Inversion de la courbe des taux
La courbe des taux est une représentation graphique, construite en associant à la maturité de chaque titre, indiquée sur l’axe des abscisses, son taux de rendement observé sur les marchés, en ordonnées. S’il est possible d’obtenir un tel graphique pour tout émetteur d’obligations de différentes maturités, les courbes de taux tracées à partir des rendements des obligations d’État attirent plus particulièrement l’attention. Elles peuvent, en effet, constituer un signal de bonne santé économique et financière du pays émetteur.
La courbe des taux est, en principe, croissante. Autrement dit, les rendements obligataires croissent avec la maturité des titres. En effet, plus l’échéance est lointaine, plus les risques supportés par les investisseurs sont importants. Ces derniers exigent donc un rendement plus élevé.
Dans le cas français, on observe que la courbe des taux était encore croissante en août 2022. Selon les données de l’Agence France Trésor (AFT), le taux était de 0,76 % à 1 an, contre 1,27 % à 2 ans et 2,11 % à 10 ans. Un an plus tard, en août 2023, la courbe des taux a une forme inversée : le taux à 10 ans atteint 2,98 %, contre 3,58 % et 3,25 % pour les taux respectivement à 1 et 2 ans.
L’inversion de la courbe des taux, de façon plus ou moins prononcée, concerne actuellement, de nombreux pays, parmi lesquels figurent, outre la France, les États-Unis, l’Allemagne, le Royaume-Uni ou encore la Suisse.
Courbe des taux inversée : historiquement, un signal de récession
Une note de M. Bauer et T. Mertens, deux économistes de la Réserve Fédérale de San Francisco – l’une des 12 FED régionales américaines –, étudie le caractère prédictif de la forme de la courbe des taux sur le cycle économique. Elle montre que chacune des 9 récessions traversées par l’économie américaine entre 1955 et 2018 a été précédée par une phase où les rendements des bons du Trésor américain à 1 an étaient supérieurs aux rendements des bons du Trésor à 10 ans, c’est-à-dire par un term spread négatif.
Cette corrélation n’est, cependant, pas parfaite : l’inversion de la courbe des taux entre décembre 1965 et février 1967 ne s’est, ainsi, pas traduite par une récession.
Cette corrélation positive entre l’inversion de la courbe des taux et le déclenchement imminent d’une récession peut s’expliquer par le fait que les investisseurs recherchent des placements plus sûrs et à plus long terme lorsqu’ils anticipent un ralentissement économique. Ce phénomène exerce une pression à la hausse sur le prix des obligations à long terme, ce qui se traduit mécaniquement par une diminution de leur taux de rendement.
Faut-il s’attendre à une récession ?
Puisque l’inversion de la courbe des taux a, historiquement, été un bon prédicteur du déclenchement des récessions dans le cas américain, faut-il s’attendre à ce que l’histoire se répète ? Pas si sûr si l’on en croit les dernières prévisions sur la croissance mondiale. L’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) prévoit, en effet, une croissance économique aux États-Unis de 2,2 % et 1,3 % respectivement en 2023 et 2024. La banque d’investissement Goldman Sachs estimait, en septembre dernier, la probabilité que l’économie américaine entre en récession à 15 % seulement. Dans le cas français, les dernières projections de la Banque de France anticipent une croissance du produit intérieur brut (PIB) de 0,9 % en 2023 et 2024.
Pourquoi la situation actuelle serait-elle différente ? De l’avis de nombreux observateurs, les politiques d’assouplissement quantitatif récemment menées par les banques centrales ont généré des distorsions sur l’extrémité de la courbe des taux. Couplées au regain d’intérêt pour les actifs considérés comme des valeurs refuges dans un contexte géopolitique incertain, elles ont exercé une pression à la baisse des taux long. Dans le même temps, les taux à court terme ont sensiblement augmenté sous l’effet du durcissement des politiques monétaires, tant aux États-Unis qu’au sein de la zone euro.