Les enjeux et questionnements d’une finance plus durable
La finance est un puissant levier de développement économique qui a pour rôle d’allouer les ressources entre les différents secteurs. Cependant, elle est régulièrement montrée du doigt pour ses financements accordés à des activités socialement nuisibles (énergies fossiles, activités polluantes, armement, etc.) ou pour son obsession de la rentabilité à court terme qui se fait au détriment du financement d’objectifs de plus long terme, comme la transition énergétique.
Dans ce contexte, comment pourrait-on rendre la finance plus durable, en l’orientant vers l’investissement socialement responsable (ISR), l’investissement vert, la finance solidaire ou le micro-crédit ? Des guides de bonnes pratiques ou des incitations fiscales seraient-ils suffisants, ou des réglementations contraignantes sont-elles nécessaires ?
Afin de répondre à ces questions, la conférence, modérée par Dominique Rousset, journaliste à France culture, réunissait quatre intervenants issus du monde universitaire et professionnel :
- Catherine Charrier-Leflaive, Directrice Générale Adjointe en charge de l’assurance, Banque Postale
- Louis-Gaëtan Giraudet, Chercheur, Centre international de recherche sur l’environnement et le développement
- Laurence Scialom, Professeure, Université Paris X Nanterre.
- Alexandre Vincent, Green Bond Manager, Agence France Trésor.
La nécessité d’une intervention de l’État
Pour Laurence Scialom, la finance ne pourra être véritablement durable qu’après avoir opéré une transformation radicale. En effet, elle ignore en grande partie, jusqu’à présent, les externalités négatives, comme les coûts environnementaux, générées par son fonctionnement propre ou par les activités qu’elle finance. Ainsi, les acteurs financiers raisonnent à partir d’un couple rendement-risque privé, laissant de côté les enjeux sociaux induits par leurs investissements privés. Laurence Scialom plaide alors pour une intervention de l’État contraignant les acteurs à intégrer les coûts pour la société et les risques environnementaux dans leurs calculs économiques. Selon elle, les Banques centrales doivent également intégrer le facteur climatique dans les décisions de politique monétaire.
Pour Louis-Gaétan Giraudet également, l’intervention de l’État est nécessaire pour tendre vers une finance plus durable. La planète constitue en effet un bien public mondial et à ce titre, une régulation basée uniquement sur des mécanismes de marché est vouée à l’échec. L’État doit notamment prendre en compte les nouveaux risques créés par l’intégration de l’environnement dans les calculs économiques. Prenant l’exemple du dispositif de prêt à taux zéro permettant aux ménages de financer des travaux d’économie d’énergie, Louis-Gaétan Giraudet montre que celui-ci génère un risque nouveau pour les ménages : celui d’une rénovation énergétique mal effectuée. Une intervention publique est donc nécessaire pour répondre à ce risque et inciter les ménages à franchir le pas.
Un « bien public » est un bien pouvant être consommé par plusieurs agents économiques de manière simultanée, sans qu’il soit possible d’exclure certains consommateurs.
Quels outils pour l’État ?
Reprenant l’exemple du dispositif du prêt à taux zéro, Louis-Gaétan Giraudet plaide pour que celui-ci soit pris en charge par une banque publique. Cela permettrait tout d’abord de simplifier les démarches et, comme c’est le cas en Allemagne, d’organiser la publicité autour de cette possibilité d’investissement vert offerte aux ménages. En effet, le niveau d’information des ménages sur ce dispositif qui ne génère, pour le moment, qu’entre 20 000 et 40 000 prêts par an, soit près de dix fois moins que ce qui était attendu à sa mise en place, est particulièrement faible.
Pour Laurence Scialom, l’État doit renouer avec une certaine répression financière, comme celle mise en place après la crise des années 1930. Cela devrait permettre, avec des réglementations adaptées, de canaliser l’épargne et de l’orienter vers des activités favorables à l’environnement grâce à un système d’incitations économiques à long terme. Autre outil à la disposition de l’Etat : la mise en place d’une taxonomie « brune », taxant les secteurs et investissements les plus polluants.
Alexandre Vincent souligne, quant à lui, les efforts d’ores et déjà mis en œuvre par l’État en faveur d’une finance plus verte. Ainsi, pour la première fois, l’État français s’est doté, pour 2021, d’un « budget vert ». Il consiste à évaluer chacune des dépenses de l’État à partir de critères environnementaux. En outre, de plus en plus de dépenses publiques sont orientées vers la transition écologique. Ainsi, près d’un tiers du plan de relance de l’économie française présenté début septembre 2020 est consacré à la cause écologique. Enfin, la France fut l’un des premiers pays à l’échelle mondiale à avoir recours aux obligations vertes, c’est-à-dire à un titre de dette émis afin de financer un projet favorisant la transition écologique. Utilisée pour la première fois en 2017, une obligation assimilable du Trésor (OAT) verte participe à cet effort.
Quelles autres solutions pour une finance plus durable ?
Au-delà de ces outils à la disposition de l’État, plusieurs autres solutions peuvent être mises en place pour une transition vers une finance plus durable.
Pour Catherine Charrier-Leflaive, une manière de davantage orienter les établissements bancaires (et leurs clients) vers des investissements socialement responsable (ISR) passe par une révision et une homogénéisation des labels en la matière. Cela permettrait notamment de réduire les pratiques de greenwashing.
Notons qu’à ce jour en France, il y aurait selon l’AFG, 546 Mds € de fonds gérés selon les principes de l’ISR et 1 315 Mds € avec d’autres approches ESG. Mais les deux labels publics mis en place, ne couvrent qu’un encours de 200 Mds€ (dont 15 Mds€ labellisés Greenfin), sur un total de 2 000 Mds € d’encours sous gestion collective.
Une finance plus durable passe également, selon Catherine Charrier-Leflaive, par un effort d’éducation et de pédagogie de la part des banquiers. En effet, alors qu’un récent sondage indique que 62 % des clients des établissements bancaires sont sensibles aux enjeux environnementaux, une immense majorité d’entre eux ignorent les possibilités offertes par l’ISR. C’est d’autant plus dommageable que les fonds labellisés ISR ont affiché une résilience plus forte pendant la crise de Covid-19 que l’indice CAC40.
Une autre solution consiste à donner un prix au carbone. Cela permet notamment d’envoyer un signal, via un mécanisme de marché – le prix –, à l’ensemble des acteurs économiques. Toutefois, cette politique, déjà utilisée en France, est à mettre en œuvre avec précaution, car elle s’accompagne d’un coût supplémentaire pour les consommateurs. Sans mesures sociales pour accompagner les ménages les plus modestes, cette politique est vouée à l’échec et à déclencher des mouvements de protestations comme celui des Gilets jaunes en France.