Tous les ans, le sujet est choisi en rapport avec l’actualité économique et les programmes d’économie des classes du second cycle des lycées. Cette année, la conférence s’articulait autour du thème ? » Le crowdfunding : un nouveau levier pour la croissance économique ? ». Animée par Catherine Fenet, économiste et responsable du pôle enseignant de l’IEFP, elle réunissait :Alexis Collomb, responsable du Master de finance de marché au CNAM et directeur du département Economie Finance Assurance Banque (EFAB) ;
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Natalie Lemaire,directrice des relations avec les épargnants à l’Autorité des marchés financiers (AMF) ;
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Arnaud Blosseville, président de Tidalys, start -up, innovante dans le domaine de l’énergie ;
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Ismaël Le Mouël, président de la plateforme de crowdfunding participative Helloasso. SAS Economie.
La finance participative et la croissance économique : un phénomène en pleine croissance
La finance participative connaît, en France et à l’échelle mondiale, un dynamisme impressionnant. Ces nouveaux investissements, financés par les internautes via des plateformes de crowdfunding, concernent le domaine artistique, économique ou citoyen.
Ce modèle semble promis à un bel avenir, porté par le développement de l’économie solidaire, l’usage croissant des réseaux sociaux et la frilosité des banques face aux investissements des PME. Deux chiffres témoignent de la croissance de la finance participative : les fonds collectés par les plateformes s’élèvent à 152 millions d’euros en 2014 en France et 1,3 million de Français ont participé à ce mode de financement depuis 2008.
Ce démarrage est rapide, mais il est à comparer, par exemple, aux chiffres de l’épargne solidaire (qui elle aussi a connu une belle progression depuis une dizaine d’année) et dont la collecte 2014 s’est établie à 6,8 milliards d’euros.
Mais un tel développement suppose que la puissance publique intervienne pour protéger les épargnants et les apporteurs de capitaux.
Si les plateformes de crowdfunding semblent bien bousculer le rôle traditionnel des banques qui est de financer l’économe, peut-il représenter pour autant une véritable opportunité pour la croissance économique ?
La nécessaire régulation du crowdfunding
N. Lemaire définit, dans un premier temps, ce que l’on entend par ce terme de crowdfunding ou financement participatif. C’est un mode de financement pour des projets créatifs, solidaires, entrepreneuriaux ou personnels qui permet de récolter, via Internet, de petits montants auprès d’un large public. Ceci sous quatre formes :
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soit d’un prêt à titre gratuit (c’est-à-dire remboursé sans intérêt);
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soit d’un prêt rémunéré ;
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soit d’un don ;
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soit de souscription de titres auprès d’une entreprise, porteuse d’un projet.
Quelle que soit la forme de la participation de l’internaute, le schéma habituel est le même :
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le porteur de projets s’adresse à la plateforme avec une présentation et un objectif de levée de fonds ;
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en cas de succès, la contrepartie est livrée, les intérêts et dividendes sont versés.
Que nous dit la règlementation ?
Réglementer s’avère une nécessité, ce type de financement n’est pas sans risques pour les deux parties prenantes.
Les financeurs peuvent être confrontés à une perte de leur capital, au risque de défaut de la plateforme et de fraude de la plateforme à qui ils ont fait confiance.
Les porteurs de projets peuvent aussi être victimes d’un certain nombre de difficultés : pas de garantie d’atteindre leurs objectifs, sous-estimation des coûts et risque de propriété intellectuelle.
N. Lemaire souligne que la réglementation avant 2015 n’était pas véritablement adaptée aux acteurs du crowdfunding qui, opérant sans les agréments nécessaires, étaient dans une situation d’ insécurité juridique (avec un risque de 3 ans d’emprisonnement et 375 000 € d’amende).
Le code monétaire et financier a été modifié depuis pour ouvrir et sécuriser le cadre juridique dans lequel opèrent les intervenants.
Mais aujourd’hui encore, souligne N. Lemaire, la réglementation est encore insuffisamment protectrice pour les particuliers qui ne sont pas toujours conscients des risques qu’ils prennent et des pertes en capital éventuelles qu’ils peuvent subir. Afin d’améliorer l’information et la protection des investisseurs, L’AMF et l’ACPR ont pris un certain nombre de dispositions :
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pour sécuriser les dons et les prêts, en créant par exemple un régime prudentiel dérogatoire pour certains établissements de paiement (avec des conditions moins strictes).
