec Pierre-Cyrille Hautcoeur l’exigence d’un véritable budget européen financé par une fiscalité européenne d’une part sur le carbone et d’autre part sur les bénéfices des entreprises multinationales.
A la logique « punitive » renforcée et de dessaisissement des souverainetés démocratiques nationales, dans laquelle s’est selon lui engagée la zone euro, il oppose le besoin de la construction d’une souveraineté démocratique à l’échelle de la zone euro. Avec la logique actuelle, annonce-t-il, dans 10 ans l’euro n’existera plus.
Georges Pauget : Des solutions souhaitables et des solutions possibles
Pour Georges Pauget, les solutions sont de deux ordres.
Les solutions souhaitables
La solution la plus souhaitable est celle d’une augmentation du budget fédéral pour réduire les déséquilibres entre les pays du Nord et du Sud. Mais les gouvernements européens ont unanimement rejeté cette possibilité.
Les solutions possibles
Elles sont fonction du taux de croissance du pays. En effet, un pays dont le taux de croissance est de 1 % subit des contraintes supplémentaires par rapport à un pays dont le taux de croissance est de l’ordre de 2,5 %. Une meilleure coordination des politiques des États est une solution possible. Cette coordination doit avoir lieu au niveau budgétaire, au niveau fiscal mais aussi au niveau des politiques économiques mises en place. Pour l’instant, la BCE ne fait que gagner du temps en injectant des liquidités dans le circuit, mais les États doivent trouver des solutions rapidement. Georges Pauget conclut en affirmant qu’il faudrait ainsi centrer le débat sur la structure des dépenses et la structure des recettes des États pour engager des réformes structurelles et permettre de financer des investissements porteurs de croissance.
Merci de ces explications, qui m’ont permis d’un peu mieux comprendre ces sujets très (trop?) complexes.