Pour traiter du thème des monnaies locales et cryptomonnaies, la Finance pour Tous a fait appel à quatre experts du sujet : Jérôme Blanc, professeur à Sciences-Po Lyon, Franck Guiader, spécialiste des cryptomonnaies à l’Autorité des marchés financiers, Odile Lakomski-Laguerre, maître de conférences à l’université de Picardie Jules-Verne et Christian Pfister de la Banque de France.
Les discussions étaient animées par Cyrille Lachèvre, Rédacteur en chef adjoint à l’Opinion. Anastasia Melachrinos, étudiante à Paris 1 – et récompensée l’an dernier au Grand Prix de La finance pour tous – a introduit le sujet et présenté les objectifs de la conférence.
Cryptomonnaies : de quoi parle-t-on ?
La question des cryptomonnaies et des monnaies locales nécessite un effort de définition. En effet, il s’agit là d’organisations monétaires originales, nouvelles dans le cas des crypto-monnaies, et parfois difficiles à cerner avec précision. Dans une première définition, on peut dire qu’une monnaie locale est un instrument de paiement qui ne peut être utilisé que sur un territoire restreint, une commune ou une communauté de communes. Elle est mise en place par une association qui en assure la gestion avec l’aide d’un établissement financier.
Quant à la cryptomonnaie, il s’agit une monnaie virtuelle (en ce sens qu’elle n’est pas composée de billets et de pièces, mais la monnaie scripturale est également virtuelle en ce sens là !) créée et échangée sur un réseau informatique décentralisé. Mais, a fait observer Odile Lakomski-Laguerre, « derrière la virtualité, il y a beaucoup de matérialité ». Et cette matérialité est particulièrement énergivore comme l’ont pointé en chœur Jérôme Blanc et Christian Pfister.
Faut-il parler de cryptomonnaie ou de cryptoactif ? En effet, les crypto « monnaies » ressemblent plus à des actifs (comme des actions par exemple) qu’à des monnaies, en ce sens qu’elles remplissent mal les trois fonctions essentielles de la monnaie : réserve de valeur, unité de compte, moyen d’échange. Selon les experts invités à cette conférence, ce débat sémantique n’est pas définitivement tranché. En effet la façon dont on dénomme les cryptomonnaies (continuons à les appeler ainsi) évolue avec les connaissances que nous accumulons à leur sujet
Monnaies locales et cryptomonnaies : pourquoi ? comment ?
Les monnaies « alternatives » sont un phénomène ancien, mais c’est surtout à partir des années 1980 que, dans de nombreux pays, se sont développées les monnaies locales en réaction à un système monétaire jugé injuste ou inefficace. Une large variété de monnaies locales a vu le jour, comme par exemple les SEL (Systèmes d’échange local).
Pour l’instant, aucune de ces monnaies n’a pris la place des monnaies officielles, même si leur utilisation a pu s’accroître dans des pays en crise dans lesquels le système monétaire traditionnel n’était plus en mesure de remplir efficacement son rôle, comme l’Argentine en 2000-2001.
Cependant, ces monnaies n’ont pas vocation à supplanter les monnaies officielles, plutôt à exister en parallèle de celles-ci sur des espaces géographiques limités. Leur but étant notamment de favoriser les échanges locaux et la production d’un territoire défini.
Les crypto-monnaies, dont la plus emblématique est le bitcoin, sont, elles, beaucoup plus récentes, pour la simple raison qu’elles nécessitent des technologies informatiques avancées.
Les panelistes ont unanimement salué le rôle moteur joué par les cryptomonnaies dans la recherche et l’innovation informatiques et en particulier dans la mise au point et la sécurisation de la blockchain.
Si elles présentent des similitudes avec les monnaies locales, il existe aussi des différences entre ces deux expériences monétaires.
En effet, toutes deux sont créées en réaction du système financier dominant.
Cependant, les cryptomonnaies se veulent mondiales plutôt que locales, avec une volonté affichée de détrôner les monnaies officielles, là où les monnaies locales ont généralement des ambitions bien plus modestes.
De plus, le projet politique les entourant est différent. Les cryptomonnaies sont promues par des mouvements libertariens qui refusent tout contrôle par une quelconque autorité, alors que les monnaies locales sont plutôt libertaires et généralement organisées autour d’associations qui les encadrent.
Enfin, les monnaies locales affichent une parité fixe avec la monnaie officielle (euro, dollar…) alors que les cryptomonnaies ont un cours fluctuant.
Il est difficile d’obtenir des statistiques précises sur les monnaies locales et les cryptomonnaies. D’une part parce-que leur définition peut prêter à débat, d’autre part parce qu’il s’agit d’un environnement en évolution rapide, avec de nouvelles monnaies aparaissant (ou disparaissant) régulièrement. Selon Franck Guiader, une estimation approximative fait état d’environ 7 000 cryptomonnaies lancées dans le monde, avec environ 700 qui auraient trouvé un marché secondaire (c’est-à-dire qui seraient échangées entre acheteurs et vendeurs).
Pour se procurer des bitcoins sur le marché « primaire », il faut être mineur ! Sur le marché secondaire (une fois les bitcoins créés), il faut s’adresser à des plateformes ou à la Maison du Bitcoin.
D’autres cryptomonnaies ou tokens font appel au public au travers d’initial coins offering (ICO) pour financer un projet, généralement lié à la blockchain.
Pour l’instant, ces deux types de monnaies restent anecdotiques comparé au poids de l’économie mondiale. Cela peut s’expliquer par les risques qui les entourent et des coûts d’utilisation qui peuvent s’avérer élevés. Par exemple, les échanges en bitcoin sont de plus en plus coûteux, ce qui diminue l’intérêt de son utilisation.
Franck Guiader, de l’Autorité des Marchés Financiers, a rappelé les risques entourant les cryptomonnaies. Il déconseille fortement à tous ceux qui ne les comprennent pas d’en acheter et a rappelé qu’elles ne font l’objet d’aucune garantie ou encadrement étatique, d’où un risque de perdre l’intégralité du capital investi. La limitation par avance de l’offre de bitcoins à 21 millions d’unités – sur le modèle de l’or physiquement limité – qui devraient être atteintes en 2040 a participé à la flambée de cette valeur (demande importante d’un produit dont l’offre est limitée !)
Quel avenir pour ces monnaies ?
Prévoir l’avenir est toujours un exercice délicat. La technologie de la blockchain sur laquelle se basent les cryptomonnaies pourrait être de plus en plus utilisée. Ce qui ne veut pas dire que les cryptomonnaies, dans leur forme actuelle, prendraient le pas sur les monnaies officielles. Par exemple, cette technologie pourrait être utilisée par les banques centrales ou le système financier traditionnel. Plutôt que d’interdire ou combattre les cryptomonnaies, les régulateurs cherchent plutôt à les encadrer et à favoriser l’émergence de technologies prometteuses.
De nombreuses expérimentations de cryptomonnaies sont (et seront) lancées, avec un succès difficile à anticiper. Cependant, il est peu probable que les cryptomonnaies détrônent les monnaies officielles, notamment du fait des risques qui leurs sont associés, de leur forte volatilité et du fait qu’elles ne présentent pas toutes les caractéristiques d’une monnaie.
De plus, les cryptomonnaies présentent un problème écologique, du fait des énormes moyens informatiques que nécessitent leur fonctionnement.
Après avoir bondi puis plongé, comment va évoluer le bitcoin ? Sera-t-il supplanté par une autre cryptomonnaie comme l’Ethereum (ce qui semble en train de se produire) ? De quoi alimenter encore bien des débats et d’organiser de nombreuses conférences passionnantes sur le sujet…