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pour sécuriser la souscription des titres financiers (ou crowdinvesting) en créant une doctrine commune (AMF/ACPR) pour les plateformes, sous réserve qu’elles respectent un certain nombre de conditions. Et en prévoyant deux statuts pour les plateformes, en fonction de leur maturité, de la complexité et du montant des projets à financer.
Que se passe-t-il à l’étranger ?
Ce phénomène, en provenance des Etats-Unis, est devenu mondial. Plusieurs organisations internationales se sont intéressées à la nécessité de réguler le crowdfunding.
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En particulier la Commission européenne a étudié dans unLivre vert sur le financement à long terme de l’économie européenne, paru en 2013, les problèmes liés au financement participatif.
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Les Etats-Unis ont été un pays pionnier en matière de régulation du financement participatif avec le Jobs Act (avril 2012) et les règles édictées par la SEC (le gendarme boursier américain) pour favoriser ce type de financement tout en garantissant la protection des épargnants.
En Europe, des initiatives nationales de régulation en ce sens ont été prises en matière de crowfunding (guides pédagogiques…). Le Royaume-Uni et l’Italie tout comme la France ont pris des dispositions pour sécuriser essentiellement le crowdinvesting .
Mais N. Lemaire conclut que si la taille du marché reste modeste (600 millions d’euros) c’est toutefois un marché en pleine expansion. Les enjeux sont essentiels : favoriser la croissance économique européenne tout en maîtrisant les risques liés à ce nouveau type d’investissement ( blanchiment d’argent, fraude, problème de la transparence de l’information…)
Comment utiliser une plateforme de crowfunding ? Le témoignage d’un entrepreneur
A. Blosseville présente son entreprise, Tidalys, spécialisée dans la production d’énergie hydrolienne. Tidalys a mis au point une technologie innovante qui, permet selon lui de produire une électricité hydrolienne au prix le plus bas du marché. C’est une véritable innovation technologique, conçue et testée en France, qui requiert un financement important.
Comment trouver le financement pour cette technologie innovante?
A. Blosseville, ayant besoin d’un financement, répertorie un certain nombre de solutions possibles. Celles-ci vont des banques privées aux fonds d’investissement en passant par les collectivités locales et la banque publique d’investissement (BPI).
Mais aucun de ces financements n’est véritablement possible et facile à obtenir si bien qu’A. Blosseville a décidé d’utiliser une plateforme de crowdfunding, Anaxago, spécialisée dans les projets industriels.
Résultats pour Tidalys :
L’opération a été un succès. L’objectif fixé pour la levée de fonds a été plus qu’atteint puisque Tidalys a pu bénéficier de 510 k€ (au lieu des 500 k€ attendus), avec un montant minimum de souscription de 2000 €. Les délais ont été respectés, la durée totale de la démarche de 6 mois s’est traduite par un nombre de « followers » de 600 et 112 investisseurs confirmés.
Cette opération de crowdfunding a permis de :
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réaliser un audit sur l’entreprise, sa technologie, ses produits et son modèle économique ;
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tester, avant et pendant cette opération, l’acceptabilité sociale des produits ou des services proposés ;
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lever rapidement des montants importants ;
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rassurer et décider les autres financeurs potentiels.
Mais le crowdfunding, et c’est un point important souligné par A. Blosseville, ne comble pas pour autant l’insuffisance de financement dont ont besoin les entreprises innovantes.
Le financement participatif destiné aux associations
En guise d’introduction, Ismaël Le Mouël rappelle ce qu’est le financement participatif : un beau projet qui valorise la proximité, l’implication, la solidarité entre les acteurs et la proximité des investisseurs.
Le financement participatif en chiffres
En 2014, 152 millions d’euros ont été collectés à travers des campagnes de crowdfunding en France contre 7,9 millions en 2011. Cette évolution traduit la croissance exceptionnelle et exponentielle de ce mode de financement de l’économie. C’est essentiellement l’économie solidaire qui bénéficie du financement participatif.
I. Le Mouël explique ensuite ce qui est essentiel quand on fait du crowdfunding, à savoir comment préparer et lancer une campagne de crowdfunding . Il faut :
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présenter son projet avec un visuel attractif et un « nom » de campagne ;
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impliquer les internautes en préparant une vidéo et en réalisant une plaquette de présentation précise du projet ;
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bien expliquer l’objectif de la collecte, une date de fin et les contreparties qui peuvent être matérielles (places de spectacle…) ou financières (déduction fiscale…).
Une fois cette page de campagne prête, explique I. Le Mouël, il faut ensuite mobiliser sa communauté. Dans un premier temps, on mobilise son entourage proche (famille, bénévoles, amis…) puis son entourage plus éloigné (abonnés newsletters, connaissances…) et enfin le grand public (tous les autres!) par les réseaux sociaux, les sites partenaires et la presse.
Helloasso, première plateforme de crowdfunding dédiée aux associations.
I. Le Mouël montre, en quelques chiffres, l’importance du secteur associatif en France.
Celui-ci est composé de 1,3 million d’associations actives, avec un budget cumulé de 70 milliards d’euros et 1,8 million de salariés.
Une donnée très significative : le secteur associatif représente 3,5 % du PIB soit plus que l’agriculture et l’industrie agro-alimentaire réunies (3,4 %).
Dans ce secteur, Helloasso est la première plateforme pour les associations. Elle leur offre une solution gratuite et adaptée pour financer leurs actions sur Internet. Elle organise des événements (billetterie en ligne..), des campagnes de collecte de dons et micro-dons en ligne (par exemple, investissons dans la solidarité alimentaire…).
Helloasso représente actuellement 5 000 associations avec 350 000 contributeurs et 10, 5 millions d’euros collectés depuis 2010.
Un modèle vertueux
C’est un modèle qualifié de « vertueux » par I. Le Mouël car 100 % des montants donnés par les internautes sont reversés aux associations qui sont membres d’Helloasso. L’internaute est invité à offrir unpourboire optionnelpour assurer le développement de la plateforme.
Helloasso fait partie des 30 projets sélectionnés par le Président de la République dans le cadre du label « La France s’engage ». Cette campagne a pour but de mettre en valeur des initiatives de l’économie sociale et solidaire.
Les perspectives à moyen terme
En guise de synthèse, A. Collomb souligne que le développement du financement participatif est intéressant à plus d’un titre.
Les plateformes de crowdfunding permettent une nouvelle désintermédiation. En effet, traditionnellement, un banquier commercial s’interposait entre les prêteurs (particuliers) et les emprunteurs (entreprises). La finance participative se caractérise par une sélection directe des emprunteurs par les prêteurs. Cette mise en relation directe tend à réduire, dans certains cas, les asymétries d’information entre prêteurs et emprunteurs.
La finance participative est parfaitement intégrée au Web 2.0 et entraîne des effets d’échelle très intéressants pour les emprunteurs. Le particulier investisseur ou prêteur est souvent simultanément un ambassadeur et un promoteur du projet qu’il a sélectionné (via les réseaux sociaux). En outre, l’entreprise qui est financée peut sonder directement sa communauté d’investisseurs pour mieux cerner les préférences de ses clients et ajuster son marketing et le développement de ses produits.
Le crowdfunding pourra peut être réconcilier, voire enthousiasmer, une partie du grand public avec le monde de la finance. L’utilité de cette dernière est mise en lumière par le fait que tout un chacun peut financer – même par des montants minimes – des projets et des innovations sociétales, qu’il juge passionnants.
Ceci étant, il faut cependant rester vigilant : les plateformes numériques nécessitent un contrôle et un suivi rigoureux. Il serait dommage que ce mode de financement soit dévoyé par des opérateurs peu scrupuleux qui nuiraient à son image et à son développement. Il y a là un véritable défi pour la régulation : la voie est étroite entre « ne pas freiner » la dynamique du développement de ces sites et « responsabiliser » les prêteurs comme les emprunteurs.
Conclusion des débats
En guise de conclusion, Catherine Fenet, modératrice des ces rencontres, souligne que si le crowdfunding est un terme à la mode, il n’est pas que cela. Le financement participatif recouvre une véritable réalité économique, avec l’existence en France d’une soixantaine de plateformes qui s’affirment de plus en plus comme des solutions alternatives de financement pour les PME.
Ce secteur connaît un dynamisme remarquable : certains experts prévoient que d’ici à 2020, le potentiel global de collecte devrait atteindre la somme de 6 milliards d’euros environ en France, ce qui permettrait aux entreprises de disposer de 2 milliards d’euros pour leurs projets d’investissement.
Le nouveau cadre juridique, mis en place en 2014, pour encadrer aussi bien les pratiques des créateurs de plateforme que les utilisateurs accompagne et sécurise le développement de ce secteur. L’objectif est de doter les plateformes de statuts juridiques spécifiques, avec des règles de bonne conduite et ainsi de protéger les investisseurs.
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